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Euthanasie, le dossier Binding et Hoche

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Euthanasie, le dossier Binding et Hoche
  • Auteur : Michel Schooyans
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Il est des idées dont l'amoralité intrinsèque n'apparaît pas immédiatement au moment où elles sont divulguées mais lorsque leur application enclenche une série d'actes qui assurent l'émergence d'une barbarie profonde. C'est le cas pour le texte signé par Karl Binding et Alfred Hoche en 1920, qui fonde la légitimation de la libéralisation de la destruction d'une vie qui ne vaut pas la peine d'être vécue.

 

 

Repris par les théoriciens du nazisme avec l'efficacité meurtrière que l'on sait, ce texte nous renvoie en écho les débats actuels dans les médias et les assemblées sur la libéralisation de l'euthanasie. Les auteurs de ce texte ne sont pas des illuminés mais des universitaires

reconnus, l'un juriste, l'autre psychiatre. Pourquoi dès lors ont-ils déployé tant d'effort pour justifier l'euthanasie des malades mentaux, qu'ils caractérisaient comme des personnes "incapables d'un consentement libre et éclairé en raison même de leur handicap ?"

 

Il serait absurde de les juger sans tenir compte du milieu intellectuel et social dans lequel ils évoluaient au début du XXe siècle et du mouvement des idées parmi lesquelles on peut citer le darwinisme dominant, promouvant la lutte pour la vie et l'élimination des plus faibles, entraînant ainsi une réification de l'homme, réduit à une unité purement sociale coupée de toute transcendance.

 

Ainsi, pour les auteurs, il convient d'abord d'être utile au peuple. La nation passe avant le citoyen et a fortiori la personne. Le médecin est le garant des critères d'utilité et in fine de la "qualité" du peuple. La légitimation de l'euthanasie des êtres improductifs est fondée sur le postulat que pour être un homme à part entière, il faut être efficace et productif. La relativisation de l'humain induit que l'homme cesse d'être une fin en soi, il devient un simple moyen pour réaliser le "bien commun" ou ce qu'on imagine tel. La dignité de l'homme, intrinsèquement liée à sa personne, s'efface devant l'efficacité sociale.

 

Le lecteur appréciera que les handicapés, dans cette froide logique absurde, soient retranchés de l'humanité et qualifiés de "coquille humaines vides"! Au final, l'être humain n'a de réalité qu'en vertu de son potentiel d'efficacité sociale. En transposant, nous pourrions parler de "projet parental" pour qualifier, par exemple, les embryons qui pourront vivre, et de "matériau cellulaire" pour les autres.

 

Là où les idées de Binding et Hoche nous frappent, c'est que le postulat général de cet écrit est empreint d'une grande générosité, disons sincérité et sollicitude, apparaissant comme protégeant les faibles. Sur l'euthanasie, nous retrouvons exactement les mêmes termes que dans le débat contemporain. On se veut défenseur de celui qui ne peut plus s'exprimer et le "délivrer" de ses souffrances par pure compassion. Tous les autres arguments trouvent toujours des oreilles ouvertes aujourd'hui : autonomie de la personne, liberté, dignité. Ne manque finalement que l'amélioration de la qualité de l'espèce, disqualifiée par l'Histoire.

 

La question posée jadis comme maintenant est la même : la meilleure façon d'aider quelqu'un à mourir dans la dignité consiste-t-elle à lui donner la mort ? On peut arguer que la société allemande des années vingt était largement atteinte par ces idées dont nous sommes protégées aujourd'hui par des comités d'éthiques divers et variés. Or, justement, dans l'argumentation de Binding et Hoche, les médecins se voient couverts par un Comité de Libéralisation, ancêtre de nos comités d'éthique ! Ces idées mortifères ont au contraire ouvert directement la voie à la nazification des esprits, bien avant la venue des nazis au pouvoir. Ces derniers n'eurent plus qu'à reprendre les options majoritaires exprimées lors des grands débats de société de l'époque. Cela devrait nous amener à être vigilant pour notre époque "éclairée" dans laquelle pourtant de réels points de "nazification lente" enkystent profondément mais sûrement les esprits.

 

Les auteurs de cette exhumation "littéraire", Michel Schooyans et Klaudia Schanck, mettent très précisément en lumière le débat actuel sur l'euthanasie en le comparant à celui qui eut lieu dans l'Allemagne des années 20. L'analyse du texte porte sur les notions de droit à la liberté, droit à la dignité, droit à la médecine. Le mimétisme des idées, ce reflet quasi parfait, ne peut nous empêcher de nous poser la question : les mêmes causes vont-elles provoquer les mêmes effets ? Cette perspective affolante a une saveur particulièrement pénible.

 

Laurent Mabire, pour Décryptage-Liberté politique