Luc Rouban : « L’argument du défaut de compétence du RN se heurte désormais à la déroute de l’Etat »

Source [Atlantico] : Le vrai gagnant des élections de 2022 est le Rassemblement national. L'offre politique de Marine Le Pen, en associant l'autorité et la question sociale, répond aux attentes d’une grande partie de l’électorat qui s’est droitisé.

Atlantico : Votre ouvrage est consacré à la "vraie victoire du RN" (éditions Les Presses de Sciences Po). Selon vous, celle-ci n'est plus explicable par le simple prisme du populisme. Pourquoi? Qu’est-ce qui l’explique donc ?

Luc Rouban : Les analyses menées en termes de « populisme » sont assez largement dépassées aujourd’hui. Elles l’étaient déjà hier, du reste, car le RN est difficilement assimilable à un pur produit du populisme comme l’était, par exemple, le fascisme italien qui avait attiré des ouvriers et des paysans misérables après la Première guerre mondiale. Le RN n’a jamais revendiqué le bouleversement de l’ordre démocratique, l’usage systématique de la violence politique, l’instauration d’un parti unique ou l’interdiction des syndicats. On a donc commencé à parler de « néopopulisme » pour désigner des mouvements politiques fort divergents comme ceux du RN et de LFI mais qui avaient en commun de critiquer les élites et le système de décision en France au nom du peuple et des réalités sociales qu’il affronte. Mais c’est précisément ce point que je creuse dans l’ouvrage. Le « populisme » est composé de plusieurs registres, comme le souverainisme ou la recherche de la démocratie directe, mais le point focal aujourd’hui est celui de l’efficacité immédiate de l’action publique. Cette dimension n’est pas soutenue que par les classes populaires contre les « élites ». La question de l’effectivité de l’action publique, c’est-à-dire de la portée concrète sur le terrain des décisions politiques, est centrale pour une majorité de membres des catégories moyennes et supérieures qui, elles aussi, attendent du concret en matière de santé publique, d’école, de méritocratie réelle, d’accueil des migrants, et même de défense nationale vue l’impréparation de notre armée à un conflit conventionnel en Europe. On voit même les activistes écologistes dire : « cela fait des années que l’on parle et rien ne change sur le terrain », activistes pourtant bien à gauche et diplômés. Le RN, bien plus que LFI ou la NUPES pris dans l’ivresse mémorielle des révolutions passées et pensant que l’égalitarisme a réponse à tout, a pu ainsi élargir sa base électorale en captant une attente forte pour davantage de réalisme de la part des élus et de l’appareil d’État. Ce n’est pas parce qu’elles étaient devenues populistes que 33% des « professions intellectuelles supérieures » ont voté pour Marine Le Pen au second tour. Mon ouvrage essaie donc de percer le mur des clichés pour essayer de cerner ce qui s’est joué alors et continue de se jouer en ce moment.

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