Depuis mardi, la France jusque là engourdie par le coronavirus est en émoi : la famille Lefèvre a remporté la finale de l’émission « La France a un incroyable talent ». Dans le paysage sinistré de la culture dans notre beau pays, l’événement est de taille : une famille bien sous tous rapports, traditionnelle, avec un père et une mère dignes d’être inscrits dans la constitution hongroise, et six charmants petits et grands, catholique par surcroît, s’est distinguée à la télévision et a vu ses mérites célébrés sur une chaîne nationale à une heure de grande écoute, grâce à une émouvante performance familiale de chant choral.

Depuis la proclamation des résultats, dans la presse et sur les réseaux sociaux, c’est un déchaînement de toute part. De la part des familles cathos, qui s’émerveillent de ce que l’une des leurs soit passée entre les mailles du filet du système. De la part d’un ensemble non négligeable de gens aigris et fielleux, qui vitupèrent contre un choix qu’ils jugent médiocre et ringard, et qui s’indignent, précisément, de ce que le système ait laissé filer un tel poisson.

Beaucoup d’enseignements sont à tirer de cet épisode.

Dans l’ensemble, la programmation de l’émission cochait toutes les cases du politiquement correct : de l’anglais, beaucoup d’anglais, ce qu’il faut de noms issus de la diversité, de volonté de « casser les codes », pour être branché et à la pointe des combats du moment, entre les « Wesombe », les « Messoudi Brothers » ou la « Lemonade Dance Company » dansant « contre le racisme ». Mais il faut croire que tout cela ne fait pas rêver, et ne parvient pas à toucher les cœurs, à la différence de la voix pure des enfants Lefèvre, qui a permis de remporter cette belle victoire. Bien sûr, nous pouvons nous réjouir de la mobilisation en force du réseau catho et assimilé, qui a amplement voté pour les soutenir et les encourager. Il n’en reste pas moins qu’ils ont su, de façon inattendue,  authentiquement toucher le cœur des jurés pourtant peu enclins à jouer une carte comme la leur, à l’image de la jazzwoman Marianne James.

La hargne dont font preuve les détracteurs des lauréats fait apparaître, en creux, le degré d’appauvrissement culturel auquel nous sommes parvenus. Ces critiques acerbes estiment que chanter comme cela n’est pas du talent. Ils peuvent oser ces jugements à l’emporte-pièce sans peur d’être contredits, car aujourd’hui plus personne ne sait ce que c’est que la culture des arts classiques et ce qu’elle représente de travail, de rigueur, d’exigence, d’intériorité. Elle a été remplacée par la culture du spectaculaire et de l’épate, à mille lieux des exercices ingrats, lents et patients de ceux qui exercent leur voix pour le chant lyrique. Chapeau bas aux Lefèvre d’avoir incarné cela, même si la performance de la finale fut réalisée dans des conditions difficiles, et qu’ils ont pu offrir en d’autres circonstances de meilleures prestations.

Néanmoins, il ne nous paraît pas suffisant de nous arrêter à cette victoire d’un soir, et il faut prendre garde de s’arrêter en si bon chemin. La famille Lefèvre a touché les cœurs par son caractère unique – trop unique, y compris et surtout dans nos milieux. L’idée n’est pas de former partout des chorales familiales, mais combien se soucient, chez les cathos, chez les conservateurs, de transmettre en profondeur à leurs enfants le goût du beau, et de leur donner les moyens de l’excellence ? Trop souvent, en la matière, on se limite à un honnête vernis sociologique (un peu de piano, c’est mignon quand on est petit), mais qui sautera joyeusement à l’adolescence, sous les coups de boutoir du jean, du rock de bas étage et de l’obsession d’être dans le vent. Combien estiment comme essentiel le fait de se battre pour proposer et incarner un modèle culturel alternatif, par rapport à la culture de gauche qui nous assaille et nous submerge ?

Selon nous, deux conclusions s’imposent et nous indiquent la voie à suivre. Premièrement, il faut (re)prendre conscience de la capacité de mobilisation des réseaux cathos / pro-famille survenue à cette occasion et en tirer profit. Ce plébiscite médiatique ne doit pas rester isolé : il nous prouve que nous avons les moyens, pour peu que nous le voulions, d’exercer une pression déterminée contre le rouleau compresseur médiatique, culturel, social qui veut nous faire croire que nous sommes minoritaires et en voie de disparition y compris sur le plan culturel. Deuxièmement, la victoire des Lefèvre vient apporter la preuve que la culture « de droite » a un potentiel fabuleux pour toucher les cœurs, quand elle s’assume comme telle et non quand elle se met à la remorque d’une modernité qui ne veut pas d’elle. La beauté classique n’est pas une affaire de mode, elle est un chemin d’éternité pour peu qu’on la serve pleinement. La beauté sauvera le monde… pas les crèches en matériaux recyclés, ni les chants liturgiques à la mélodie pauvrette et aux harmonies inexistantes, ni le rock de soirée. A nous tous de nous mettre à son service !

Constance Prazel

Pour approfondir cette réflexion, nous vous invitons à retrouver notre article paru dans le dernier numéro de la revue : « La droite a-t-elle abandonné la culture ? »