Affaire Barbarin : mettre fin à la logique du bouc émissaire

Comment ne pas être choqué par  la condamnation du cardinal Philippe Barbarin par le Tribunal de grande instance  de Lyon à six  mois de prison -  avec  sursis, encore heureux ?  Cela pour ne pas avoir  dénoncé dès qu’il en a eu connaissance, soit près de vingt ans après les faits,  des agissements que n’avaient dénoncé aucun de ses trois prédécesseurs, qui en avaient eu connaissance avant lui. Ni les victimes, ni leurs familles n’avaient jamais porté plainte. Le parquet n’a d’ailleurs requis aucune peine.

Condamnation d’autant plus suspecte qu’au moment où l’audience s’est tenue, comme par hasard, était lancé à grands fracas dans 25 pays, un livre polémique dénonçant l’homosexualité dans l’Eglise et sortait un film où, fait sans précédent, le cardinal Barbarin est attaqué ad hominem sans pouvoir se défendre.

Si la décision du TGI de Lyon faisait jurisprudence, combien d’évêques pourraient être mis en cause pour non-dénonciation d’abus anciens qu’ils n’ont pas connus directement, combien de chefs d’établissements scolaires laïques, combien de présidents de fédérations sportives ?

Il est vrai que l’affaire n’a éclaté qu’en 2014 et que Barbarin était l’homme d’Eglise français qui s’était le plus engagé avec la Manif pour tous : certains se sont-ils alors juré d’avoir sa tête comme Hérodiade celle de Jean le Baptiste ?

Le cardinal a fait appel – comme en d’autres temps saint Paul : c’est un droit et même un devoir pour qui a le sentiment d’être victime d’une injustice. Tout  chrétien, tout citoyen doit collaborer à l’œuvre de justice, y compris en se défendant. Cet appel a fondé le pape François, au nom de la présomption d’innocence, à refuser sa démission ; on ne peut que lui en être reconnaissant.

On n’en est que plus étonné d’apprendre que le presbyterium de Lyon  n’aurait pas apprécié ce refus. Heureusement,  il y a eu un démenti à ce  bruit qui aurait peut-être plus gravement porté atteinte à l’honneur de l’Eglise que ce qu’on reproche au cardinal.

Mais Mgr Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France jusqu’à peu, a également regretté le refus  du pape.  Faut-il comprendre que Barbarin, loin de bénéficier du soutien de ses confrères, serait devenu encombrant ? Une telle attitude, si elle était avérée, serait assez lamentable. 

Faire et Être 

On objectera qu’il faut que l’archidiocèse de Lyon soit administré. De quoi s’agit-il ? De présider d’innombrables réunions ou commissions, de recevoir des visiteurs, de téléphoner, de signer des lettres, de  participer aux mondanités (inaugurations, colloques etc.) qui font partie de la fonction ? Mais cela est-il si important ? Un évêque n’est pas un préfet. Il a d’abord à être avant de faire. Heidegger a bien montré la différence entre une civilisation du Faire, la nôtre et une civilisation de l’Etre, celle des anciens Grecs ; comme sans doute aussi celle de l’Evangile qui donne la préférence à Marie sur Marthe. Pour les affaires de Marthe, pour les affaires tout court, les vicaires suffisent. 

Il y a certes aussi la liturgie. On regrettera que le cardinal soit absent des cérémonies de la Semaine sainte, du Vendredi Saint en particulier. Qui ne voit qu’il y sera en fait plus présent que quiconque. Les bureaucrates qui auraient  voulu que le pape accepte sa démission feraient bien de relire  le prophète : « Ce  sont nos souffrances qu'il portait. C'est de nos douleurs qu'il s'était chargé. Et nous l'avons considéré comme puni, frappé de Dieu, et humilié. » (Isaïe  53, 4).

Être avant de faire : c’est ce qu’avait compris le cardinal Joseph Fesch, oncle de Napoléon, archevêque de Lyon de 1802 à 1839. Louis XVIII lui ayant refusé en 1814 le droit  d’administrer son diocèse, il résida à Rome mais ne voulut jamais se démettre de son siège, ce qui n’empêcha pas d’innombrables fleurs de sainteté de s’épanouir, comme on sait, dans ce diocèse à cette époque.

C’est ce qu’ont sans doute aussi compris le évêques de Chine qui ont passé trente ou quarante ans en camp de concentration, soumis aux pires sévices : étaient-ils de mauvais administrateurs ? 

Satisfaction ? 

Pour justicier la sentence - et la demande de démission - , on alléguera la nécessité de donner satisfaction aux victimes ; mais victimes de qui ? Sûrement pas du cardinal Barbarin, non seulement parce qu’il était absent de Lyon au moment des faits mais aussi parce que  l’imprudence qu’on lui impute dans l’exercice de ses fonctions n’a entraîné aucun acte dont quiconque puisse se dire victime.

L’idée qu’à tout crime ou délit, voire à tout accident, il faille, pour « satisfaire » les victimes, punir quelqu’un, impliqué ou pas, nous ramène à la logique barbare du bouc émissaire, si bien décrite par René Girard. Le même a montré comment l’Évangile s’inscrit en faux contre cette logique. Sait-on que c’est précisément pour mettre fin à la logique du bouc émissaire qu’été créée l’institution judiciaire ? Si les juges de première instance se mettent à suivre les appels au lynchage, moins de la foule d’ailleurs que des  médias, comme cela semble hélas trop fréquent, il ne faudra pas attendre longtemps pour qu’en cas d’épidémie, on aille  chercher un juif.

Après les dérives invraisemblables auxquelles a donné lieu cette affaire, espérons que, la sagesse du juge d’appel aidant, toutes les parties impliquées, judiciaires, médiatiques ou cléricales, sauront enfin raison garder. 

Roland HUREAUX