La droite n'a pas d'autre choix que de se proclamer conservatrice

Source [L'incorrect] Dans L'Incorrect, Frédéric Rouvillois appelle à s'approprier le terme "conservateur". Extrait :

"[...] Si la droite n’a pas le choix, c’est d’abord parce que le président Macron a installé par ses discours, en lieu et place du traditionnel clivage droite-gauche, une dichotomie progressiste-conservateur: lui-même s’appropriant bien évidemment le terme progressiste, supposé très valorisant, et désignant l’adversaire par le terme actuellement encore très péjoratif de conservateur. C’est dans ce e guerre des mots imposée par Macron qu’il importe de s’engager, et de s’organiser, afin d’espérer la remporter. Or, il existe des voies sans issues, mais une seule solution praticable.

La première des impasses consisterait à refuser cette dichotomie, et ce :

– soit en niant son existence: ce qui laisserait entendre que l’on refuse de s’opposer clairement et fermement au parti dominant, bref, que l’on n’assume même pas le rôle d’une opposition véritable, et que l’on n’envisage pas de le remplacer, position très difficilement tenable face à l’opinion ;

– soit en essayant de la remplacer par une autre: mais laquelle?– dès lors que les oppositions classiques, droite/ gauche, libéralisme/socialisme, souverainisme/fédéralisme, semblent très largement remises en cause par la situation politique.

La seconde impasse consisterait à contester le contenu de la dichotomie, c’est-à-dire le fait que le progressisme corresponde au macronisme, et le conservatisme à la droite. La difficulté vient ici d’abord du fait qu’Emmanuel Macron et La République En Marche se sont «positionnés» les premiers sur le «créneau» du progressisme: leur contester cette place risquerait fort d’apparaître comme la réplique désespérée du mauvais joueur, voire du mauvais perdant, sûr de ne convaincre personne. D’autant que, sur le fond, le macronisme relève objectivement beaucoup plus de l’idéologie et de la philosophie progressiste que la droite. Tandis que, de son côté, cette dernière se rattache indiscutablement à la tradition conservatrice : ce que, le cas échéant, les macronistes n’auraient d’ailleurs aucune peine à démontrer. Enfin, autant il paraît aisé de se déclarer ceci ou cela, autant il semble délicat d’essayer de démontrer que l’on n’est pas ce que les autres ont dit que l’on était, et/ou que ce sont eux qui le sont: en particulier lorsque les mots recouvrent des concepts et des courants aussi complexes et incertains que le progressisme et le conservatisme.

Ne pouvant donc échapper à la dichotomie imposée par le discours du président Macron, ni en contester le contenu en démontrant que les conservateurs, ce sont les autres, la droite ne saurait faire comme si de rien n’était. Sans quoi elle serait assurée de voir utilisé contre elle, lors des prochaines échéances électorales, le mot conservateur, lui-même doté d’une charge péjorative considérable. En refusant de mener la guerre des mots, elle serait vaincue par avance. La seule solution consiste, tout en acceptant la dichotomie imposée par l’adversaire, à en inverser la signification: c’est-à-dire à s’emparer du mot « conservateur » pour le valoriser ; et en parallèle, à développer une critique puissante de ce que recouvre le terme «progressiste» – et donc, par là même, à s’attaquer aux fondations idéologiques du macronisme.

Dans l’histoire des idées, on a vu fréquemment des qualificatifs inventés tout exprès pour stigmatiser l’adversaire être récupérés par celui-ci, et arborés jusqu’à la victoire. En ce qui concerne le terme conservateur, un tel choix imposerait à une droite politiquement ambitieuse et audacieuse un double effort.

D’une part, un effort de communication afin de « rajeunir » le mot et ce qui s’y rattache – notamment en le rapprochant des nombreuses expériences étrangères, en démontrant que l’archaïsme n’existe pas en matière politique, ou en soulignant à quel point certaines initiatives conservatrices peuvent s’avérer objectivement « modernes ». À cet égard, l’avantage du mot « conservateur » vient de ce qu’il sent tout au plus la naphtaline, et non pas le soufre : il s’agit donc, non de « dédiaboliser », mais simplement de « dépoussiérer ».

D’autre part, un tel projet supposerait également un effort intellectuel, afin de reconstruire sur cette base un discours politique cohérent, et dans le prolongement de celui-ci, d’élaborer un programme à la fois clair et séduisant. [...]"