Le blocage de toute résolution sur la situation syrienne, en raison du double veto russe et chinois, empêche l’action de la Communauté internationale, représentée, du moins en tant qu’organe d’exécution, par le Conseil de sécurité.
Cette situation met en lumière une question très controversée : le droit de veto des cinq membres permanents su Conseil de sécurité (l’article 27 par. 3 de la Charte des Nations unies pose que les décisions du Conseil de sécurité sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents). L’étude de cette question trouve toute sa place dans l’analyse de la campagne présidentielle depuis l’accord de législature entre EELV et le PS pour 2012-2017 - socialistes et écologistes, ensemble pour combattre la crise et bâtir un autre modèle de vivre ensemble - proposant (point I.3) l’abandon de ce droit. A priori, cette proposition semble louable, mais à l’analyse on s’aperçoit des limites, voire des effets pervers qu’induirait un tel abandon.
Une justification historiquement datée
L’insertion d’un droit de veto en faveur des cinq membres du Conseil de sécurité marque l’inégalité des Etats en matière de responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Cette inégalité, si elle peut être discutée au regard du principe de l’égalité des Etats, s’imposait à la fin de la deuxième guerre mondiale.
La création du veto est en effet à rechercher dans l’incapacité de la Société des Nations à empêcher le déclenchement de la guerre. L’idée qui animait les rédacteurs de la Charte était d’empêcher une nouvelle guerre en créant un système de sécurité collective. Dans un tel système, la guerre est prévenue en avertissant l’Etat agresseur que son comportement conduira à une réaction de l’ensemble des autres Etats en faveur de la victime. Or, pour qu’un tel système soit accepté et acceptable pour les grandes puissances, celles-ci devaient avoir l’assurance que leurs intérêts seraient toujours protégés. Ceci peut apparaître choquant mais c’était la condition sine qua non à la participation des grandes puissances à la réussite de l’entreprise des Nations unies.
Le veto a ainsi interdit, pendant toute la Guerre froide, des décisions prises à l’encontre de l’un ou de l’autre des deux camps, ce qui rendait peu probable toute confrontation directe entre les Etats-Unis et l’URSS.
Mais la fin de la Guerre froide et la multipolarisation posent la question de la pertinence du maintien du système de veto. Les inactions de la Communauté internationale au Rwanda en 1994 ont également accru les critiques sur la persistance de ce droit. Celui-ci est en effet apparu peu à peu comme un élément de paralysie des Nations unies et de domination de cinq Etats. Contester le droit de veto est cependant insuffisant, il convient également de se demander si son abandon est envisageable pour les Etats et si un tel changement n’aurait pas des conséquences néfastes.
Un abandon improbable et risqué
L’abandon du droit de veto paraît inconcevable puisqu’il s’agirait de demander à un Etat de renoncer à un droit crucial en termes de reconnaissance internationale et de protection de ses intérêts. Quel est alors le fondement idéologique de la proposition des Verts et du P.S ? Ce fondement est à rechercher dans une vision post-moderne de l’Etat et du monde, caractérisée par l’existence d’une solidarité internationale. Or, en dehors des Etats de l’Union européenne, cette vision ne traduit pas la réalité. Dès lors, est-il concevable, malgré l’absence de l’idée partagée d’une solidarité internationale, d’imaginer une réforme des Nations Unies contre la volonté des cinq permanents ? La lecture des articles de la Charte des Nations relatifs aux amendements ou à la révision de celle-ci (articles 108 et 109) exigent une adoption par une majorité des 2/3 à l’Assemblée générale et une ratification par les 2/3 des Etats membres de l’Organisation, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité. Cette dernière condition rend par conséquent très improbable une révision de la Charte, même si elle a connu certaines modifications comme l’amendement de l'article 23 qui a porté de onze à quinze le nombre des membres du Conseil de sécurité.
Et même en s’arrêtant un instant et en imaginant que cette réforme se réalise, aurait-elle réellement des effets positifs ? L’argument avancé en faveur de l’abandon du veto est l’affirmation de la fin de la paralysie des Nations unies et l’instauration corrélative d’une solidarité internationale. Si un tel résultat est moralement souhaitable, la réalité des relations internationales laisse craindre que l’abandon du veto induise des effets pervers qui annihileraient les conséquences positives recherchées.
Que signifierait l’abandon du veto ? Simplement et seulement la fin du droit pour un des cinq membres permanents de s’opposer seul à une résolution du Conseil de sécurité. Cette idée ne peut donc fonctionner que si l’ensemble des permanents abandonne son droit de veto. L’abandon solitaire de la France de son droit de veto, instrument d’influence internationale, aurait pour seul effet d’entraîner un déclassement irrémédiable de la France dans le monde.
Allons plus loin en envisageant le cas improbable d’un abandon collectif du droit de veto. Dans ce cas, les décisions du Conseil de sécurité seraient prises à la majorité. Or, dans l’hypothèse d’une décision contraire à l’avis des membres permanents, l’intervention risquerait d’être difficile sans la mise à disposition au profit des Nations unies de leurs moyens militaires. A l’inverse, rien n’interdit de penser que la majorité prenne position contre toute intervention, puisqu’une large majorité des Etats membres des Nations unies se déclare opposée à toute ingérence. L’abandon du veto ne garantit ainsi en rien la fin de l’inaction des Nations unies d’autant plus que cet abandon devrait s’accompagner d’une réforme de la composition du Conseil de sécurité afin que celui-ci reflète davantage la transformation du monde. En d’autres termes, cette réforme conduirait à un accroissement du nombre de membres permanents. Dès lors, le problème que souhaite résoudre la proposition des Verts et du PS rebondit en réalité dans deux directions. Premièrement, comment choisir les nouveaux Etats membres ? Des candidats comme l’Allemagne, le Japon, le Brésil ou l’Afrique du sud sont les plus cités. Or, ce choix se révèle extrêmement complexe. Celui de l’Allemagne, par exemple, conduirait à accroître le rôle de l’Union européenne alors que son poids dans les relations internationales a plutôt tendance à se contracter. En réalité, chaque candidat est l’objet d’une remise en cause de sa légitimité à postuler à une place de permanent. Deuxièmement, l’entrée de nouveaux pays représentant les nouvelles puissances ou les puissances de demain n’assurent pas l’apparition ipso facto d’une solidarité internationale, moteur des décisions du Conseil de sécurité. Comme les membres permanents actuels, ces nouveaux membres permanents auraient à cœur de protéger leurs intérêts. Ainsi, lors du vote de la résolution 1973 autorisant l’action en Lybie, l’Inde, le Brésil et l’Allemagne se sont abstenus à l’instar de la Chine et de la Russie.
Une solution intermédiaire a été défendue par Monseigneur Celestino Migliore devant les Nations unies. Le Saint Siège encourage ainsi l’idée d’un abandon partiel du droit de veto dans les situations de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de graves violations du droit international humanitaire. Mais les membres permanents ont refusé un tel abandon. L’impossibilité de réformer le Conseil de sécurité pose alors la question de l’existence d’un droit, voire d’un devoir, des Etats à agir de manière coercitive dans de tels cas de paralysie. Tel est le débat que pose l’émergence du concept de « responsabilité de protéger ». Débat des plus pertinents au regard des violations massives des droits fondamentaux mais débat des plus polémiques également car la reconnaissance du recours unilatéral à la force pour pallier les paralysies des Nations unies risquerait de rouvrir la boîte de Pandore des interventions d’humanité du XIX ème siècle et de leurs lots d’abus.
La proposition d’EELV et du PS semble donc à la fois irréaliste et non souhaitable pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Le problème n’est en effet pas le droit de veto mais la nature anarchique, au sens premier, de la scène internationale. Or, sans changement politique, le droit international et, en l’espèce, le droit de veto, n’est pas la cause des problèmes car il n’est pas une solution mais un simple moyen de mise en œuvre des décisions politiques. Ce qui importe donc, ce n’est pas l’existence du droit de veto mais l’existence d’une politique mettant l’homme au centre des préoccupations internationales.
En attendant, le droit de veto continuera de faire son office : garantir la paix et la sécurité internationales… à condition de ne pas nuire aux intérêts des cinq grandes puissances.
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