Sur la question du lundi de Pentecôte, notre avis sera beaucoup plus mitigé que celui des sectateurs du congé, du moins tel qu'il apparaît à travers quelques tribunes ou sur leur site Internet (1).

On peut reprocher au gouvernement actuel bien des choses, à commencer par ses improvisations sur moult sujets importants. Nous avons déjà dit combien la tâche qui lui incombait serait difficile (2), notamment parce que la droite, obnubilée par la seule élection présidentielle et la crainte de la perdre, avait fait l'impasse sur la suite.

Ce qui arrive confirme nos appréhensions : coincé entre des promesses présidentielles semées à tout vent au gré des clientèles sollicitées, une absence de programme structuré sur lequel s'est jouée l'alternance gouvernementale, et des circonstances que le gouvernement doit prendre comme elles viennent car il n'en a pas le choix, le Premier ministre apparaît ballotté en tous sens et réduit à l'improvisation désordonnée.

Les occasions de jeter la pierre au gouvernement sont tellement nombreuses que le voilà bientôt enseveli sous une pyramide pharaonique. Et cette malheureuse affaire permet d'en rajouter quelques tombereaux : entre le cafouillage de communication, la palinodie d'arbitrages contradictoires et l'" usine à gaz " administrative en train de se construire sous nos yeux, messieurs les bons apôtres, vous pouvez y aller de bon cœur !

Il est toujours fâcheux de hurler avec les loups et de tirer sur les ambulances. Certaines critiques sont un peu trop faciles, surtout quand il s'agit d'entonner l'air du " y a qu'à " et de pousser le gouvernement à déclarer ouvertement la guerre aux 35 heures au lieu d'emprunter des chemins tortueux. Car c'est bien là le nœud du problème, du moins celui qui nous intéresse ici.

35 heures et bien commun

Tenons pour acquise la convergence qui se dessine chez nos dirigeants sur le caractère profondément néfaste de cette soi-disant réforme. Mais tout le monde, loin s'en faut, n'en est pas là ! Je ne parle pas seulement des syndicats, principalement ceux du secteur public, barricadés derrière des " avantages acquis " sur le dos de la société tout entière et trop prompts à opposer une forte capacité de nuisance, aussi déplorable que réelle, à toute remise en cause un peu substantielle.

Sans accorder aux sondages plus de valeur qu'ils n'en ont, notons que les Français, parce que le statut de salarié est largement prédominant, n'ont pas encore perçu le lien, ou la contradiction, entre le gain immédiat qu'ils en tirent et ses effets pervers ; notamment les cadres... ! Ceux-ci, dans leur majorité (c'est-à-dire ceux qui ne sont ni dirigeants ni supérieurs) y ont trouvé leur avantage en congés supplémentaires, dont ils peuvent et veulent profiter, eux qui appartiennent à cette génération des " bo-bo " (3) aujourd'hui aux commandes qui n'est plus prête à sacrifier son temps et ses loisirs sur l'autel des entreprises, d'une quelconque institution ou du bien commun. Et comme du côté de la fonction publique et des activités sociales en général la productivité est difficile à mesurer et partant à faire progresser de façon tangible, la réduction du temps de travail y est décidément perçue comme une conquête positive. Seuls les ouvriers du secteur privé se sont fait avoir ; mais ils sont minoritaires et mal relayés par leurs représentants. Par conséquent, le chemin à parcourir est long. On ne peut pas faire l'impasse sur cette réalité, quel qu'en soit le désagrément.

Dans un contexte où l'affrontement politique demeure très largement idéologique (cf. l'extravagante percée trotskiste) et sur un terrain qui serait hautement symbolique, le risque d'un conflit brutal et général, assorti de grèves dures dans les secteurs-clé avec leur cortège de manifestations massives, et suivi d'un blocage de la vie économique, s'avère élevé. Sauf à avoir du goût pour une montée aux extrêmes et pour les aventures qui s'ensuivraient, le résultat le plus vraisemblable en serait une reculade qui déboucherait inéluctablement sur l'impossibilité de poursuivre toute réforme. Où se trouve le point de rupture ? Bien malin qui peut le dire. Après tout, on n'en est pas passé loin au printemps. Si le gouvernement a pu franchir cet obstacle de la réforme des retraites en ce qu'elle avait précisément d'emblématique, outre une certaine habileté tactique et un contexte politique favorable créé par la déliquescence de la gauche, c'est bien parce que les esprits avaient évolué vers un certain consensus de principe : mais il a fallu quinze ans pour y parvenir.

L'art du possible

L'idée qu'il faille revenir sur les 35 heures chemine donc, mais doucement. S'il est un secteur où son application a été un échec c'est bien celui de l'hôpital, et du social en général ; d'où, pour partie (et pour partie seulement, j'en suis bien conscient), la crise de cet été et l'amalgame qu'elle a permis. Alors le gouvernement saisit l'occasion pour donner un coup de canif dans le tabou en affectant une journée " gratuite " à la solidarité. Sur le plan tactique, ce n'est pas maladroit, malgré toutes les critiques (trop justifiées hélas), que l'on peut émettre sur les modalités pratiques. En effet, le motif n'est politiquement pas récusable et permet de faire avaler la pilule : tout le monde l'a bien compris.

Concevons que les plus ennuyés par le choix initialement prévu du lundi de Pentecôte soient les catholiques. Non qu'il s'agisse d'une fête religieuse, disons-le clairement sans s'abriter derrière je ne sais quelle argutie de présentation ; mais parce que ce week-end est utilisé par quelques (n'exagérons ni leur nombre ni leur ampleur) diocèses et communautés pour organiser des rassemblements qui nécessitent davantage que les deux jours standards. En tant qu'adepte habituel de l'un d'entre eux, j'en vois bien la conséquence. Mais, sous prétexte que tel ou tel pourrait en être affecté, peut-on oublier que le printemps est devenu une période infernale pour les entreprises, avec ses ponts et week-end prolongés en cascade ? À tout bien considérer, dans la mesure où il s'agit d'un des rares jours fériés qui soit fixe dans la semaine, ce choix n'était pas si mauvais et ne justifiait pas le non possumus que certains de nos frères dans le Christ ont formulé.

Cela dit, je constate que le gouvernement en a finalement tenu compte en annonçant qu'il laisserait la détermination du jour à la négociation collective, y compris par réduction d'un jour de RTT, sauf pour les fonctionnaires qui devront travailler le lundi de Pentecôte. C'est un bon point, tant sur la méthode que sur le fond, dans la mesure où, par commodité, cette dernière solution sera vraisemblablement systématique et nous fera avancer d'un pas dans la bonne direction. En outre, chacun demeure libre de prendre un jour de congé pour ajuster ses désirs et ses devoirs...

Rappelons sans cesse que la politique est un art du possible ; et qu'en France le possible est, hélas, très restreint pour des raisons que l'on a souvent eu l'occasion de déplorer. Nous sommes donc condamnés à avancer lentement, ce qui est particulièrement exigeant pour un gouvernement et, tout compte fait, frustrant pour les militants et les esprits éclairés. Ensuite, ce possible passe par des occasions qu'il faut saisir au vol : oui, elles n'offrent jamais les conditions optimales et contraignent parfois à avancer de biais. Manière peu glorieuse ? Certes ; mais que celui qui peut réellement faire mieux se lève et s'attelle à la charrue.

Notes

(1) www.lesamisdulundi.com.

(2) À propos de l'engagement politique : " UMP, en être ou pas ", Liberté politique, n° 21, hiver 2002-03 ; " N'ayez pas peur ", Liberté politique, n° 22, printemps 2003.

(3) Les " bourgeois-bohème " auxquels on assimile par commodité mais non sans raison les " post-soixante-huitards " revenus de tout sauf du confort et d'une certaine nonchalance.

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