taille. L'ambition n'est plus la même. Le clonage, c'est la conception et la sélection d'êtres déshumanisés ab initio. Dans un article intitulé " Embryon, la science au-delà de l'éthique 10", évoquant la possible récolte de cellules souches sur des embryons issus du transfert de noyau, donc clonés, le professeur Mattei propose, " pour éviter d'avoir à parler de manipulation d'embryon ", de " renommer la structure vivante " ainsi créée.
" N'aurait alors droit à ce statut inviolable d'embryon humain qu'un être issu de la fécondation de deux cellules sexuelles et élancé vers la vie par sa nidation réussie dans l'utérus maternel. "
Sommes-nous si loin de ce qu'exprimait Engelhardt quand il écrivait : " À long terme, il n'y a pas de raison de penser qu'une seule espèce sortira de la nôtre. Il pourrait y avoir autant d'espèces qu'il y aura d'opportunité invitant à remodeler substantiellement la nature humaine dans des environnements nouveaux, ou des raisons de refuser de s'y engager 11" ? Cet " enfantement d'un nouveau genre humain " annoncé par Fukuyama 12, n'est-il pas à nos portes ? Ne sommes-nous pas déjà dans cette " pensée froide " de Sloterdijk, capable de " penser des choses proprement invivables 13" ? Nommer, labelliser, certifier, authentifier, garantir, qualifier, qualibrer, normaliser, conformer l'humain, ne sont pas des propositions qui viennent forcément d'horizons extrêmes. C'est une activité que nous pratiquons déjà, en creux, avec la sélection prénatale. Le clonage prend racine là où l'arsenal sélectif, instauré depuis vingt-cinq ans, a préparé le terrain. En même temps le clonage, par sa répétition du même, son obsession de l'identique, sa culture de la conformité à un original qui nous échappe, durcit, renforce l'incompréhension, le mépris, et le rejet de l'altérité. Or l'altérité, pour nous humains, est la seule manière " d'être vivants ", de comprendre et d'aimer. Le clonage humain place les humains devant une proposition inhumaine, d'une perversité vertigineuse, celle d'accepter de penser qu'ils ne sont plus ce qu'ils sont. Nous serions donc avisés de la refuser.
En définitive, depuis le XIIIe siècle et son poète persan Saadi, le secret du bonheur reste inchangé et limpide : " Embrasser l'enfant, lui conférer de grands biens et lui rendre la liberté. " Que les politiques et les scientifiques veuillent bien méditer toutes les conséquences de cette sagesse éternelle — éternellement menacée — et nous leur donnons volontiers carte blanche.
J.-M. LE M.
10 . Science et Vie, octobre 1999
11 . Engelhardt, The Foundation of Bioethics, Oxford University Press, 1997.
12 . Cité par J.-Cl. Guillebaud, Le Principe d'humanité, Seuil, 2001.
13 . Ibid.