POUR L'EUROPE, l'hypothèse d'une organisation institutionnelle orientée vers l'élargissement de l'Union, ou mieux la poursuite de la recomposition de sa réalité historique et géographique, permet de relancer les idéaux, les craintes et les espoirs des grands hommes qui ont accompagné les premiers pas de ce qui est sans doute un des plus grands événements du XXe siècle : Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Robert Schuman, sans oublier Jean Monnet et Paul-Henri Spaak.

 

Sans leur réalisme politique, guidé par de très hauts principes moraux et civiques, nous n'écririons probablement pas ces lignes aujourd'hui. Après les souffrances, les luttes, les aberrations et les désastres de deux guerres mondiales, ces hommes d'État voulaient pour notre continent la paix dans la justice et dans la solidarité à l'intérieur des nations et des peuples. Ils étaient conscients qu'il n'y a pas de paix sans justice et que l'on ne peut pratiquer la solidarité sans la paix. Ils voulaient que l'Europe, depuis des siècles berceau de la civilisation, devienne actrice et co-auteur d'une pacifique convivialité mondiale (convivenza).

 

Pas d'unité sans liberté

Tout pas ultérieur vers la transformation de ces grands rêves en objectifs concrets doit être fondé sur la vérité : la vérité de ce qui est, la vérité des valeurs présentes et enracinées dans l'histoire, la vérité de la coexistence des traditions, de l'interactivité des cultures ordonnées au bien commun, la vérité de l'homme ontologiquement détenteur de droits que les différentes formes de la société civile doivent reconnaître, respecter et servir.

Parmi les libertés constitutives fondamentales, une place particulière revient certainement à la liberté de pensée et de religion : les reconnaître, les respecter et les servir signifie garantir qu'elles puissent devenir des critères socialement pertinents pour la vie de groupements humains libres, coopérant, dans un respect réciproque, à la constitution de la maison commune. Faute de cette liberté, nous aurons la domination de l'homme sur l'homme quels que soient ses motifs et ses justifications. Ceci oblige tout le monde à l'authenticité des moyens et des fins dans la construction, certainement ni simple ni immédiate, de la convivialité humaine, autrement dit une construction adaptée à l'homme, convenant à tous les hommes.

Albert Einstein disait que seul celui qui a le sens du mystère insondable peut être authentiquement un scientifique. La recherche du possible comme ouverture au réel, sans demander à quelqu'un de renoncer à sa propre identité, est l'attitude à laquelle peuvent consentir des hommes de croyances différentes, hommes religieux ou laïcs, croyants ou non, pour entreprendre la route de la recherche commune de la meilleure organisation de la maison de tous.

 

Une occasion historique

Une occasion historique se présente à nous. Vérité, liberté et respect attentif des identités nous permettront d'affronter le présent, pour nous-mêmes et pour ceux qui viendront après nous.

Ces exigences étaient certainement présentes à l'esprit de Mgr Jean-Louis Tauran, secrétaire pour les Relations du Saint-Siège avec les États, lorsqu'il est intervenu au séminaire sur l'Avenir de la nouvelle Europe organisé par le Centre international de Communion et Libération à Rome, le 13 mai 2002 (article ci-après). À travers l'apparente simplicité du déroulement historique, on lit le dossier d'une réalité – les racines chrétiennes de l'Europe – qu'il serait contraire à la vérité de ne pas prendre en considération. Sa négation serait l'amorce d'une injustice grave. L'appel final du prélat, humble dans sa formulation, pose avec force la nécessité du respect réel de la liberté de tout homme et de tous les hommes, croyants ou pas. Un message fort pour tous, alors que l'Europe entreprend de renouveler une organisation institutionnelle de plus en plus complexe.

 

G. S.