À NOUVEAU, la question de l'enseignement a été placée sur le devant de la scène médiatique lors de la récente crise du CPE . Elle pourrait bien être l'un des chevaux de bataille des principaux candidats aux futures présidentielles.
Il faut dire que l'enjeu est de taille. En effet, dans un pays où le système éducatif peine à donner une formation solide aux jeunes qui lui sont confiés, au point de se traduire par un des taux de chômage de la jeunesse les plus élevés d'Occident, la faillite de l'Éducation nationale apparaît de plus en plus évidente. Dans ce contexte, l'enseignement de l'histoire concentre de nouvelles polémiques et reste toujours investi d'une forte connotation émotionnelle. En effet, la question de la transmission du savoir historique à l'école semble d'autant plus cruciale que c'est par lui, entre autres, que la jeunesse peut se forger une identité qui ne soit pas en contradiction avec celle de ses aînés et ainsi, assimiler les codes, valeurs et principes qui régissent le monde dans lequel elle vit et auxquels devrait la préparer le système éducatif.
Ainsi, le but ultime de l'enseignement de l'histoire étant de transmettre un savoir capable de donner aux élèves des repères dans le temps et l'espace, il s'agit moins d'en faire des savants que de leur forger une mémoire , indispensable à la culture générale de l'honnête homme du XXIe siècle. Cet aspect de l'enseignement de l'histoire semble particulièrement mis en avant dans les programmes actuels du secondaire dans la mesure où la notion de patrimoine a pris une place essentielle dans leur application. Les programmes du collège, en ce début de IIIe millénaire, confèrent, en effet, une place centrale aux éléments du patrimoine qui " doivent être étudiés pour eux-mêmes et à partir desquels [...] doivent se faire, de manière privilégiée, les apprentissages, conceptuels et méthodologiques ". Ainsi, si le patrimoine, c'est-à-dire ce qui apparaît comme le socle de ce que nous ont transmis ceux qui nous ont précédés, doit être au centre de l'enseignement de l'histoire au collège, c'est qu'il est nécessaire au pédagogue de travailler sur la mémoire de l'élève : à la fois sur sa capacité à mémoriser mais aussi sur les fonctions psychiques grâce auxquelles il pourra se représenter le passé et en conserver une trace dans sa mémoire personnelle. Comme l'écrit Henry Rousso, " la mémoire, au sens premier du terme, est la présence du passé. [...] Elle est [aussi], pour prolonger cette définition lapidaire, une reconstruction psychique et intellectuelle qui charrie de fait une représentation sélective du passé, un passé qui n'est jamais celui d'un individu seul, mais d'un individu enserré dans un contexte familial, social, national. À cet égard, toute mémoire, par définition est "collective" ". Il s'agit donc, au travers des programmes de l'enseignement de l'histoire au collège de donner une mémoire collective française aux élèves et c'est ce qu'exprime le Bulletin Officiel de 1999, qui affirme qu'en fin de collège, en classe de troisième, " les élèves doivent être capables de donner du sens au monde dans lequel ils vivent, [...] et doivent avoir mémorisé les principaux repères chronologiques et culturels de l'histoire de France, de l'Europe et du monde jusqu'au début du XXe siècle. [Cette étude a dû leur donner] une mémoire nationale et européenne, critique et ouverte aux autres cultures ".
I- LE DEVOIR DE MEMOIRE ET LA NOTION DE PATRIMOINE
La société actuelle insiste beaucoup sur le devoir de mémoire. C'est, qu'en effet, le passé légué par les générations qui nous ont précédés n'est pas toujours évident à porter. Si l'on vit " le temps des fins " dont parle Jacques Revel, beaucoup ont du mal à supporter leur passé et en ressentent une souffrance plus ou moins exprimée. Comme l'écrit le commandant de Saint-Marc à l'attention de tous les témoins de l'histoire, " c'est la dernière responsabilité qui nous incombe : éviter que nos enfants aient un jour les dents gâtées par les raisins verts de l'oubli. Écrire et raconter, inlassablement, non pour juger mais pour expliquer ". Il y aurait l'obligation d'un devoir de mémoire pour les témoins et pour la société dans laquelle ils vivent avec leurs descendants.
Le devoir de mémoire et la société : le poids du passé
Ainsi s'opérerait en ce moment comme un retour sur le passé pour évacuer les problèmes actuels ou bien, au contraire, pour trouver dans un passé révéré une réponse à ceux-ci. Quand Tzvetan Todorov écrit que " les récents procès pour crimes contre l'humanité, comme les révélations sur le passé de certains hommes d'État incitent à proférer de plus en plus souvent des appels à la "vigilance" et au "devoir de mémoire" ", il n'affirme pas autre chose. L'instrumentalisation de la mémoire à des fins politique ou de bonne conscience est courante aujourd'hui. Le tout est de parvenir, pour le décideur, à utiliser le devoir de mémoire à bon escient, dans un but civique et de liberté, pour éviter de tomber dans le piège dont parle Paul Ricœur et si bien défini par Stéphane Denis : " Ce devoir de mémoire consistant à faire le procès d'événements historiques à partir des préjugés contemporains . " Il s'agit donc, au contraire, de préserver une mémoire nationale structurante en constante évolution et non pas d'imposer certaines vérités historiques indépassables et dangereuses pour la cohésion nationale ; or, rien n'est moins évident aujourd'hui. Comme le rappelait récemment le philosophe Paul Thibault, " ce qui me frappe est l'absence de mémoire nationale intégratrice en France. [...] Les mémoires cherchent une histoire justificatrice et restent sourdes [à toute contradiction] ". À ce titre, l'irruption récente de la légalité dans le débat historique et de la victimisation de certaines communautés plus ou moins autoproclamées pose un grand nombre de questions.
Le passé aurait donc une véritable fonction civique, qu'il faudrait transmettre aux jeunes générations. C'est ainsi que l'on pourrait, dès lors, définir le devoir de mémoire formateur en opposition au devoir de mémoire médiatique précédemment défini par Stéphane Denis. Dans ce sens, nous pouvons affirmer avec Jean Boutier et Dominique Julia que " l'histoire garde dans nos sociétés démocratiques une fonction civique irremplaçable ". De fait, le devoir de mémoire est devenu un enjeu de société. Et c'est pourquoi il semble évident que l'enseignement de l'histoire garde une place singulière dans les programmes de l'enseignement du secondaire : il est probable que l'évolution des programmes voulue par le ministère qui insiste sur la notion de patrimoine, et ce, dès la sixième, traduise cette volonté d'utiliser l'enseignement de l'histoire dans un sens civique. L'enjeu est de taille puisqu'il ne s'agit de rien de moins que de redonner à nos élèves la notion de la citoyenneté et la fierté d'être Français à travers l'étude historique.
Le devoir de mémoire et les programmes d'enseignement : les documents patrimoniaux
Si l'on étudie de près les programmes du secondaire, il semble que les nouveaux programmes issus de la réforme de 1996 souhaitent que l'on passe, au collège, d'un enseignement didactique à une éducation à la citoyenneté dont les programmes d'histoire, au même titre que les programmes d'éducation civique sont censés répondre. À propos de la classe de troisième, il est écrit que " l'éducation civique, enseignée par le même professeur, doit être étroitement coordonnée avec l'histoire et la géographie : l'apprentissage de la citoyenneté responsable s'appuie nécessairement sur la compréhension du monde actuel ". Cette optique se vérifie encore parfaitement dans le programme de seconde qui se veut civique en offrant aux élèves l'étude de moments historiques considérés comme les fondements du monde contemporain nécessaires pour comprendre notre société démocratique occidentale . On attribue donc une fonction civique essentielle à l'histoire en ce qu'elle apporte une explication du monde indispensable pour celui qui ne veut pas subir le monde mais le construire.
Or, si " les finalités civiques sont étroitement liées aux finalités culturelles, pour autant, les moments historiques proposés par le programme ne sont pas des modèles ; ils doivent permettre de développer l'esprit critique, la tolérance et la reconnaissance de l'autre ". Ainsi, les instructions qui accompagnent ces nouveaux programmes insistent aussi sur les thèmes et les notions qui doivent émerger dans les contenus des connaissances comme les concepts-clefs ou des éléments de construction des repères des élèves. Dans ce cadre, par exemple, l'étude de la Première Guerre mondiale en classe de troisième ou de première revêt un caractère singulier. Ce fut, en effet, un événement majeur du début du XXe siècle qui a marqué plusieurs générations et donc la mémoire collective nationale.
Enfin, pour forger à nouveau une mémoire nationale et européenne forte, les programmes issus de la réforme de 1996 ont imposé l'étude de certains documents institués documents patrimoniaux. Ces documents, qui doivent être étudiés pour eux-mêmes, sont obligatoires et sont censés avoir été abordés par tous les élèves qui sont entrés au collège depuis dix ans. Il s'agit de documents considérés comme essentiels ou constitutifs de la mémoire nationale. En cela, ils sont, en quelque sorte des lieux de mémoire institutionnalisés et participent au devoir de mémoire voulu par le législateur. Comme l'explique le commentaire du programme de troisième, " l'étude des œuvres et plus particulièrement des images (photographies, films, affiches, ...) si envahissantes au XXe siècle, constitue un moyen privilégié de l'apprentissage de l'esprit critique et de la citoyenneté ". Ainsi, en ce qui concerne la Première Guerre mondiale, il est considéré comme essentiel et formateur d'avoir étudié des extraits du Traité de Versailles, un roman ou un témoignage de la guerre de 14-18, d'avoir vu La Grande Illusion de Jean Renoir et de connaître les changements territoriaux opérés entre 1914 et 1920.
Ces documents patrimoniaux, étudiés par tous les élèves du collège où qu'ils soient en France, doivent participer à forger une mémoire nationale en utilisant des images fortes porteuses de sens. Cette méthode qui doit probablement beaucoup aux travaux de Serge Moscovici à propos des représentations des élèves, doit favoriser la mémorisation d'événements-phares constitutifs de la mémoire nationale que l'Éducation nationale souhaite transmettre aux jeunes générations. Par conséquent, si l'on considère tout ce que l'on attend de l'enseignement de l'histoire, celui-ci semble prendre une valeur morale cruciale dans notre société. Pourtant, dans un monde de l'immédiateté et où l'efficacité est devenue la valeur suprême, l'intérêt de l'histoire ne va pas de soi. C'est pourquoi il semble qu'à travers les réflexions sur les enjeux de la transmission du savoir historique vers la mémoire collective, l'on assiste, en réalité, à un questionnement sur la redéfinition de la place de l'histoire dans notre société. Si tel est le cas, il est utile de s'interroger sur la nouvelle finalité qui est offerte à la science historique à la fois comme objet de connaissance et d'enseignement .
II- VERS UNE REDEFINITION DE LA PLACE DE L'HISTOIRE DANS NOTRE SOCIETE ?
" Nous vivons dans un monde qui, tout à la fois, est obsédé par l'histoire et ne trouve plus nécessairement satisfaction dans les formes qui, traditionnellement, conservaient et transmettaient la mémoire historique " affirment André Burguière et Jacques Revel. Ils mettent en exergue tout le paradoxe des attentes du monde contemporain face à la science historique. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, un tel paradoxe n'existait pas. C'est que l'histoire était la discipline reine de la IIIe République. Érigée en science par l'école méthodique , elle devait donner une vision du monde objective et asseoir le primat de la nation française face aux régionalismes et, de même, imposer la République face à la monarchie. Elle était, en quelque sorte, une arme dans les querelles de régimes et s'imposait d'elle-même comme incontournable.
L'Histoire, une matière civique ?
Il n'en est plus de même aujourd'hui. L'Histoire apparaît à certains élèves comme une discipline dépourvue de sens. Plus grave, en présentant des mentalités différentes voire opposées aux leurs, elle peut être très déstabilisante : peut-on comprendre ce qu'était le patriotisme de la Belle Époque sans le rejeter en bloc au moment de la construction européenne ? Est-il possible de donner un sens au sacrifice des Poilus durant l'" Enfer de Verdun " sans remettre en cause la condamnation actuelle du nationalisme ? Il est certain que les élèves ne se posent pas ce genre de question, mais ils ont du mal à se positionner face à des événements qu'ils ne comprennent pas et dont ils ne perçoivent pas toute l'étendue.
L'Histoire peut leur paraître ainsi, comme une discipline abstraite et déconcertante, alors qu'ils la côtoient régulièrement, sans en avoir conscience : en effet, chaque village ne possède-t-il pas son monument aux morts ? Mais ce que la science historique expose, semble irréel voire impossible à l'adolescent, dès lors qu'il ne veut pas faire cette gymnastique intellectuelle qui consiste à essayer de comprendre l'esprit du temps passé et non pas à juger le passé avec les yeux du présent.
Or l'adolescent, naturellement, a tendance à ne pas regarder le passé car il cherche à se définir en opposition à celui-ci. La démarche historique est donc très éloignée de ses préoccupations naturelles et c'est le devoir du professeur d'histoire que de souligner le lien entre le passé, le présent et l'avenir. Il faut arriver à montrer aux élèves que le monde n'existe qu'en tant que résultat du passé. De même que l'adolescent a besoin de connaître ses racines pour se comprendre et se situer par rapport aux autres. De même, il lui faut connaître les racines des autres pour pouvoir les accepter et dialoguer avec eux. En ce sens, l'enseignement de l'histoire a un rôle tout particulier dans la formation intellectuelle et morale des élèves : une bonne connaissance historique permet de lutter contre l'intolérance. Et c'est peut-être là une nouvelle demande sociale : l'histoire n'est plus cette science qu'il convenait d'utiliser pour imposer un point de vue politique. Elle est devenue une science éthique, porteuse de sens civique. Il n'est pas surprenant, dans ce cadre, qu'elle ait été étroitement associée à l'enseignement de l'éducation civique dans les nouveaux programmes .
Cependant si l'histoire devrait, selon certains, assurer la mémoire de chaque communauté qui, comme le regrette Gérard Noiriel, serait " en droit d'établir ses propres normes de vérité " , il reste que l'on demande encore à l'histoire, et en particulier le législateur , de distinguer le vrai du faux et d'être constitutive de citoyenneté. En ce sens, enseigner, par exemple, la Première Guerre mondiale et l'expliquer, comme tout autre objet historique constitutif de la mémoire nationale, paraît essentiel. Ainsi, grâce à l'enseignement dispensé par le professeur sur la Grande Guerre, les élèves sont censés pouvoir poser un regard différent sur l'action de leurs aïeux en lui donnant un sens et une réalité. Comme le rappelle Laurent, élèves de troisième, dans son compte-rendu d'un voyage de classe à Verdun, " c'est aussi pour nous un devoir de nous souvenir de cette bataille où beaucoup d'hommes sont morts, et non pour rien, comme on l'entend parfois, mais pour préserver Paris et donc sauver la France de l'invasion allemande ".
Le mythe du savoir universel
Une autre difficulté de la discipline historique vient de ce que nos élèves vivent dans un monde où l'on recherche la technicité et la facilité. Pour un adolescent, l'histoire en tant que science du passé est, par nature, éloignée de l'innovation technique appréhendée comme du domaine du futur. Pourquoi donc faut-il s'intéresser au passé et aux affrontements entre les peuples au moment de la mondialisation ? Surtout, il nous semble, qu'une partie de nos élèves sont touchés par ce que nous appellerions le mythe du savoir universel : en d'autres termes, pourquoi devrions-nous, à l'heure de l'Internet, apprendre des événements historiques alors que toutes les informations voulues existent sur les nouveaux médias ?
Un tel raisonnement est dangereux dans la mesure où c'est justement au moment où l'information est omniprésente qu'il faut savoir faire le tri ; c'est justement au moment où l'Internet permet la mondialisation de l'information qu'il faut apprendre à nos élèves à faire preuve d'esprit critique pour pouvoir distinguer le vrai du faux. Et c'est peut-être l'un des rôles du professeur d'histoire que de permettre à ses élèves de prendre de la distance face aux informations en leur enseignant la critique et la confrontation des documents.
L'enseignement de l'histoire n'aurait donc plus seulement pour objet le simple enseignement d'une discipline mais également l'apprentissage du discernement indispensable au citoyen. Il serait souhaitable que les élèves, à l'issue de leur cursus scolaire, soient capables de prendre du recul par rapport au temps, mais cela reste difficile dans une société de l'immédiateté. Or ce n'est qu'en se décentrant par rapport aux connaissances que celles-ci s'inscriront définitivement dans la mémoire en passant de l'émotivité au savoir intellectuel réfléchi. Une telle attitude à l'égard du savoir n'est possible que si l'adolescent est en projet de se souvenir et donc, s'il pense qu'il a besoin de se souvenir pour avoir une attitude critique face aux informations.
Toutefois, cette attitude ne peut s'opérer que si l'adolescent est capable de s'identifier au savoir historique enseigné. Celui-ci doit donc lui donner une mémoire nationale dans laquelle il puisse incarner sa propre expérience historique bien éloignée d'un savoir universel inconsistant car désincarné. Or, pour ce faire, il est nécessaire d'enseigner des faits, d'être un minimum analytique, de manière à forger un savoir qui puisse s'appuyer sur des repères d'autant plus solides qu'ils sont fortement ancrés dans la mémoire collective. Cependant, si l'on en croit Stéphane Denis, nous en sommes loin : " Nous allons non seulement vers une généralisation de l'histoire non informative, désincarnée et moralisatrice déjà en usage dans les écoles françaises, mais vers la création d'une histoire optimiste, positive et à vocation universelle . " Certes, cette nécessité factuelle ne semble pas avoir échappé aux rédacteurs des programmes qui ont institué au collège l'étude des documents patrimoniaux, mais cela peut paraître bien maigre pour forger une réelle mémoire nationale.
En outre, une mémorisation structurante et formatrice ne peut être réellement à la portée de chacun quand la connaissance historique est survolée comme c'est le cas dans nos programmes actuels.
À la lumière de notre expérience sur l'enseignement, nous pensons qu'il est indispensable d'avoir le temps de bien expliquer les faits, de manière à ce qu'ils prennent corps dans l'esprit des élèves. Aussi, pour donner du sens à l'enseignement de l'histoire, il faudrait, peut-être, bénéficier d'un volume d'heures d'enseignement plus important . Dans ce cas, le professeur pourrait aller plus au fond des choses et expliquer davantage des faits, aujourd'hui incompréhensibles d'emblée pour les générations enseignées, mais indispensables pour une compréhension juste du monde actuel. Un enseignement approfondi de l'histoire permettrait donc à l'adolescent de se forger un esprit critique grâce à une meilleure mémoire des événements essentiels de l'histoire du monde et ainsi de devenir autonome face aux médias.
L'indispensable étude de la chronologie
Pour être porteur, l'enseignement historique doit comporter une certaine dose de chronologie d'autant plus nécessaire qu'elle permet à l'élève de se mouvoir avec assurance dans le passé. Brocardée depuis les années 1970, la chronologie fait un retour timide, mais remarqué, dans le corpus d'enseignement. En témoigne l'épreuve écrite du diplôme national du Brevet qui prévoit l'obligation de connaître quelques repères chronologiques dans le programme des quatre années d'enseignement de l'histoire au collège.
Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur le terme chronologie. Il ne s'agit pas d'un apprentissage désincarné de dates n'ayant aucune logique entre elles ! Comme l'explique avec justesse Pierre Nora, " une chronologie n'est pas une énumération indifférente. C'est le condensé elliptique d'une grammaire temporelle ; il s'en dégage un sens. Elle suppose une articulation hiérarchique des connaissances. Elle sous-tend la construction d'un discours, elle sous-entend la possibilité d'un récit continu dont les dates sont les points de passage obligés. C'est, en définitive, l'axe d'une organisation mentale qui est loin de concerner seulement l'histoire, mais gouverne l'ensemble des activités de l'esprit ".
En ce sens, il s'agit bien d'une des branches de la science historique et elle paraît d'autant plus structurante pour les jeunes esprits qu'elle leur donne des points de repère, évitant ainsi certains anachronismes et les obligeant à jongler avec des mentalités différentes en fonction d'époques clairement définies. Or affirme Pierre Nora à propos de l'enseignement chronologique de l'histoire " l'obligation de retenir se dégage toute seule du plaisir d'entendre raconter l'histoire, qui retombe en boucle [dans le cursus scolaire] sur la nécessité d'apprendre et d'aimer d'abord celle de la patrie ". L'histoire chronologique introduit donc un jeu intellectuel hautement civique, un cercle vertueux de l'apprentissage du passé, chargé de sens car expliquant le présent. Et c'est peut-être ce qui explique le retour en grâce récent de la chronologie car avec sa disparition de l'enseignement, " le sens de la profondeur temporelle, les repères permettant de s'orienter dans la lecture du passé se sont estompés " rendant difficilement compréhensible le monde d'autrefois.
Il s'agit donc, pour le professeur, de faire comprendre aux élèves que le monde dans lequel ils vivent est le résultat d'un passé et la composition d'un futur. Ce faisant, il donnera à ses élèves la distance critique qui leur permettra de juger plus sûrement leur environnement. Comme l'écrit André Burguière, " s'interroger sur la France du passé reste, aujourd'hui comme hier, une manière privilégiée de rendre possible et pensable une France au présent. L'histoire de la France [...] est redevenue l'objet d'un investissement collectif, tout à la fois affectif, idéologique et savant ".
Néanmoins l'élève ne retiendra réellement un savoir que s'il comprend qu'il a besoin de connaître ses racines et de se situer par rapport aux autres. Et l'investissement collectif sur le patrimoine qui se traduit dans les nouveaux programmes reste dérisoire si le professeur ne sait pas user de tout son sens pédagogique pour faire en sorte que l'élève trouve un intérêt à l'enseignement qui lui est prodigué. D'une certaine manière, la question qui se pose aujourd'hui n'est pas celle de l'alternative entre mémoire et oubli, mais celle des modalités du souvenir que l'on peut susciter chez l'élève : s'il trouve un intérêt nouveau à ce qui lui est enseigné, il sera présent et actif et s'imprégnera du savoir reçu. Dans cette optique, un retour bien dosé de l'approche chronologique dans le corpus d'enseignement historique paraît nécessaire pour permettre à l'élève d'approfondir ses savoirs.
Ce n'est qu'à ce prix que l'enseignant parviendra à transmettre une connaissance historique dans la mémoire collective d'une classe et donc par extension d'une nation. Le défi est de taille mais le jeu en vaut bien la chandelle ; car quoi de plus important, pour un professeur, que de bien former les esprits qui lui sont confiés pour leur apprendre à affronter, plus tard, le monde réel dans les meilleures conditions ?
J.-B. M.