JE VOUS REMERCIE pour votre invitation qui me donne l'occasion de parler de l'héritage chrétien de l'Europe et de la liberté religieuse, surtout dans le Sud-est européen.

 

La Communauté européenne fut d'abord une communauté économique de quelques États européens.

Pendant la décennie 1990, cette communauté se transforma en Union, qui va s'élargir dans quelques jours à Athènes et deviendra une union de 25 États.

 

Des personnes, physiques ou morales, qui veulent travailler ensemble, doivent avoir des traits communs, des bases communes. Jacques Delors disait que, pour que l'Europe soit fonctionnelle et viable, ses citoyens devaient lui " donner une âme ". Est-ce que l'Union européenne a une âme, des traits communs, de forts anneaux – indispensables pour former une chaîne solide qui garantisse la cohésion et l'unité de l'Europe ? Est-ce qu'elle a une base philosophique et culturelle commune ? C'est un lieu commun que l'Europe s'est construite sur la synthèse entre la philosophie hellénique, le droit romain, les cultures locales des peuples européens, grâce à l'adhésion de ces peuples à l'Évangile du Christ. On retrouve aussi cette synthèse dans l'Empire byzantin et les autres formations étatiques de l'Europe de l'Ouest, après la chute du monde ancien, hellénique et romain.

 

Structure romaine de l'État, culture hellénique et loi chrétienne, telles sont les grandes sources d'où Byzance est sortie. Supprimez l'un de ces trois éléments, le fait byzantin devient inconcevable. Seule la synthèse de la culture hellénistique et de la religion chrétienne avec la forme romaine de l'État a rendu possible la constitution de l'Empire byzantin. Ce qui a permis cette synthèse, ce fut le décalage vers l'Orient du centre de gravité de l'Empire romain. Ce décalage a trouvé son expression la plus sensible dans la christianisation de l'Imperium Romanum et la fondation d'une nouvelle capitale aux limites est de l'Europe, vis-à-vis de l'Asie : je parle de Constantinople. L'Empire byzantin a un caractère universel fondé sur l'héritage romain et consolidé par l'idée œcuménique chrétienne. L'empereur se représente tenant dans une main le globe crucifère qui indique l'universalité et dans l'autre le labarum ou le spectre cruciforme, symbole du pouvoir romain et chrétien dans le monde.

 

Le christianisme et ses valeurs, par exemple l'humanisme, l'indulgence, ont beaucoup influencé le droit et ont changé les normes du droit romain en ce qui concerne le droit de la famille, des successions, le droit pénal, la position des femmes, les conditions de vie des esclaves, etc. La justice sociale fut le ciment d'une solidarité nationale. Je signale que ce droit, connu comme droit de Justinien ou gréco-romain, était en vigueur pendant des siècles en Europe : par exemple en Allemagne jusqu'en 1900, date de publication du BGB (Code civil), et en Grèce jusqu'en 1946, date de publication du Code civil.

 

Les Pères de l'Église (Basile, Jean Chrysostome, Grégoire) enseignèrent le christianisme et en même temps la philosophie hellénique qui influença la pensée chrétienne.

 

C'est vrai que l'héritage intellectuel hellénique fut sauvé par l'Église. Les ecclésiastiques – et surtout les moines dans les monastères – copiaient et recopiaient les œuvres de littérature, de philosophie... du monde grec ancien. Autrement, tout ce trésor intellectuel aurait été perdu. Ces textes se trouvaient dans les bibliothèques byzantines et celles d'Europe de l'Ouest. Après la chute de Constantinople en 1453, des intellectuels byzantins quittèrent leurs villes et s'installèrent dans les grandes villes d'Europe, surtout en Italie, Autriche, Europe centrale. Ils avaient apporté parmi leurs biens, tous ces parchemins.

 

L'Église byzantine a accompli une grande œuvre missionnaire auprès des peuples des Balkans, du Pont-Euxin, et d'Europe centrale. Les Russes, les Slaves du Sud et de l'Est sont baptisés. La culture et la civilisation chrétienne de l'époque ont eu une grande influence sur la vie sociale et intellectuelle de ces peuples.

 

À la même époque, Charlemagne, en absorbant la Bavière, en christianisant et annexant la Saxe, en s'étendant vers l'Est, en soumettant et incorporant le royaume des Lombards, avait fait de son royaume la grande puissance du monde chrétien de l'Europe de l'Ouest. Après le couronnement impérial du 25 décembre 800 à Saint-Pierre de Rome, Charlemagne fut l'empereur du Saint-Empire romain germanique. Nous avons alors deux empires chrétiens en Europe : l'un en Orient et l'autre en Occident ; et nous assistons au premier effort pour l'unification de l'Europe par la religion et des valeurs basées sur la foi chrétienne. Les méthodes politiques et diplomatiques de l'époque se mobilisèrent : à Constantinople, la souveraine était l'impératrice Irène. Elle fut la première femme à régner sur l'Empire, non comme régente au nom d'un empereur mineur ou dans l'incapacité de régner, mais en son nom propre et en pleine souveraineté. Les ambassadeurs de Charlemagne et du Pape arrivèrent à Constantinople, apportant à l'impératrice byzantine une proposition de mariage de leur maître, pour qu'Orient et Occident fussent réunis. Entre-temps, une révolte de palais détrôna Irène et les plans d'unification ne se réalisèrent pas.

 

Pendant des siècles, les valeurs chrétiennes s'ancrèrent dans la mentalité des Européens. L'Évangile enseigne l'amour, la charité, la solidarité, le respect de l'homme, les fondements de la famille et demande la formation d'âmes libres qui pensent et travaillent pour leur propre salut et le salut des autres. Le respect de l'homme a guidé les combats pour gagner les Droits de l'homme.

 

Dès les premiers siècles de l'Église, les hommes ont travaillé les uns avec les autres, que ce soit à travers les synodes, les conseils épiscopaux..., introduisant ainsi une sorte de méthode " démocratique ".

 

Dans le monde hellénique, pendant la domination turque qui a duré quatre siècles (XVe-XIXe siècles), l'Église s'est occupée de l'éducation des jeunes, de leur formation morale et de l'enseignement des éléments de l'identité nationale. Elle organisait dans les églises des cours d'histoire grecque et de langues, rendait justice lors de différends en droit de la famille, des successions, etc. L'Église, c'est-à-dire le Patriarcat œcuménique de Constantinople, a, en général, joué le rôle d'instituteur pour tous les peuples chrétiens qui étaient sous domination turque. Elle leur a permis de garder la foi, la morale, la tradition culturelle et spirituelle des peuples du Sud-est européen, c'est-à-dire les racines chrétiennes de l'Europe.

 

C'est pour cela que la marche vers l'unification de l'Europe doit avoir pour objectif permanent qu'aucun citoyen ne perde la foi et le respect de la vie. Ces valeurs ne sont ni matérielles ni consommables ; c'est pourquoi elles sont toujours intactes, malgré la tourmente du marché mondialiste et la recherche exclusive du profit.

 

L'héritage chrétien de l'Europe attache une valeur exceptionnelle au caractère sacré et unique de la personne humaine comme étant l'image de Dieu dans le monde. C'est pourquoi il partage l'anxiété des pauvres, des chômeurs, des réfugiés, des êtres rejetés par la société, des individus marginalisés et de tous ceux qui subissent l'oppression.

 

L'héritage chrétien attache une importance particulière à l'institution de la famille et à la jeunesse. Il considère, comme étant d'un intérêt primordial, tout effort visant à renforcer le soutien social et la coexistence pacifique des citoyens dans le cadre de l'héritage spirituel de l'Europe. Pour les Européens, cet héritage constitue une synthèse de la civilisation hellénique, romaine et chrétienne.

 

L'héritage chrétien cherche l'unité dans l'identité nationale, tout en respectant la richesse de la diversité des peuples. Il contribue ainsi à éliminer la peur que l'Union européenne soit une menace pour l'identité historique et culturelle des peuples, et évite aussi le risque d'un retour à une introversion nationaliste.

 

Nous croyons que l'Europe ne saurait ignorer la longue influence du christianisme à tous les niveaux de l'esprit humain, ni les œuvres magnifiques qu'il a produites, comme étant un héritage culturel appartenant à l'humanité tout entière. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'Europe satisfasse aux conditions d'une renaissance européenne basée sur la paix et la démocratie.

 

Nous croyons que les efforts pour une Constitution européenne sont un processus démocratique pour donner à la conscience diachronique et à l'héritage spirituel des peuples européens des normes de droit. Dans ce sens, nous croyons qu'on peut faire des propositions tenant compte des principes fondamentaux de l'héritage européen :

 

a) Le principe de la liberté religieuse et des droits fondamentaux de l'homme doit être entièrement sauvegardé. Le prosélytisme doit être prohibé suivant le Traité de Rome et tel qu'il est garanti par les fonctions institutionnelles de l'Union européenne.

 

b) La conscience commune aux peuples européens sur les racines chrétiennes de leur héritage spirituel diachronique et contemporain doit être respectée ; de même que la liberté religieuse, relative aux confessions chrétiennes et aux religions.

 

c) Les rapports entre l'Église et l'État, qui ont une profondeur historique, doivent être confiés au droit national de chaque État, dans le cadre du principe de la liberté religieuse, comme le prévoit expressément la déclaration 11 annexée au Traité d'Amsterdam. On éviterait ainsi des tensions indésirables et inutiles sur la délicate question des traditions religieuses des peuples, traditions qui ont marqué – ou marquent encore aujourd'hui – leur identité nationale.

 

K. B.