Quelle est l'attitude du journaliste d'information religieuse face à la Vérité ? Et qu'est-ce que la Vérité ? Cette question de Ponce Pilate, considérons-la à double sens : 1/ Si le journaliste est chrétien, la Vérité, c'est le Christ et pour lui la question se pose en ces termes : " Comment annoncer le Christ le mieux possible, par le moyen du média dans lequel je travaille ? " 2/ Pour le journaliste non croyant, la vérité c'est la restitution fidèle des faits.

La question qui se pose est alors la suivante : " Quels devoirs incombent à un journaliste pour rendre compte le plus honnêtement possible du fait religieux ? "

Dans un fameux discours, à Los Angeles en 1987, et dans des communications plus récentes adressées aux médias, le pape a toujours demandé aux journalistes d'être des " collaborateurs de la vérité " : " L'exercice correct du droit à l'information exige que le contenu de ce qui est communiqué soit vrai et — dans les limites posées par la justice et la charité — exhaustif. Votre profession même vous invite à réfléchir sur cette obligation à l'égard de la vérité et de son caractère exhaustif. Cela comprend aussi l'obligation d'éviter toute manipulation de la vérité, pour quelque raison que ce soit. " Comment être collaborateur de la vérité ? Entre les médias et l'Église, c'est un perpétuel " je t'aime moi non plus ". Pourtant, l'Église est familière des médias : Radio Vatican fut créé par l'inventeur de la radio, Marconi, qui mit sa trouvaille au service de la Bonne Nouvelle et le premier objet imprimé par Gutenberg fut la Bible. L'Église a toujours " communiqué " parce que son but, sa raison d'être, est la mission et l'annonce de l'Évangile.

Notre réflexion portera moins pourtant sur la communication de l'Église (par la presse ou les radios chrétiennes) que par son accueil dans les médias profanes. Car tous les médias s'intéressent à l'Église : du Concile Vatican II, suivi pendant cinq ans par le monde entier, jusqu'aux Jmj qui ont fait l'objet d'une gigantesque couverture médiatique, l'Église " fait recette " dans les journaux et les télévisions. S'ils ne peuvent que se louer de l'intérêt suscité par l'Église, le clergé et les fidèles déplorent, à juste titre, un traitement médiatique souvent caricatural pour leur foi et déformant l'enseignement de l'Église (dans le domaine moral notamment). Pourquoi un tel malentendu ? Essayons d'en trouver les causes en observant le processus médiatique. Trois acteurs interviennent : le journaliste, le média qu'il utilise et l'Église qui est à l'origine du message.

 

I- La vérité du journaliste

 

Pourquoi, alors qu'il est en possession d'une information, le journalisme n'en fait-il pas un usage conforme à la vérité ? Quelles sont les contraintes qui — à son insu ou non — entraînent un manquement de sa part ? Ce qui suit n'est pas une suite d'excuses mais d'explications. Les entorses faites à la vérité par les journalistes ne sont pas toujours délibérées mais résultent plutôt d'une succession de contraintes de divers ordres. Ces contraintes, qui existent dans tous les domaines, sont encore plus fortes en matière religieuse : le fait religieux est un domaine spécifique et de moins en moins familier tant au journaliste qu'au public.

 

Les contraintes

 

Les contraintes sont d'abord internes. La vérité, pour un journaliste, c'est d'abord la vérité de son journal et de son rédacteur en chef : on n'écrit pas de la même manière à Famille chrétienne et à l'Événement du jeudi. Et le directeur de la rédaction de l'un n'aura pas les mêmes exigences que l'autre. Il faut bien convenir que tous les médias sont prisonniers de leur identité : ils ont un ton, une ligne éditoriale à respecter, d'autant que les lecteurs attendent ce ton et cette ligne. Or, en grande majorité, les médias ont vis-à-vis de l'Église une attitude de défiance qui les empêche de parler du pape et de l'Église sans les réserves d'usage (à moins d'être un éditorialiste renommé et de pouvoir imposer un point de vue contraire au reste de la rédaction). La ligne du journal peut court-circuiter une information et contraindre un journaliste à faire une entorse à la vérité des faits. Par exemple, en juin 1991, en voyage en Pologne, le Pape profita de la proximité du camp d'Auschwitz pour évoquer les crimes du xxe siècle et déclarer : " Ce cimetière des victimes de la cruauté humaine de notre siècle inclut un autre vaste cimetière, celui des enfants non nés, innocents sans défense. " Une agence de presse accusa le pape de faire un " amalgame " entre le génocide juif et l'avortement, entraînant un tollé mondial : tous les médias s'en emparèrent. À Paris, les rédacteurs en chef ordonnèrent à leurs envoyés spéciaux d'écrire leurs articles selon cet angle. À ceux qui ne le faisaient pas, il était ajouté un " chapo ", ou un encadré abordant cette question devenue incontournable à Paris (alors que, sur place, ce n'est pas cela qui ressortait du voyage). Les voyages en Ouganda ou à Timisoara ont fait l'objet d'une semblable déformation médiatique.

D'autres contraintes sont plus pratiques. Un journal — même télévisé — est un objet matériel : la place y est limitée, le temps du bouclage compté. Le journaliste est donc obligé de se plier à des règles parmi lesquelles il faut compter :

1/ La rapidité : comment prendre à fond connaissance d'un texte pontifical en quelques heures ? Quand le pape publie une encyclique par exemple, il y a un embargo : on reçoit le document quelques heures seulement avant sa publication. Ceci est surtout vrai pour les télévisions, les radios et les quotidiens. Cette contrainte a donné lieu à des gaffes célèbres. Ainsi un quotidien annonça la mort de l'industriel Marcel Dassault, par erreur : la rumeur avait couru à quelques minutes du bouclage. Pris par le temps, la rédaction n'avait pas pris la peine de vérifier et le lendemain, Dassault put lire, à la une, l'article qu'on lui consacrait. Il envoya élégamment une lettre à l'auteur, le félicitant du bien qu'on disait de lui.

2/ L'efficacité : à un journaliste, on demande d'expliquer le plus complètement un événement. Prenons l'exemple de l'éviction de Mgr Gaillot relevé de sa charge d'évêque d'Évreux : pourquoi ? comment ? L'événement, annoncé un vendredi vers 17 heures, a dû être traité rapidement. On retrouve d'ailleurs le même rythme fou pour d'autres sujets où la pression est forte : les paparazzi agissent dans un système insensé d'argent et de rapidité, poussés par les rédacteurs en chef et par les lecteurs. Lors de l'affaire Bill Clinton, les médias américains sont devenus fous pour apporter leur contribution à cette sordide histoire, violant la sacro-sainte loi des deux sources, qui oblige à une vérification. Ils ont repris des anecdotes et des détails parfaitement faux. Cette précipitation coupable, le Pape le leur reproche : " Votre industrie reflète le rythme rapide de l'information et le changement du goût. Elle brasse des sommes considérables qui ne sont pas sans poser à leur tour des problèmes. Elle vous soumet à la très vive pression de la réussite, sans vous dire ce que signifie véritablement "réussir". "

3/ Les limites techniques : comment traduire en deux ou trois feuillets, en quelques minutes d'antenne, en quelques images, un discours qui prolonge deux mille ans d'anthropologie, avec des références bibliques et théologiques ? Un événement qui nécessite de connaître le droit canonique ? Mission presque impossible. La tentation est grande, dans ces situations, de reprendre le plus anecdotique, le plus " sociétal ". Pour commenter l'encyclique Evangelium vitae, les médias prirent ainsi comme angle " la désobéissance civile " qui ne faisaient l'objet que de quelques lignes et qui justifiaient l'attitude de certains médecins, infirmières ou hommes politiques face à la question de l'avortement. " Les médias qui s'adressent à un public large, non spécialisé, ne peuvent pas rendre compte de l'intégralité d'un message d'Église. Ils sont obligés de choisir, donc de réduire. Pour le journaliste, il en va toujours d'une tension entre le respect de la vérité et sa liberté de sélection, d'écriture et d'interprétation. "

 

L'état d'esprit du journaliste

 

Le journaliste n'est pas une race à part et ses convictions vis-à-vis de l'Église sont le reflet de celles de son époque. C'est pourquoi on compte peu de journalistes qui, malgré les contraintes détaillées plus haut et parfois malgré leurs convictions convictions personnelles, feront leur travail loyalement, s'efforçant d'être des " intendants " de la vérité. Mais les journalistes ouvertement hostiles, les journalistes militants du Canard enchaîné ou de Charlie hebdo (dont on n'attend en effet aucune indulgence) sont aussi marginaux. Parmi les états d'esprit les plus répandus, il faut plutôt retenir :

– L'allergie. La plupart des journalistes — comme la plupart de nos contemporains — ont une vision de l'Église liée à leurs souvenirs d'enfance : le catéchisme, le " curé " et les " bonnes sœurs ". Ils ont en plus tendance à ramener la vie de l'Église à leur histoire personnelle et l'enseignement de l'Église sur l'homosexualité, le divorce, l'avortement, la contraception les heurte parfois dans leur vie privée. Comment informer des positions sur les divorcés remariés quand on l'est soi-même ? Comment expliquer pourquoi l'Église parle en ces termes de l'homosexualité si on l'on vit ainsi ? Difficile de relater sereinement un message qui renvoie à ses blessures, à ses manquements : " Lorsque l'homme en vient à parler de Dieu dans ce contexte, c'est surtout de lui-même qu'il parle et en particulier de la symbolique paternelle avec laquelle l'homme narcissique occidental a du mal à vivre. En effet le rejet de l'image du père, au moins dans nos représentations sociales (quand ce n'est pas dans les lois régissant la vie familiale) mutile la psychologie humaine de l'une de ses dimensions et développe une agressivité dont les effets de violence se manifestent de plus en plus dans la vie sociale. Il devient difficile dès lors d'accéder au sens de la loi. " Comment s'étonner dès lors que l'opinion personnelle prenne le pas sur un traitement professionnel ?

– La lâcheté. Entendons par là l'attitude d'un journaliste qui relaiera une information en " hurlant avec les loups ", considérant que son acte restera sans conséquences, l'Église n'ayant pas pour habitude de réagir violemment aux attaques dont elle est l'objet. Dans les rédactions, des hommes politiques ou des groupes sont connus pour exiger des droits de réponse, menacer de procès (comme Avenir de la culture). Pour l'Église catholique, on sait que les moyens de rétorsion sont faibles : on n'imagine pas un évêque téléphoner en haut lieu pour demander la tête du journaliste indélicat, ce qui arrive pour des hommes politiques ou des hommes d'affaires puissants (et attachés aux directions de journaux par des liens mondains). Certes, les choses changent : l'association Croyances et liberté existe depuis deux ans pour défendre l'image de l'Église et du clergé et protéger les fidèles (on se souvient des incidents provoqués par le film Larry Flint ou par la publicité Volkswagen).Mais l'épiscopat n'en est pas au point d'exercer une pression sur les rédactions, préférant tabler sur la responsabilité et le professionnalisme.

– L'incompétence. L'Église est un monde avec ses codes et son vocabulaires. Sa nature, le message qu'elle délivre, ne sont pas réductibles à l'activité de n'importe quelle association. Il convient que le journaliste connaisse l'Église de l'intérieur, soit par conviction, soit par professionnalisme, soit les deux. Or quels sont les médias qui disposent d'un spécialiste des questions religieuses à part le Monde, le Figaro, et Paris Match ? Les autres se contentent de détacher des journalistes qui viennent du service culture (Figaro Magazine) ou société (le Point). L'informateur religieux de l'Afp est une ancienne journaliste de l'Humanité, bonne professionnelle mais peu versée dans le religieux. Il leur est difficile de se former régulièrement sur la vie de l'Église. Il arrive que ce soit le stagiaire de service qui fasse le sujet avec des dépêches d'agence, quelques articles de revues de presse et... sa bonne volonté. L'expérience montre que quand on ne connaît pas un sujet, le plus facile est de se rallier à l'opinion dominante. D'où une impression de pavlovisme dans l'information tirée des mêmes dépêches ou des mêmes sources. L'actualité a fourni une preuve de ce problème de compétence : la décision du pape Jean-Paul II de relever Jacques Gaillot de sa charge est intervenue alors qu'à cette même date, il réunissait les jeunes pour les Jmj à Manille — tous les " informateurs religieux " professionnels étaient sur place là-bas. Ce sujet a donc été analysé en France par des journalistes non spécialistes qui ont réduit le fait à une simple " injustice ". Une perle parmi d'autres : quand la nouvelle a été connue que Jacques Gaillot était nommé évêque in partibus de Partenia, un grand media a traduit Partenia par Partenay (Deux-Sèvres). Des habitants de cette ville ont téléphoné au secrétariat de l'épiscopat à Paris pour protester contre une telle décision.

– La négligence des rédactions. Cette négligence est souvent d'ordre économique : il n'est pas rare de voir les rédactions faire l'économie d'un correspondant en Irlande, considérant que le correspondant à Londres fera bien l'affaire. De la même façon, elles renoncent à prendre les moyens d'un service " religion " parce qu'on ne parle de l'Église qu'épisodiquement, pour Noël et Pâques et à quelques occasions exceptionnelles (Jmj, élection d'un pape). Le problème est aussi d'ordre culturel : il correspond à une perte d'intérêt vis-à-vis de l'Église institution (ce qui ne signifie pas des phénomènes religieux). Sauf événement exceptionnel, les paroisses, les mouvements, le catholicisme dans ses manifestations quotidiennes, n'intéressent qu'un petit public. Quand il arrive que l'Église fasse la une des journaux, ce n'est pas toujours pour la rubrique religieuse : c'est le service étranger qui couvre les voyages de Jean-Paul ii (pour la rubrique relations internationales) ; l'élection du cardinal Lustiger à l'Académie française relève de la " culture " et les interventions de l'Église dans le " sociétal " de la rubrique " société ". L'enjeu spirituel est second.

Tout ceci pose le problème de la formation des journalistes. D'un côté, on assiste dans le jargon de la presse à un pillage des signes, des fêtes et des valeurs chrétiennes quand ce ne sont pas des représentations détournées de leur véritable signification, volontairement ou par ignorance culturelle : dans les journaux d'information, il est sans cesse question de la grand messe du RPR, du pape du rock, du dogme de la monnaie unique avec des consonances ironiques ou négatives. La publicité ne fait pas exception : on constate la fréquente utilisation de symboles religieux soit pour donner au message une valeur et une autorité soit pour faire de la dérision (prenons l'exemple de la publicité Bénetton montrant un prêtre et une religieuse — tous deux en habits traditionnels — en train de s'embrasser). D'un autre côté, cette dérive va de pair avec la montée d'une inculture face au fait religieux. La pauvreté du vocabulaire pour décrire la messe le montre assez : en septembre 1996, un journaliste de France Info annonça que le pape " donnait une messe ", comme on donne un concert, une représentation. À ce stade, comment peut-il comprendre ce que c'est que la casuistique ? la transsubstantiation ? Il n'y a pourtant pas là de fatalité. Quand on le veut, on parvient à trouver des experts, des interlocuteurs compétents. Ainsi, les médias, pariant sur un succès populaire des Jmj (du fait du succès du voyage de 1996), ont pris leurs précautions : la plupart des télévisions se sont offertes des consultants comme Mgr di Falco, évêque auxiliaire de Paris, ou le père Jean-Marie Onfray, vicaire général de Tours. Ceux-ci en ont profité pour faire un cours de catéchisme pendant les messes pontificales. N'est-ce pas la preuve que l'information religieuse, même si elle est livrée par des journalistes éloignés de cette réalité, peut être " de bonne volonté " ?

 

II- Le modèle médiatique

 

On ne voit pas l'intérêt de parler des trains qui arrivent à l'heure : il faut un déraillement pour qu'un Paris-Bordeaux fasse la une. Dans l'Église on sera plus tenté d'évoquer " une affaire " que la vie quotidienne de l'Église qui concerne pourtant des millions de gens en France. Le sociologue Tony Anatrella en a fait la constatation : " Alors que des milliers de jeunes sont souvent réunis dans des rassemblements à l'initiative de leur aumônerie, de leur mouvement, de leur diocèse, il est rare qu'il en soit fait mention dans les médias et en particulier à la télévision. En revanche, tel n'est pas le cas pour des groupes plus restreints qui n'ont pas la même envergure en nombre et en constance pédagogique mais qui ont plus facilement accès aux radios et aux télévisions. " Le risque de cette dérive est de donner l'impression que la vie de l'Église se déroule toujours autour des mêmes personnages et des mêmes événements (" les affaires ") et d'occulter toute la vie quotidienne. Pourquoi lors de la réunion œcuménique qui s'est déroulé le 13 mai 2000 à Lyon, les médias n'ont retenu que la présence de Jacques Gaillot, interprétée comme la réconciliation de l'évêque avec l'Église de France occultant la démarche autrement plus importante de dialogue entre les représentants des différentes confessions chrétiennes (et provoquant le courroux des participants face à l'attitude ostentatoire de Jacques Gaillot) ?

Ce constat pose la question du traitement médiatique, par la télévision mais aussi par la presse magazine : " Les chaînes de télé doivent déployer des efforts incroyables d'imagination en misant sur l'aspect émotif, sensationnel ou scandaleux de leur programme " remarque l'ancien porte parole de l'épiscopat, Mgr Jean-Michel di Falco.

 

L'avènement du spectaculaire

 

Les médias requièrent du spectacle : parce que c'est simple, c'est choc, et que cela fidélise l'auditeur. Or pour faire du spectaculaire il faut des événements, des vedettes (si l'on en manque, au besoin, on les fabrique de toutes pièces), et des affrontements. L'Église est-elle la seule à affronter le rouleau compresseur du système médiatique ? Il semble au contraire qu'aucun secteur ne soit épargné : dans l'État séducteur, le médiologue Régis Debray montre la naissance d'un État qui se plie aux règles médiatiques et abdique tout idée de doctrine (de docere, dire, enseigner), de ligne, de hiérarchie . La justice est dans la tornade : la présomption d'innocence est battue en brèche par les médias qui font toujours du mis en examen un coupable présumé. Quant à la politique, on constate son adaptation au médiatique : déclarations importantes annoncées au 20 h 00, " petites phrases ", vedettariat forcené, vie politique scandée par les événements médiatiques (élections). La politique subit le règne du médiatique. Et l'Église ? Écoutons un professionnel de la télévision, Bernard Pivot : " Est indubitable en tout cas la connaissance par les acteurs de la vie publique des émissions et des heures où il faut passer à l'antenne pour être vu par le plus grand nombre. Les présidents de la République, les ministres, les comédiens [...] les syndicalistes sont informés par leur attachés de presse des scores d'audience des journaux des trois premières chaînes. Ils parlent de " l'access prime time " comme les chefs d'orchestre de préludes. Ils adaptent leur parole à la ménagère de moins de cinquante ans ou à l'intellectuel insomniaque. Les plus avisés ou les plus malins en savent autant que les pros de la télé. Seuls les papes se sont trompés en plaçant la messe le dimanche matin. Très mauvais pour l'Audimat. Mon Dieu, quel erreur dans le marketing du Saint-Esprit ! "

Les médias voudraient bien que l'Église et ses responsables se plient aux règles du jeu qu'ils imposent. Le problème, c'est que, comme le sait Pivot, elle n'est que rarement spectaculaire : les médias demandent des " nouvelles " (jadis synonyme de journal d'information — on écoutait les " nouvelles ") et l'Église annonce la Bonne Nouvelle qui a deux mille ans et qui est intangible. C'est pour cette raison que les médias créent parfois du nouveau où il n'y en a pas. On créé des " affaires " (notons que le mot, dans l'inconscient, évoque une injustice comme " l'affaire Dreyfus " ou une malversation comme " l'affaire Stavisky ") : " l'affaire Gaillot ", " l'affaire du préservatif ". À partir d'une " petite phrase ", souvent involontaire, dite par un évêque ou extraite d'un texte portant sur un sujet sensible, on crée une mise en scène dramatique : interview de contradicteurs, soit au sein de l'Église soit à l'extérieur, mise en procès de la hiérarchie (le pape, les évêques de France) par des " autorités " médiatiques. L'" affaire " est lancée. Le rapport Rouet sur le Sida est un exemple. Le spectaculaire peut prendre plusieurs formes :

 

– Le croustillant. Le 1er juillet dernier, à quelques semaines des Jmj à Rome qui rassemblera des centaines de milliers de jeunes, la presse s'est fait largement l'écho de la WorldGay Pride à laquelle Mgr Gaillot, encore lui, souhaitait participer jusqu'à ce que le Vatican lui signifie qu'une telle démarche serait inopportune. Pour les journalistes une aubaine, une polémique en perspective... Autre forme de croustillant : l'information se fait aussi aujourd'hui à partir de reportages people sur les vedettes ; informer sur un journaliste, c'est le rencontrer chez lui en famille, dans sa résidence secondaire, etc. Quel sens ce type d'approche a-t-il dans l'Église ? Ses membres se prêtent mal à ce genre de procédés. Certains journalistes accusent l'Église d'être la Grande Muette, d'afficher en façade un visage unitaire — et parfois terne. C'est pourquoi une certaine presse s'est singularisée dans " l'indiscrétion ecclésiale " : le mauvais caractère de tel évêque qui sous-entend la nature autoritaire de l'institution, le " couac " interne dans telle décision qui renforce l'impression d'arbitraire, et qui prend le pas sur le fond de l'événement. C'est ce qui fait le succès (relatif) du journal contestataire Golias qui s'est posé en agence d'événements " croustillants " : ses informations sont fréquemment reprises par d'autres médias, télévisions ou magazines.

 

– Le superficiel. Le spectaculaire n'est pas seulement un " genre " imposé par le média. C'est une façon aussi de renoncer à expliquer plus en profondeur l'ampleur d'un événement religieux. Plutôt qu'une explication de fond qui échappe ou qui indispose, on en reste à la surface des choses. Avant, pendant et après le succès des Jmj, on a cité des chiffres, utilisé des superlatifs, parlé d'" émotion ", de " ferveur ", " d'enthousiasme ", sans toujours aller plus loin. Ce que raconte le journaliste du Nouvel Observateur, Jacques Julliard : " Les commentateurs autorisés — mais par qui ? — se sont exclamés, en guise d'explication : "Jean-Paul II superstar !" Comme si pour rendre compte d'un phénomène d'ordre spirituel, ils ne continuaient à ne disposer que des concepts de la pub. Si ce vieux pape a réuni la jeunesse, ce n'est pas parce qu'il est une idole païenne. C'est parce qu'il leur a parlé sérieusement. " Pour rendre compte d'événements, suffit-il d'" informer " ou faut-il " expliquer " ? Le public attend-il de " savoir " ou de " comprendre " ? Pour l'information religieuse, cette question prend un sens important : est-il plus important de comprendre pourquoi le pape a révoqué Mgr Gaillot ou de tout savoir sur les circonstances de cette décision, ses conséquences et les milliers de réactions qui ont suivi ? Pour les Jmj, de nombreux médias, télés et hebdos ont consacré des sujets à l'aspect " gigantisme et détail " : le nombre de poêles à frire et de sanisettes, les problèmes posés par l'accueil d'un tel nombre d'étrangers, etc. Le côté happening ne leur a pas non plus échappé : des jeunes sympathiques, beaux et bronzés, allongés sur les pelouses de Paris. C'est bien (ça rend l'événement attrayant) mais ce n'est pas suffisant : pourquoi viennent-ils ? À quoi croient-ils ? Qu'attendent-ils de l'Église ? Quand on est journaliste — et à plus forte raison d'information religieuse — , faut-il choisir de diffuser une info genre France Info (tout savoir en quelques minutes) ou accepter de faire un travail plus ingrat : communiquer une information sélectionnée, hiérarchisée afin d'appréhender un sujet dans sa globalité au risque de la rendre moins " sexy punchy " mais plus intelligible ?

 

L'émotionnel. Au lieu d'étudier un sujet au fond, en expliquant les arguments qui l'ont motivé, on le traite sur le mode sensible. On réduit un problème moral à des cas personnels, dignes de respect mais qui paralysent toute réflexion. La position de l'Église sur l'homosexualité est ainsi en permanence traitée par les médias à partir d'anecdotes : on montre à quel point son discours et son attitude " heurtent " des hommes et des femmes dans leur vie quotidienne ; on " psychologise " le débat. Le psychanalyste Tony Anatrella raconte qu'il refusa de participer à une émission télévisée sur l'homosexualité en apprenant que les autres invités seraient des prêtres et des religieuses " homosexuels ". Il expliqua que l'émission perdait de son intérêt en étant réduite à des confessions de personnes blessées et qu'elle ne lui permettrait pas d'expliquer sereinement l'enseignement de l'Église. On trouve un autre exemple récent dans la décision du Vatican d'interdire aux centres de consultation allemands de délivrer des certificats pouvant conduire à l'avortement. L'Afp a largement relaté l'événement par des dépêches comme celle-ci, datée du 24 janvier 1998 : " Un centre attend avec angoisse la décision papale " : d'un côté, " une maison aux murs roses ", sa responsable " une brune souriante ", " les collaboratrices laissent entrevoir leur inquiétude entre deux sourires ". De l'autre " les consignes du pape ", " la menace qui plane sur le centre ". Suivait le témoignage d'une " cliente " : " L'aide est extraordinaire. On ne sent absolument pas qu'il y a un rapport avec la religion " (sic). Aucune explication de la cohérence d'une telle décision, aucun rappel bref de la doctrine constante de l'Église, aucune citation de l'encyclique Evangelium vitae sur la compassion et l'aide à donner aux femmes en détresse ou sur les centres chrétiens (Mère de miséricorde) ne venait compléter ces dépêches. Un seul but à un tel procédé : faire pleurer Margot sur la dureté d'une attitude qui met des centaines de femmes en détresse.

 

La dialectique. Puisque le spectaculaire exige des affrontements, les journalistes sont tentés de tout monter en opposition, au risque de caricaturer la vérité. C'est ainsi que de faux débats font régulièrement surface. On réduit l'Église aux clivages traditionnaliste/progressiste, gauche/droite et son discours à l'alternative : interdit/liberté. À propos du Sida et du préservatif, on a lu et entendu cent fois : " L'Église est contre le préservatif. Les médecins sont pour. " Quel sens cette opposition a-t-elle sur un sujet aussi sensible, aussi tragique ? On fait l'impasse sur le contexte, sur le sens du discours de l'Église, sur la " casuistique " prônée par l'Église (le cas par cas). Pour que le spectacle soit bon, les médias ont pris l'habitude de monter des plateaux confrontant " invités pour " et " invités contre ". Deux opinions divergentes donnent l'apparence de l'objectivité et permettent une mise en perspective. Cette méthode, concevable pour des sujets " relatifs " (politiques, économiques ou sociaux), atteint ses limites quand il s'agit de l'Église. Pourquoi ? Parce qu'elle radicalise d'emblée le débat : pour qu'il y ait opposition franche, il faut choisir un contestataire et un intégriste : par exemple Mgr Gaillot et un prêtre de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Le spectacle est assuré mais la vérité peut-elle jaillir de tels débats où les personnalité n'ont même pas la même autorité ? Quand en 1993 le pape publia l'encyclique Veritatis splendor, les télévisions invitèrent Mgr Decourtray et Mgr Lustiger avec, en face d'eux, un opposant, Christian Terras, directeur du journal Golias, dont la seule compétence est de représenter un courant catholique ultra-minoritaire (en outre vieillissant et en perte de vitesse). De quelle autorité peut se recommander le directeur de Golias face au cardinal archevêque de Paris ? Le problème c'est que les journalistes ignorent que l'autorité en question, ce n'est pas tant la compétence théologique que le sacrement : un évêque est le successeur des apôtres dont la mission est de confirmer ses frères dans la foi. En face, Terras est un quidam dont l'opinion, respectable, n'est qu'une opinion étrangère à l'Église tant qu'elle ne reconnaît pas l'autorité du magistère... À ce petit jeu, les médias peuvent créer des contresens graves quant à la nature de l'Église catholique. Par exemple, on va opposer à un texte de la congrégation pour la doctrine de la foi l'opinion d'un groupe de prêtres. Or dans l'Église, et sur les questions de foi et de mœurs, la Vérité provient-elle du nombre (démocratie) ou bien du pape (c'est-à-dire en l'occurrence du Christ) ? Idée difficile à admettre dans le monde d'aujourd'hui. Dans l'air du temps, on pense qu'une décision venant " d'en haut " est arbitraire et qu'elle peut (qu'elle doit) être contredite par la base. En procédant de cette façon, le journaliste aura cru faire œuvre d'objectivité.

 

 

 

III- La responsabilité de l'Église

 

L'Église communique-t-elle bien ? Tout le malentendu avec les médias ne provient-il pas d'elle ? Réponse de Mgr Jean-Michel di Falco : " Si l'on appelle "mal communiquer" le fait de ne pas tout sacrifier aux règles du jeu médiatique, le fait de considérer que le message de l'Évangile n'est pas adaptable à n'importe quel prix, alors c'est à l'honneur de l'Église que de ne pas se conformer à un monde où le vraisemblable a plus de poids que le vrai. " Toutefois, sans mettre qui que ce soit en procès, peut-on réfléchir à ce qui pourrait être fait du côté de l'Église (notamment l'Église en France) pour améliorer les relations avec la presse ?

 

Les contraintes imposées de l'extérieur

 

On l'a vu, pour qu'il y ait spectacle, les médias exigent d'abord un événement : par les rencontres du pape avec Fidel Castro, son voyage en Terre Sainte, le sommet d'Assise, les 4 millions de personnes des Jmj de Manille, le million de celles de Paris, l'Église a montré qu'elle pouvait " faire l'événement ", comme aucune institution dans le monde. Les médias sont demandeurs : après le succès du voyage pontifical à Auray, Tours et Reims (foules nombreuses, jeunes, " spectacle " assuré par les foulards, les danses et la messe), ils avaient sollicité l'Église dès le mois d'octobre 1996 pour retransmettre les principales cérémonies des Jmj. Le même empressement est de rigueur pour celles de Rome.

Pour qu'il y ait spectacle il faut aussi des vedettes. Or, on le sait, le Pape est un formidable acteur : naguère il baisait la terre quand il arrivait dans un pays. Il a le génie de l'improvisation. Une " bénédiction " pour les télévisions et les photographes. Plus près de nous, dans l'Église en France, Jean-Michel di Falco, avec sa " gueule " d'acteur, " passe bien ". L'abbé Pierre — dont le " coup médiatique " à Radio Luxembourg en hiver 54 est resté fameux — est aussi un chouchou des médias. Quand elle n'en a pas sous la main, la télévision crée ses vedettes : dans le rôle que les médias lui avait assigné, Mgr Gaillot était parfait avec ses yeux bleus, son air humble et sa voix douce. Avec ces atouts, l'Église peut tirer " profit " des médias, au moins à court terme.

Certaines manifestations " spectaculaires " peuvent être médiatisées. Le pèlerinage de Chartres à la Pentecôte est ainsi très médiatisé (pas forcément dans des termes favorables). Tous les ans les journaux en parlent. Pourquoi ? À cause de son caractère " folklorique " : bannières, cantiques traditionnels, etc., " font de l'image ". Même effet pour le Tour de France des Vierges pèlerines en 1996 ou les moines des Fraternités de Jérusalem (Saint-Gervais à Paris). Dans ces trois cas il y a une sur-médiatisation par rapport à leur poids " réel " dans la vie de l'Église. Tout ceci est positif. Grâce à la télévision ou à la radio, le message peut aller directement chez les gens. Pie xii l'avait observé dès 1949 : " Grâce à la télévision, de nombreux fidèles ont pu suivre par la vue et par l'ouïe la messe de minuit. [...] Que sera-ce quand l'univers pourra contempler directement, dans le temps même où elles se déroulent les manifestations de la vie catholique ? " Grâce à l'audiovisuel, l'expression urbi et orbi est devenue une réalité : les messages du pape sont bel et bien délivrés à la ville et au monde. La veillée baptismale du samedi 23 août à Longchamp a été suivie en direct par des millions de téléspectateurs, sans que rien ne soit concédé. Il y a pourtant un risque de banalisation : un évêque sur un plateau de télévision dispose de la même autorité télévisuelle qu'un chanteur ou qu'un homme politique, sa parole le même poids et le même caractère fugace. Un autre risque est de voir se constituer ainsi une " télé-Église " : les médias peuvent court-circuiter l'Église et tous ses échelons intermédiaires, la hiérarchie dont le rôle est d'enseigner, d'expliquer, au besoin de rectifier. Le " magistère parallèle " de Jacques Gaillot ou du théologien allemand Eugen Drewermann s'est beaucoup appuyé sur les médias pour s'exprimer et pour se défendre, en passant par dessus l'Église (les autres évêques pour Mgr Gaillot, l'évêque de Paderborn en ce qui concerne Drewermann).

 

Les contraintes internes

 

Si les médias imposent des règles, l'Église catholique est tenue de ne pas agir n'importe comment. Elle doit d'abord refuser de réduire l'Évangile et l'enseignement de l'Église à un " discours slogan ", superficiel ou croustillant. Mais si l'habitude de l'Église n'est pas de communiquer, jusqu'où doit aller cette discrétion ? Certes, " le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien ". Oui mais jusqu'où ? Il y a des situations où l'Église hésite encore entre le huis clos et la médiatisation : l'assemblée plénière des évêques de France où l'Église ouvre par exemple seulement quelques sessions aux médias, déclenchant critiques et suspicion. L'autre risque pour l'Église serait de pratiquer un discours consensuel : pour ne pas " rompre l'unité ", le message de l'Église, caractérisé par un discours très codé, très clérical, très tiède ne passera pas toujours au dehors et sera perçu comme une sorte de langue de bois — langue de buis.

L'Église n'a pas non plus à choisir ses responsables pour leur aura médiatique mais pour leurs qualités spirituelles et pastorales : un évêque ne doit pas " bien passer la télévision " pour être nommé. Il lui suffit d'être un bon pasteur. Mais si l'Église n'a pas vocation à être représentée par des vedettes, si le principe est que les personnalités s'effacent au profit de la communauté, si les évêques ne se mettent pas en avant à cause de la collégialité épiscopale, si la notion de peuple de Dieu entraîne une discrétion générale des laïcs, faut-il qu'elle n'ait pas de visage ? Par exemple, le Secours catholique est la seule association humanitaire d'envergure à ne pas avoir de représentant " médiatique ". Cela n'a pas que des avantages. Quand on cherche les noms de ceux qui parlent aujourd'hui en France au nom de l'Église, on pense au cardinal Lustiger, à Mgr Billé, à Mgr di Falco, au père Lalanne, à Tony Anatrella. Mais qui est le laïc catholique qui la " représente " dans les médias ? Jacques Duquesne ? On aborde ici un autre problème qui devrait faire réfléchir l'Église, clergé et laïcs, sur le visage qu'elle donne d'elle-même dans les médias.

Est-ce une fatalité ? La tentation de l'Église vis-à-vis des médias est double : soit de les " bouder ", comme on l'a vu ; soit de s'imaginer que la sincérité suffit : certains catholiques, prêtres ou laïcs, arrivent sur des plateaux de télévision (Dechavanne, Delarue), armés de leurs seules convictions et de leur bonne volonté pensant que cela suffit pour défendre des positions difficiles à exprimer et à expliquer. Souvenons nous de l'émission Envoyé Spécial en 1996 consacré aux " Croisés de l'ordre moral ". Certains intervenants savaient-ils à qui ils allaient s'adresser, dans quels contexte, avec quelles garanties ? Avaient-il préparé leur intervention, leur vocabulaire, leur look ? Or les médias sont une terre de mission : avant d'envoyer des missionnaires en Chine, leurs supérieurs leur font apprendre la langue et les usages locaux. De même, il faut connaître les médias, leur fonctionnement et tenter d'en dompter les méthodes pour tenter d'annoncer l'Évangile dans cet univers qui nous est peu familier.

 

IV- Le malentendu entre l'Église et les médias

 

Depuis l'extraordinaire explosion technique des médias, ceux-ci peuvent être considérés comme une culture autonome, comme " le quatrième pouvoir ". Ceci est frappant avec la télévision. Du fait de la force du média audiovisuel, l'événement n'est plus dans ce que dit l'Église ou toute autre institution, mais dans ce qu'en disent les médias (c'est-à-dire, ce qu'ils ont sélectionné et ce qu'ils ont rapporté). Dans L'Emprise, Régis Debray compare cette force contraignante que représente les médias (information et condamnation) à ce que fut (ou à ce qu'on croit être) " l'Inquisition ", autrement dit une force temporelle puissante mise au service d'une morale . Faut-il pour autant songer à un complot, à une main invisible qui manipulerait ce formidable pouvoir ? Plutôt que des forces occultes, c'est la force de l'inertie, celle de la foule anonyme, qui dirige les médias. Le phénomène médiatique fait songer à une avalanche en montagne : déclenchée par on ne sait qui, elle dévale la pente en emportant tout sur son passage. Il est impossible de l'arrêter ou de rectifier son cours. Elle suit la pente, les idées du grand nombre, de l'air du temps et accrédite les opinions dominantes : le mythe du " progrès " : il reprend le postulat selon lequel la science possède une infaillibilité qu'il refuse d'ailleurs à la religion. Les progrès en bioéthique ou en euthanasie sont jugés d'après des critères scientifiques et non éthiques. Aucune question sur la dignité de l'homme n'est recevable quand il s'agit de " progrès " contre les maladies, la douleur, etc. Le mythe de la liberté : sur l'homosexualité, les relations sexuelles, la contraception, le discours est le même. Je cite l'archevêque de Reims qui s'interrogeait sur cette question : " S'opposant à une mémoire janséniste de culpabilité, l'élargissement dans ce domaine prend la forme d'un combat pour la liberté. " L'attachement à la charité aussi parfois. Et là, force est de constater que l'Église a plutôt bonne cote, on le verra plus tard.

 

Dans la grille

 

Sûrs de leur pouvoir de " faiseurs d'opinion ", les journalistes ont parfois la tentation d'imposer aux institutions leur grille de lecture, leur règle du jeu (sous des prétextes techniques : discours simple, vision binaire, etc.) et aux événements leur vision du monde. Sur le référendum de Maastricht comme sur la guerre au Kosovo, il y a eu dans les médias français, un son de cloche largement dominant. Sur l'attitude du pape à propos du préservatif aussi, au point qu'à les entendre, on pouvait croire que le pape n'arrêtait pas d'en parler. Songez qu'il n'a jamais prononcé le mot ! Ce n'est pas moi qui le dit, mais le journaliste Jacques Julliard fustigeant le ton monocorde d'une certaine information : " Le jour du Jugement dernier, ils feront encore leurs papiers sur Wojtyla et le préservatif. " Quand il s'agit de l'Église, signe de contradiction pour notre temps, cette grille d'analyse sommaire ne fonctionne pas. Le credo journalistique se résumant aux quelques notions que sont l'idéologie démocratique, " le démocratisme ", l'égalité homme/femme et la tolérance, l'information concernant l'Église peut entraîner des contresens allant jusqu'à la désinformation : selon le sens commun journalistique, le fait de réserver le sacrement de l'ordre aux hommes est considéré comme de la misogynie, la nomination des évêques par le pape est un acte d'autoritarisme anti-démocratique et l'infaillibilité pontificale est la preuve que l'Église est une dictature dogmatique. Si la vie de l'Église et son mystère sont analysés au moyen d'une grille commune par les médias, elle est réduite à une association comparable aux autres : association culturelle, club de football, parti politique, etc. Un événement comme l'éternel " bras de fer " entre le pape et Mgr Gaillot sera analysé comme la tension entre un membre du gouvernement et le premier ministre, un animateur de théâtre et une municipalité ou un entraîneur de football et les actionnaires du club : Jacques Gaillot est le " gentil " qui s'occupe des exclus et tient un discours sympathique sur beaucoup de sujets tragiques (Sida, homosexualité, guerre, mariage des prêtres, etc.). Face à lui, le " méchant " venu d'un haut lieu qui veut le faire taire à tout prix : c'est le mythe romantique de l'électron libre porteur d'une " autre parole " et l'institution forcément contraignante.

Selon cette analyse, qu'en est-il de la spécificité de l'Église ? Que devient la collégialité épiscopale, la communion dans l'Église, la succession apostolique ? Quel média a-t-il étudié ces termes essentiels dans le fonctionnement de l'Église institution et corps surnaturel, pour comprendre une telle décision ? Les médias refusent cette spécificité : reflets de notre époque, ils n'admettent pas que la Vérité vienne d'en haut, transmise et confirmée par le pape et les évêques et qu'elle ne se valide pas au moyen d'un référendum et de consultations populaires. Cette exception exaspère les journalistes au nom de la toute puissance de l'information, du " droit de savoir ", etc. C'est pourquoi ils tentent de faire entrer à tout prix l'Église dans " la grille ".

Régulièrement, les médias essayent de faire de l'Église catholique un objet utilisable dans le champ médiatique. Par exemple un sujet de magazine fréquemment traité est : " Qui sera le prochain pape ? ", avec pronostics sur le successeur. Ce thème est caractéristique ; il manifeste un besoin de " nouveauté " : le pape a bientôt vingt ans de pontificat et pour un journaliste, ça ne bouge pas assez (dans le même temps la France a connu trois septennats, les États-Unis six présidences). Le système pontifical n'est pas " médiatique " : l'Audimat requiert du nouveau. Cela explique la tentation du journaliste de faire entrer l'Église dans le jeu médiatique maintenant admis pour la vie politique. À chaque échéance électorale, journaux, radios et télévisions se lancent dans la ronde des sondages, la mise en scène des favoris, les reportages sur le terrain et l'organisation de soirées électorales : grand spectacle autour d'un événement qui a pour intérêt de faire du nouveau. De la même façon, dans les dossiers sur " Qui sera le prochain pape ? ", on présente les favoris en présence, les enjeux, les chances et les handicaps des uns et des autres en fonction des besoins et des défis de l'Église. Rien ne distingue cette campagne d'une élection présidentielle classique, hormis le fait que, dans l'Église, on ne connaît ni le jour ni l'heure de l'événement, ni l'influence de l'Esprit-Saint sur l'élection du nouveau pape. À l'élection de 1978, les pronostiqueurs s'étaient tous trompés. Ce sont les mêmes qu'on sollicite aujourd'hui pour trouver un successeur à Jean-Paul ii !

 

Pas de concurrence

 

Quelle place pour l'Église dans cette culture médiatique ? S'il y a tension entre l'Église et les médias, c'est, explique Mgr di Falco, parce que " la télévision est véritablement devenue la religion des temps modernes. Elle structure notre société et notre culture, exactement comme le faisait l'Église il y a moins d'un siècle ". À ce titre elle est devenue une " Église " comme le montre Régis Debray. Intuition confirmée par Bernard Pivot : " La télévision n'a jamais autant servi de forum unitaire. Et cette fonction de rassemblement est d'autant plus nécessaire que les églises et la famille l'assurent de moins en moins ". Les médias ont une philosophie du " tout est relatif ". On l'a vu plus haut, ils refusent toute idée de transcendance (sauf sur les droits de l'homme). Ils relativisent toute idée d'autorité. Ils ont aussi leur notion du temps, qu'ils imposent à la société sous la forme du zapping (depuis quelque temps la politique semble être devenue une sorte de zapping, entre la droite et la gauche). À l'inverse, l'Église incarne la durée, notion insupportable à la télévision : " L'Église vit au rythme des saisons, de la vie des hommes et des sociétés, alors que la télévision est le royaume de l'éphémère. "

Voilà pourquoi la télévision est comme Chronos : elle dévore ses enfants. Elle brûle ceux qu'elle a adorés. La liste est longue. Arrêtons-nous encore une fois sur Mgr Gaillot qui, depuis son éviction, et à son grand dam, ne représente plus rien pour les médias : le 22 mai 1996, au Trocadéro, à la cérémonie en hommage aux moines de Tibherine, c'est en vain qu'il implorait les journalistes de recueillir ses impressions sur l'événement. Ce procédé de canonisation/diabolisation a des conséquences graves : les médias ont célébré le cinéaste Cyril Collard (les Nuits fauves) comme le nouveau romantique puis l'ont rejeté dans les ténèbres quand on a su qu'il avait contaminé la petite fille d'un écrivain connu. Les journaux, télés, radios ont procédé de la pire des façons : ils ont condamné la personne sans jamais porter le moindre jugement sur son comportement (la bisexualité, le vagabondage sexuel, etc.). Attitude inverse à celle de l'Église qui, à la suite du Christ, dissocie les deux : elle pardonne au pécheur (" va et ne pèche plus ") mais se réserve le droit de juger sévèrement les comportements. Il y a là une opposition irréductible entre le tribunal médiatique et l'attitude chrétienne. Et ce sont les mêmes qui qualifieront l'Église de " dure ".

Voilà pourquoi, entre l'Église et les médias, le malentendu est profond : ceux-ci voudraient adapter le message de Jésus Christ au monde d'aujourd'hui et celui-là veut adapter le monde d'aujourd'hui au message de Jésus Christ. Dans les médias, comme dans l'ensemble de la société, l'Église est ainsi perçue : on admet son existence et son rôle quand elle est " le pompier de la société ", chargée d'éteindre le feu, de soigner les maux matériels et moraux. Le Secours catholique a bonne presse ; l'abbé Pierre possède tous les attributs de la charité : le béret, la robe de capucin, le regard doux, le bâton de pèlerin ; on a donné le prix Nobel à Mère Teresa pour son action en faveur des pauvres et à Lech Walesa parce que — quoique catholique — c'était un modeste ouvrier. Mais si l'Église veut faire de la prévention, avoir un discours sur ce qui conduit à la détresse, on ne l'écoute plus : mère Teresa a été critiquée pour son discours sur l'avortement, Walesa, devenu président a été jugé rétrograde par les médias occidentaux et l'abbé Pierre, invité au Sidaction de 1995, a été hué et sifflé par les extrémistes d'Act Up pour avoir prôné la fidélité. L'année précédente, la même émission avait tout simplement boycotté le message enregistré par le père di Falco rappelant l'enseignement de l'Église sur le sujet. La télévision refuse toute concurrence dans son magistère culturel.

 

Marges de manœuvre

 

De quels moyens dispose l'Église ? Face à ce " pouvoir " dont on a parfois l'impression qu'il est devenu fou, quelle marge de manœuvre pour les utilisateurs ? De quels moyens disposent les lecteurs de journaux, les auditeurs, les téléspectateurs ?

Si l'information est devenue un produit du système libéral soumis à la loi de l'offre et de la demande, à la publicité, à l'Audimat, il y a moyen d'agir. Les consommateurs d'information, c'est-à-dire tout un chacun peuvent agir, réagir :

Par le courrier aux chaînes et aux rédactions : dans les médias on sait qu'une lettre reçue signifie que cent personnes qui n'ont pas écrit partagent l'avis du mécontent. Soyons-en convaincus : un courrier argumenté, poli et pas trop stéréotypé fait de l'effet. Il montre que les catholiques existent, ont un avis cohérent, et donc qu'ils ont de l'influence. Par le boycott : si une chaîne de télévision ou un journal vous déplaît, il faut ne plus l'écouter, ne plus le lire et surtout le faire savoir. Écrire pourquoi l'on se désabonne : c'est un langage que les responsables des médias entendent et comprennent. En 1980, les Polonais mettaient leur poste de télévision sur leur balcon pendant les discours officiels du gouvernement. Faudra-t-il aller jusque là ? Par la concurrence : la multiplication des chaînes de télévision, la multiplicité des journaux permettent de choisir. À condition de le faire savoir. Auprès de médias qui recherchent le public catholique, cela fait de l'effet. Mais surtout, face à la toute puissance médiatique, l'engagement des chrétiens est primordial. Si les médias sont une avalanche, aux chrétiens d'orienter la pente. Certains le font pour les sujets qui leur tiennent à cœur (les homosexuels par exemple). Pourquoi pas les chrétiens ? Sont-ils moins nombreux ? À eux de s'emparer d'un sujet religieux, et lui donner un sens. L'expérience prouve que de petits groupes bien formés peuvent infléchir un événement : les médias, quoique difficilement accessibles pour certains d'entre eux, ne sont que ce qu'on en fait. L'engagement des laïcs, régulièrement rappelé par le pape, est-ce de proclamer l'Écriture sainte à la messe ou bien de se former pour être présent dans les milieux politiques, scientifiques, médiatiques et d'y apporter le témoignage de la sagesse chrétienne ? Combien de jeunes catholiques choisissent-ils de s'engager dans les médias ? Combien de chrétiens choisissent-il la rubrique religion — moins valorisante que l'économie, moins amusante que le sport ? Combien sont-ils formés pour cela (connaître l'Église de l'intérieur, son enseignement, savoir l'expliquer, réfuter les objections) ?

 

Médiatiser ou exister ?

 

Au terme de cet article, la question se pose : à quoi servent les médias dans l'annonce de l'Évangile ? Un média a-t-il jamais converti quelqu'un ? Peut-il remplacer une vie communautaire de type ecclésial ? Pascal Pingault, fondateur d'une communauté nouvelle, le Pain de vie, répond : " Si les médias permettent de délivrer une information, ils ne suffiront jamais à la construction d'une communauté-communion. Pourtant nombreux sont ceux, dans l'Église, qui s'imaginent qu'en gagnant sur le terrain des médias, on progresse aussi sur celui de l'évangélisation. [...] C'est l'esprit moderne qui veut ça : parce qu'on est passé à la télévision, soudain on existe. " Le philosophe Jacques Maritain disait qu'à l'ère des masses (mass-médias), on ne ferait jamais l'économie des petits groupes où la rencontre personnelle est seule possible : le Christ parle à la foule et convertit. Mais il guérit aussi la femme qui touche son vêtement : le fait qu'il y ait une foule n'empêche pas le Christ de visiter chacun personnellement. Le christianisme à l'heure des médias nous est révélé dans l'Évangile par l'exemple de Zachée : gêné par sa petite taille et par la foule nombreuse, Zachée était monté sur un sycomore pour voir le Christ et se tenait donc à distance (distance en grec se dit télé). Le Christ en le voyant le prie de descendre et de le recevoir chez lui : il lui demande une entrevue personnelle. Connaître l'Église et le Christ à travers un média c'est donc le voir, l'entendre à distance. Est-ce suffisant ? Cela prépare le cœur à le recevoir, cela enrichit le terrain qui recevra le Christ. Mais cela ne remplace pas la rencontre personnelle avec Dieu.

 

e. m.

 

 

 

 

 

 

 

En encadré :

 

 

 

Dans un journal catholique

Philippe Oswald,

directeur de la rédaction de Famille Chrétienne

 

Le journalisme est un métier, un beau métier, celui qui anime le forum contemporain, le plus vaste, le plus universel et le plus tumultueux qui fut jamais. Un forum " pluridisciplinaire " dont rien n'est écarté, qu'il s'agisse de politique, d'économie, de morale et de religion. Il implique donc une ouverture à l'universel à laquelle seule prépare une formation aux humanités classiques.

Celle-ci est une condition nécessaire mais non suffisante de la compétence professionnelle. Ajoutons que ni le baptême, ni même une vie spirituelle fervente, dons suprêmement désirables, ne confèrent de soi au journaliste chrétien la compétence professionnelle.

Cette compétence implique deux dimensions : une horizontale, une verticale.

Une dimension horizontale : le journalisme est un art, avec ses modalités propres selon qu'il s'agit de la presse écrite, de la radio ou de la télévision. Et si c'est un journal, sa périodicité (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, trimestrielle) et son profil : magazine populaire ou revue d'idées ? — entrent en ligne de compte. On n'écrit pas un article pour Famille Chrétienne comme pour Liberté politique, par exemple. Dans tous les cas, l'informatique et Internet sont devenus des instruments indispensables.

La matière sur laquelle s'exerce notre activité est l'opinion publique. Nous l'influençons sans cesser d'en être tributaires. C'est un peu un fauve à dompter en recherchant le juste équilibre — mais un équilibre instable — entre la soumission à l'opinion dominante par peur, et la manipulation de l'opinion par volonté de puissance. Il ne faut pas se couper de l'opinion et savoir la prendre à l'endroit où elle est pour la diriger dans le bon sens (chose particulièrement délicate s'agissant de problème tel que celui de l'avortement légal.) Il ne faut donc lâcher ni la tension vers le vrai, ni la tension vers la persuasion qui implique la clarté et l'agrément de la communication. En effet, ce n'est pas seulement le vrai que nous poursuivons in abstracto mais le bien des personnes qui nous lisent ou qui nous écoutent. Il s'agit de les rendre autant que possible bienveillantes et attentives jusqu'au bout de l'article ou de l'émission.

Une dimension verticale : un journaliste chrétien, a fortiori s'il travaille dans un journal catholique, ne peut faire l'impasse sur la formation initiale et continue de la connaissance de la foi. Il lui faut obtenir et garder " une sûre maîtrise des principes fondamentaux de la philosophie et de la théologie chrétienne " (Pie xii radio message à l'association de la Presse catholique des États-Unis, 17 mai 57) non pour rester au niveau des principes philosophiques et théologiques, mais pour qu'ils éclairent implicitement ou explicitement ses jugements sur les problèmes du jour. Tous les papes des temps modernes, et tout récemment encore Jean-Paul ii dans l'encyclique Fides et Ratio recommandent fortement, pour ne pas dire commandent, la connaissance et l'approfondissement de la Philosophia perennis aux intellectuels chrétiens.

 

Fils de l'Église

 

Fils de l'Église, le journaliste catholique doit faire preuve d'une soumission intelligente mais entière à l'enseignement de l'Église dont le pape et les évêques unis à lui ont la responsabilité. Cela vaut pour le journaliste lui-même comme pour le media dans lequel il travaille, s'il s'agit d'un organe catholique.

En revanche, cela n'implique pas sa soumission à toute parole épiscopale ou émanant d'un théologien qui ne ressortirait pas de l'enseignement de la foi ou de la morale : il y a un vaste domaine contingent, celui de l'opinion, où la libre discussion est pleinement légitime et d'ailleurs bénéfique. À condition que notre auteur ne se laisse pas emporter par ses passions, le désir de briller en " faisant des mots ", et d'avoir à tout prix le dernier mot : " ...une telle opinion doit être présentée avec la modération nécessaire ; et personne ne condamnera un autre simplement parce qu'il n'est pas d'accord avec son opinion à lui, et encore moins ne contestera sa loyauté " (Pie xii, ibid.).

Cette dimension essentielle de charité nous amène à la troisième exigence du journaliste catholique qui veut mériter ce nom : ne jamais perdre vue la cause finale, le Royaume de Dieu.

 

Missionnaire

 

Si nous vivons et si nous travaillons, c'est en effet en vue de la vie bienheureuse à laquelle tous les hommes sont appelés. Le but ultime, c'est le royaume du Christ parmi les hommes. Si nous le perdons de vue, nous abandonnons les exigences de la charité, et bientôt de la justice. Si nous nous mettons ou nous remettons dans cette perspective, nous sommes amenés à constamment " corriger le tir " pour être justes et fraternels tout en redoublant d'efforts pour être toujours plus compétents et pédagogues. C'est qu'il s'agit tout simplement " d'ouvrir à tous les hommes et leur faciliter la voie de la vie éternelle " (Pie xii). Je voudrais souligner le mot " faciliter " tant nous nous ingénions parfois à embrouiller ce qui est d'autant plus simple que cela est élevé. Pour aplanir le chemin, il ne suffit pas d'être dans le vrai : encore faut-il le rendre attrayant. Il y a une façon d'avoir raison qui barre la route plus efficacement que toutes les idées fausses. Suffisance, aigreur et tristesse sont les travers qui menacent particulièrement notre famille de pensée. Souvenons-nous du mot de Paul vi : " L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins. " La personnalité du journaliste, qui transparaît souvent dans ses écrits ou ses paroles, a plus d'importance que jamais. Notre patron, saint François de Sales, a beaucoup à nous apprendre sur l'art de communiquer avec le sourire, cette fleur de la charité.

 

Obstacles et dangers

 

Le temps est la première difficulté : la " presse " porte bien son nom, même si le procédé technique de l'impression est depuis longtemps dépassé. Certes, la transmission de l'information a connu une prodigieuse accélération en ce siècle : radio, télévision, Internet. Mais paradoxe, cette rapidité, loin d'offrir plus de loisir au journaliste pour " penser sa copie ", semble plutôt déteindre sur son mode de fonctionnement. Toujours plus vite ! Il faut être le premier. Un espoir toutefois : à force d'être bombardés d'informations identiques, lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, du moins les plus réfléchis d'entre eux, font la différence entre le psittacisme politiquement ou moralement " correct " et le vrai travail d'un journaliste digne de ce nom. D'ailleurs, si la rapidité de l'information était le seul critère, les journaux et les revues auraient disparu depuis longtemps face à la télévision.

L'argent : si le media est entre les mains d'une organisation, d'un parti ou de financiers qui veulent en faire un instrument de pouvoir, le sort du journaliste n'est pas enviable. D'où l'existence d'une clause de conscience dans la convention de la presse. Ne nous dissimulons pas qu'un journaliste chrétien se trouve exposé à cette forme de martyre que peut être la démission avec toutes les conséquences prévisibles pour lui et sa famille.

La volonté de puissance : même avec de bonnes intentions, nous pouvons facilement nous transformer en émetteurs en oubliant d'être des récepteurs. Jean-Paul II a souligné ce point devant les 1500 dirigeants et personnalités du monde de la communication réunis à Los Angeles le 15 septembre 1987 (DC n°1948) : " Dans le monde moderne d'aujourd'hui, il y a toujours le danger que la communication se fasse exclusivement à sens unique, en privant le public de l'occasion de participer au processus de communication. Si cela se produisait pour vous, vous ne seriez plus des hommes de communication au sens plénier et humain [...] vous devez écouter aussi bien que parler. Vous devez chercher à communiquer avec les hommes et ne pas vous contenter de parler d'eux. Cela signifie apprendre à connaître les besoins des gens, prendre conscience de leurs luttes et présenter toutes les formes de communication avec la sensibilité qu'exige cette dignité humaine — votre dignité humaine et la leur. " " Cela s'applique tout particulièrement aux programmes audiovisuels ", précise le Pape.

 

Le secret du roi

 

Notre mère l'Église continue de nous enseigner : un magistère que nous envient nombre de personnes de bonne volonté qui ne savent plus quelle position tenir dans les débats de société actuels dont l'enjeu est la vie ou la mort (avortement, euthanasie, manipulations génétiques, Pacs...).

Plus secrètement, l'Esprit-Saint nous inspire et nous console. Nous ne sommes pas abandonnés dans nos combats, nous ne sommes pas orphelins. Aussi sombre que paraisse la situation du monde et de la France, nous restons convaincus, d'une certitude absolue, que nous vivons un temps de grâce. Si nous pouvons écrire et parler à tout homme, c'est parce que tout homme est enfant de Dieu et que l'Esprit agit dans le cœur de chacun.

Si donc notre métier nous confronte quotidiennement au spectacle de toutes les catastrophes et de toutes les déchéances, il nous faut apprendre à les regarder avec les yeux de l'espérance et de la charité. Non seulement, soulignait encore Jean-Paul ii dans le discours aux responsables des média américains, " les êtres humains ne doivent jamais être méprisés à cause de limitations, de défauts, de désordres ou même de péchés ", mais il faut, ajoutait-il en citant Paul vi, " laisser entrevoir le champ de lumière qui se trouve derrière le mystère de la vie humaine ". Et Jean-Paul ii d'expliquer : " ...vous devez vous demander si ce que vous communiquez est cohérent avec la pleine mesure de la dignité humaine. Comment les plus faibles et les plus démunis de votre société apparaissent-ils dans vos paroles et vos images... " Il me semble que dans cette dernière recommandation se trouve le secret du roi.

 

ph. o.