Nos coups de coeur
Y a t-il une pensée chrétienne en politique ? Question incongrue, insupportable à notre époque et en notre monde, qui semblent avoir fait des adieux définitifs à toute régulation théologique du savoir. Déjà le terme de philosophie chrétienne fait problème, a fortiori celui de philosophie politique chrétienne !
Il est vrai que le christianisme a opéré dès l'origine une distinction entre le temporel et le spirituel, entre ce qui appartient à César et ce qui appartient à Dieu . Cette distinction est même fondatrice en Occident et a permis à l'époque moderne un certain accord sur la notion de laïcité. Ce n'est pas l'Église qui doit régir la cité. Et la cité de Dieu dont parlait saint Augustin ne saurait s'identifier à la cité d'ici-bas, fut-elle religieuse ou chrétienne. Il y a une spécificité de l'autorité spirituelle qui ne s'identifie pas à une autorité temporelle.
Cela, pourtant, ne signifie pas qu'il n'existe pas un regard chrétien sur la politique. Un penseur contemporain comme Pierre Manent a expliqué que si l'autorité ecclésiale a renoncé à gérer la politique, pratique où elle est incompétente, elle n'en garde pas moins la force de l'enseignement magistériel, celui qui rappelle les fins de l'homme. Il faut dire que sur le sujet, la position de Manent est singulière car s'il se reconnaît dans un libéralisme modéré dont les acquis lui semblent imparables, il n'en laisse pas moins un espace considérable au fait religieux.
Pourtant une nouvelle radicalité apparaît aujourd'hui dans les milieux intellectuels chrétiens. Radicalité au demeurant parfaitement raisonnable, et qui sauve même la raison politique de bien des tentations. C'est d'elle dont François Huguenin se fait le témoin.
Pourquoi parler de radicalité ? Parce qu'il s'agit de revenir à la racine (la radix), en contestant quelques-uns des fondements de la philosophie politique, telle qu'elle s'est développée depuis le XVIe siècle. Elle a abouti non pas à la distinction des domaines mais à leurs ruptures, leur mise à distance, au point de les rendre étrangers. Ce fut le cas notamment avec Nicolas Machiavel.
L'audace des penseurs que François Huguenin met en valeur dans son dernier essai, consiste à prendre de front un certain amoralisme libéral, en revenant à des notions aussi centrales que la vérité, le bien et le bien commun. Mais, nous explique t-il, l'audace d'un jeune théologien laïc comme William Cavanaugh est plus grande encore, puisqu'il conteste les définitions et les prétentions de l'État moderne. Ainsi se permet-il de déconstruire la légende de la légitimité politique fondée sur la rupture avec la religion.
Depuis Maritain, les chrétiens ont renoncé à affronter les fondements du politique. Trop souvent, les grands mots de démocratie, de droits de l'homme, de laïcité, sont brandis comme des fétiches, alors qu'il faudrait les retravailler, les déconstruire pour les reconstruire. L'auteur montre que de nouveaux courants ne craignent pas de repenser la politique dans la recherche d'une nouvelle cohérence avec leur foi, parfois hésitante, mais stimulante.
LUC PINSON