Régulièrement nous lisons ou entendons que les Français consomment plus de médicaments que leurs voisins européens ; qu’en est-il ?
En fait, il faut considérer plusieurs choses : d’une part certains produits de santé sont appelés, en France, médicaments, car ils ont fait l’objet d’une évaluation réglementaire par les autorités de santé et ont une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) alors que dans d’autres pays européens, en particulier du Nord de l’Europe, les mêmes produits sont considérés comme des compléments alimentaires et ne font l’objet d’aucun contrôle de la part des autorités de santé. Faut-il du coup se plaindre que chez nous ils soient contrôlés, que leur fabrication permette de garantir un niveau de qualité que nous ne retrouvons pas toujours dans d’autres pays ?
D’autre part il faut faire la part des choses entre le nombre de médicaments, garantie de la qualité de fabrication des produits, et les produits inscrits au remboursement.
Sur ce point, pendant longtemps certains médicaments, assez spécifiques à la France, ont été pris en charge par la collectivité. Ce n’est plus le cas en 2012 ! le Gouvernement actuel et le précédent ayant pris les décisions que le Gouvernement de Monsieur Jospin avait « conceptualisées » à la fin des années 90.
Aujourd’hui, les Français consomment-ils plus de médicaments que leurs voisins ? Trop de médicaments ?
Pour répondre à la première question, il est indispensable de considérer la question par pathologie et non pas de façon globale ou moyenne, ce qui n’a que peu de sens. Il est certain que, de la même façon que l’épidémiologie de certaines maladies varie d’une région française à l’autre – il y a plus de scléroses en plaque dans le Nord-Est de la France que dans le Sud-Ouest, par exemple – de même, l’épidémiologie des maladies varie d’un pays à l’autre. Ceci expliquera que certaines classes de médicaments puissent être consommées en plus grande quantité dans notre pays que dans d’autres. Maintenant, pour affiner la réflexion, prenons une maladie donnée, à titre d’exemple : les patients dialysés pour insuffisance rénale, et comparons la consommation de médicaments par malades entre différents pays, il ressort qu’un dialysé français va recevoir, en moyenne 7,7 médicaments quand un allemand reçoit 9,7 médicaments, un anglais 8,1, le record étant pour le suédois avec 13,4 ! seuls les pays du sud, Italie et Espagne, sont en dessous de la France. Cet exemple, publié en 2008 dans la revue Health Affairs, devrait nous inciter à plus de nuance avant d’affirmer que les Français consomment plus de médicaments que leurs voisins.
Pour répondre à la seconde question, il faut se pencher sur l’analyse de la prise en charge des maladies chroniques, ces maladies qui représentent près de 90% des coûts de santé et génèrent environ 90% de la mortalité dans notre pays.
Le coût cumulé des maladies chroniques non transmissibles comme le cancer, le diabète, les maladies respiratoires, cardiovasculaires, et les désordres mentaux devrait atteindre 4 % du produit intérieur brut mondial soit 47 milliards de milliards de dollars à l’horizon 2030 selon un rapport des Nations Unis réalisé par la Harvard School of Public Health. Le rapport, établi à l’occasion du World Economic Forum, détaille le coût des pathologies cardiovasculaires qui a atteint 863 milliards de dollars en 2010 et devrait dépasser 1 milliard de milliards de dollars en 2030. Pour ne pas nous laisser submerger par une telle charge pour le budget national, il est indispensable de prendre dès aujourd’hui les mesures qui permettraient de changer le cours des choses. La question qui vient immédiatement à l’esprit : comment est-il possible de réduire le coût des maladies chroniques ?
En faisant une petite évaluation économique, nous allons proposer une approche nouvelle qui amène à reconsidérer ce qui est habituellement accepté.
Les maladies « non transmissibles », les troubles mentaux, le VIH et la tuberculose représentaient en 2001 54% du coût de santé mondial ; il dépassera 65% en 2020. Nous avons fait l’estimation que les maladies chroniques représentent environ 60% du coût total de santé, soit pour la France en 2010 environ 102 milliards d’€.
En 2010, les coûts de santé et biens médicaux se ventilaient entre 35 milliards d’€ pour le médicament et 135 milliards pour les autres soins et biens. En retenant l’hypothèse que cette répartition s’applique également aux maladies chroniques ; le coût du médicament pour les maladies chroniques serait de 21 milliards d’€ quand les autres soins et biens médicaux pèseraient de l’ordre de 81 milliards d’€.
Selon un rapport de l’OMS publié en 2003, en moyenne seulement, un patient sur deux souffrant d’une maladie chronique respecte la prescription médicamenteuse qui lui a été faite (Haines RB, Cochrane database of systematic reviews, 2001 issue 1).
Compte tenu de l’impact mesuré de l’amélioration de l’observance sur la réduction des complications (de l’ordre de 53% selon le rapport de l’OMS de 2003), nous pouvons estimer à 4€ l’économie de santé réalisée pour chaque Euro supplémentaire investi en médicament permettant d’assurer une prise en charge optimale du patient et la gestion correcte de sa maladie.
Sur la base de ces données et hypothèses, une amélioration de l’observance chez 1 patient chronique sur 2 augmente le budget médicament de 25%, à 26,3 milliards d’Euros soit 5,3 milliards supplémentaires. En contrepartie, cet investissement générera 21 milliards d’Euros d’économies en soins de santé évités pour ces patients.
Il est à noter que cette économie représente près du double du déficit 2010 du régime maladie tel que rapporté par la Cour des comptes.
En synthèse, pour ne pas laisser le coût des maladies chroniques devenir insupportable pour les systèmes de protection sociale et/ou les budgets des Etats, il devient urgent d’instaurer pour ces maladies une stratégie voisine de celle qui, par un investissement dans la vaccination, a permis de réduire le coût des maladies infectieuses. Il semble indispensable aujourd’hui de lancer une initiative qui permette d’inciter les patients à respecter les prescriptions qui leur sont faites.
De manière très concrète et très proche de nous, les services statistiques de la CNAM et le Pr Danchin, chef du service de cardiologie de l’Hôpital Georges Pompidou, ont publié en 2010 dans la revue américaine Archives of Cardiovascular Disease un article analysant l’observance du traitement de plus de 10 000 patients français hospitalisés pour un infarctus du myocarde. Les constats sont terribles : 1 patient sur 2 ne respecte pas sa prescription ! ces patients se mettent en situation de risque 1,5 fois plus important soit de faire un nouvel infarctus, soit de mort cardiaque !
Cette incitation peut prendre des formes variées, parmi lesquelles des programmes d’accompagnement pour leur apprendre à envisager leur maladie comme une nouvelle allure de vie ; ou encore des contrats d’engagement avec leur régime d’assurance maladie qui permettraient de responsabiliser les patients afin qu’ils ne considèrent plus leurs traitements seulement comme un dû.
En conclusion, la consommation de médicaments en France a évolué rapidement ces dernières années, et si nous regardons la prise en charge des maladies chroniques essentielles entraînant une dégradation de l’état de santé et de la qualité de vie des Français, peut-être que nous ne consommons pas assez de médicaments, notamment par non respect des prescriptions.
Cette « légèreté » de comportement est une des principales causes de dégradation de la santé des patients, mais aussi des comptes de l’assurance maladie. Il est nécessaire d’envisager une restructuration de la dépense de santé pour corriger cette tendance négative.
Mais il est tout aussi nécessaire de définir des processus et d’engager des actions afin de placer le patient comme acteur de sa santé, en l’accompagnant, le guidant et l’informant. Cette démarche nécessite une prise de conscience générale du rôle de l’acteur de santé, du prescripteur et de sa fonction d’accompagnant ou de mise à disposition d’outils et de moyens d’accompagnement pour son patient.
L’aspect financier de la problématique exprimée n’a de raison d’être et de fonctionner que si elle est accompagnée par ce travail de responsabilisation individuelle et de prise de conscience de la part des acteurs de santé et des patients.
Aucune restructuration profonde des dépenses de santé ne pourra être envisagée sans l’implication et la responsabilisation des acteurs de santé et la formation et l’accompagnement du « consommateur final » : le patient.
Jacques Bonte est Pharmacien et Directeur Général de Medco France.
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