Mercredi 15 octobre, la Fondation de Service politique organisait à l'Espace Bernanos un débat sur le thème Crise financière : une "hémorragie interne" ?

 

POUR CETTE DEUXIEME RENCONTRE à l'Espace Bernanos, 350 personnes étaient présentes dont de nombreux étudiants et jeunes professionnels du monde de la finance. L'économiste Jacques Bichot, professeur émérite d'économie à Lyon III, Hubert Fondecave, directeur général d'ETHEIA Gestion et François de Lacoste Lareymondie, secrétaire général du CIC et vice-président de la Fondation, participaient à cet échange. Les trois interventions et le jeu des questions réponses ont permis de dresser un tableau du mécanisme de la crise et de ses causes. Les conditions éthiques et techniques nécessaire à la résolution de la crise ont été aussi évoquées.
Au-delà des multiples manifestations actuelles de la crise, les trois intervenants ont souligné que, fondamentalement, la tempête qui frappe l'économie mondiale est une crise du surendettement américain.
La démesure de l'endettement américain
En contradiction avec toutes les règles de prudence, des prêts immobiliers ont été consentis à des débiteurs sous le seuil de solvabilité (d'où leur nom : subprime ), à des taux variables, dont souvent seuls les intérêts étaient payés, et en escomptant que le capital serait remboursé le jour où la maison serait revendue. On a spéculé sur le fait que les taux n'augmenteraient pas et que leur maison verrait sa valeur accrue grâce à l'augmentation des prix...
Hubert Fondecave a fait remarquer que la crise avait débuté en 2007, six mois après que la Réserve fédérale américaine ait remonté ses taux. La défaillance de nombreux emprunteurs contraints de vendre leur maison a fait chuter les prix du logement aux États-Unis, provoquant des défaillances en chaîne d'établissements financiers trop exposés.
Pour François de Lacoste Lareymondie, la crise des subprimes est ainsi l'ultime avatar d'une époque qui s'achève. En effet, depuis soixante ans les États-Unis vivent à crédit. L'ensemble de la dette américaine publique et privée représente aujourd'hui 250 % du PIB. Par comparaison, la dette française se monte à 100% de son PIB. Dans l'un et l'autre cas, la dette publique est proportionnellement identique : de l'ordre de 65% du PIB ; la différence est constituée par la dette privée, démesurée aux États-Unis. Depuis longtemps outre-Atlantique, on considère que les Européens et l'ensemble du monde devaient payer le prix de leur liberté et de la défense du monde libre en finançant leurs déficits. Pour perpétuer le système de la dette on a dû inventer des expédients de plus en plus sophistiqués. Avec la crise des subprimes et la défaillance du système bancaire, nous arrivons à la fin de ce système qui repousse sans cesse dans le futur les ajustements nécessaires de nos modes de vie.
La désorganisation des marchés
Si cette crise est à l'origine une crise du crédit immobilier, elle a été largement amplifiée par la déréglementation des marchés. Les intervenants ont pointé trois dysfonctionnements.
Tout d'abord, sur la monnaie qui a été dénaturée : par nature, la monnaie est une créance que détiennent ses possesseurs sur l'ensemble de l'économie, fruit de la part de leur travail qui a été épargnée, en attente de consommation ou d'investissement, et par conséquent instrument d'échange de ces créances entre les acteurs économiques. Or elle est traitée comme une chose ou comme un produit qui aurait une consistance propre. Les banquiers, dont le rôle est en principe de veiller à ce que ces échanges entre créanciers se fassent de façon régulière et égale, ont cessé d'exercer ce contrôle et ont contribué à chosifier l'argent en en faisant le support d'instruments financiers vivant de leur vie propre. Ensuite la complexification des marchés a entraîné une complexification des contrôles qui ont cessé de fonctionner convenablement. Les États eux-mêmes ont été débordés : les paradis fiscaux et la finance off shore ont élargi de façon béante les failles du dispositif.
Ensuite, les marchés sont faits pour confronter des offres et des demandes réelles. Lorsque vous achetez un bien à terme (que ce soit l'action d'une société cotée ou une quantité de pétrole), les sous jacents sont des biens réels destinés à être effectivement achetés ou vendus au terme de l'opération. Par exemple lorsqu'Air France achète du kérosène à trois mois, même si l'échéance est reportée, ses cuves finiront par se remplir et le kérosène sera brûlé. Mais lorsque la même opération est effectuée par un trader qui joue simplement sur la hausse ou la baisse, qui combine cette opération avec d'autres dans des portefeuilles complexes, revend et arbitre en fonction de paramètres strictement financiers, mais sans intention d'acquérir ou de vendre réellement le sous-jacent, vous entrez dans le virtuel : le marché n'est plus dirigé par les besoins de l'économie mais par des anticipations purement financières, sans lien avec la réalité sous jacente. C'est ce qui s'est passé pour l'ensemble des marchés financiers.
Pour Jacques Bichot, cette crise, contrairement à ce qui est souvent dit et écrit, n'est en effet pas celle du libéralisme mais de la désorganisation des marchés. Un libéral comme Hayeck, a-t-il rappelé, disait déjà dans Droit, Législation et Liberté qu'il est nécessaire d'avoir des règles et un gouvernement qui les fasse respecter . De la même manière Yvon Gattaz écrivait il y a quelques années dans Les Échos que le libéralisme c'est comme le foot, il faut des règles, et un arbitre qui n'intervient pas dans le jeu. Il ne s'agit pas d'une sioule.
Or les marchés financiers sont depuis des années constellés de trous noirs, avec des mécanismes qui absorbent la lumière . Des masses de fonds échappent à toute appréhension, sont donc absents des statistiques, et à tout suivi. Des zones sans règles, ont été créées. Des États, y compris européens, ont été complaisants envers les capitaux de toute provenance, soit en les exonérant de toute règle puisqu'il s'agissait de fonds off shore, soit en ne les soumettant qu'à des régulations purement formelles. L'ingénierie financière qui a présidé à la titrisation générale des dettes a complètement opacifié les choses, en faisant disparaître la notion même de risque, comme si la dispersion à l'ensemble de la planète avait pour effet de supprimer la réalité sous-jacente, et en empêchant toute traçabilité des crédits toxiques , tels que les subprimes.
Ainsi comme le remarque Hubert Fondecave, on croyait avoir trouvé la martingale pour ne pas perdre. Les jeunes acteurs des salles de marchés, formés dans les mêmes écoles d'ingénieurs, fascinés pas la mise en boîte du comportement humain à travers des statistiques en sont arrivés à croire qu'ils avaient supprimé le risque . Dans cet univers mal contrôlé ou les contrôleurs et les acteurs parlent le même langage, nous avons oublié que dans un produit financier il y a toujours une action ou une dette, un bien réel.
Pour le DG d'ETHEIA Gestion, ce défaut d'intelligence n'est évidement pas celle du gestionnaire de base seulement mais d'une communauté qui ne se s'est pas suffisamment posés de questions, en partie parce qu'elle était rémunérés essentiellement sur les résultats... On a oublié, ajoute-t-il, que l'argent est le fruit d'un travail épargné et mise en réserve. Cette perte du sens du réel a été accentu é par des techniques de marketing de plus en plus sophistiqués et offensives qui ont créé une distance entre le client, le gestionnaire et la réalité.
François de Lacoste Lareymondie a renchéri, en regrettant que l'on ait multiplié des techniques de spéculation boursière, comme la cotation en continu, la vente à découvert ou le prêt/emprunt de titres. De telles techniques, dit-il, fonctionnent de façon apparemment anodine à court terme mais deviennent extrêmement dangereuses par temps de crise . On ne pilote pas un navire par temps calme comme dans une tempête .
Retour au réel
La crise permettra-t-elle de retrouver le sens du réel et davantage de sens moral ?
Ce retour au réel exige, pour chacun des intervenants, que les règles du jeu soient modifiées et que les comportements évoluent. Pour François de Lacoste Lareymondie, les décisions qui ont été prises dans l'urgence vont dans la bonne direction. Les États, y compris les plus libéraux, sont intervenus quand l'ensemble des dépôts a été menacé et que les déposants risquaient d'être spoliés. Ils ont agi conformément à leur mission la plus fondamentale : dans une société de droit, l'État est l'ultime garant du bon ordre public, y compris dans le domaine des contrats, des échanges et du respect des engagements,. C'est à lui d'apporter une sécurité fondamentale aux intérêts communs .
De ce point de vue l'absence de soutien des autorités américaines à Lehman Brothers, indépendamment de toute considération sur la bonne ou la mauvaise gestion de cet établissement et sur les responsabilités de ses dirigeants, a été une grave erreur qui, par ses conséquences en chaîne, a profondément aggravé la crise en déclenchant le redoutable effet domino . En outre, dans l'ensemble et après une période de flottement, les mesures ont été prises dans une certaine concertation. Il faut espérer que cela continuera lorsqu'on sortira de la phase de crise aiguë et que viendra le moment de mettre en place de nouvelles règles.
Il faut réguler. Certes les banquiers sont submergés de règlements... mais on réglemente mal, de façon souvent trop formelle ; et surtout on contrôle mal . Par exemple, pour mesurer les risques de marché et les contrôler, on s'appuie sur des modèles statistiques sans se rendre compte que l'on sort souvent des plages de validité. De plus, comme tout le monde utilise les mêmes modèles, ils provoquent des comportements grégaires. Ainsi, les mouvements des marchés sont amplifiés à la manière de la cargaison d'un bateau qui se met à balancer dans la tempête et le fait chavirer.
La tentation de gérer la crise avec des solutions temporaires existe. Or il est urgent de s'attaquer à l'immédiateté des marchés, aux paradis fiscaux, à la complaisance réglementaire de certains États. Une forte divergence entre États européens est à craindre quand il faudra sortir d'une réglementation essentiellement formelle. Il faudra alors une volonté politique forte pour s'attaquer aux causes qui ont abouti à la crise et renoncer aux mécanismes qui l'ont favorisée.
Comme le remarque Hubert Fondecave, la solution viendra aussi d'un changement dans les comportements . Sommes-nous prêts à accepter de gérer autrement notre argent et à changer nos comportements d'épargnants ? Sommes-nous prêt à refuser un produit à 9 % de rendement mais qui résulte d'une ingénierie financière dangereuse, pour un compte à terme classique mais qui ne rapporte que 4 % ? Nous devons accepter de faire du profit autrement, un profit fondé sur l'économie réelle et sur la production de biens et services utiles à la communauté et au bien commun.
Pour lui comme pour François de Lacoste Lareymondie,

l'avidité s'est répandue subtilement dans nos comportements personnels. Nous devons redécouvrir que l'entreprise n'est pas faite d'abord pour gagner de l'argent, mais d'abord pour fournir à ses clients les biens ou les services qu'ils en attendent, au niveau de qualité qu'ils attendent, honnêtement et de la façon la plus efficace possible : le profit n'est donc pas un but, mais un instrument de mesure de la qualité du service rendu en même temps qu'un moyen nécessaire d'assurer la pérennité de l'entreprise : il nous faut donc renverser l'ordre des valeurs pour les remettre d'aplomb.