La mobilisation, à Paris, le 6 octobre dernier à l’appel du collectif « Marchons enfants » a été une évidente réussite. L’Exécutif le craignait ; les organisateurs, avec une fébrilité compréhensible, l’espéraient. Il n’était pas certain que, six ans après les manifestations contre la loi Taubira, les Français redescendent dans la rue. Et bien, ils l’ont fait et en masse !

Les progressistes désormais le savent : ils ne pourront pas, sans fracturer délibérément et profondément la société française, modifier la loi dite bioéthique. Une opposition nombreuse, ferme et résolue est là.

Comment analyser cette mobilisation ? Il a été possible de constater deux points saillants tant en rencontrant des manifestants qu’en regardant les commentaires sur les réseaux sociaux. D’abord, la base est plus « radicale », en fait plus cohérente, que ne semblent l'être les organisateurs, du moins dans leurs prestations publiques. Nombre de participants ont explicitement regretté que le matériel de propagande et les discours tenus à Paris n’aient pas mis en exergue les causes des mesures contestées et aient, d’une certaine manière, entériné le fameux « effet cliquet » qui veut qu’une réforme « progressiste » n’est jamais remise en cause même si elle a des effets délétères. Autrement dit, la base en a assez d’être à la remorque des initiatives de l’adversaire et veut reprendre la main. Elle demande donc de penser les enjeux bioéthiques et sociétaux de manière globale et non partielle, de ne pas se limiter à la « PMA sans père » (l’arbre qui cache la forêt) mais de contester, en bloc, la matrice des évolutions envisagées. Car la chosification de l’enfant ne commence pas avec la « PMA pour toutes » ; celle-ci n’est qu’un effet parmi d’autres. La réification de l’être humain a commencé avec la dépénalisation de l’avortement, la libéralisation de l’expérimentation sur les embryons et la dénaturation du mariage et de l’adoption.

Ensuite, la nature transpartisane de la manifestation, animée par un esprit bon enfant (aucune échauffourée avec la police, aucune dégradation du matériel urbain), mérite d’être relevée. Électeurs, militants et élus de toutes les sensibilités de droite se sont réunis sur des valeurs communes. Ils n’ont pas eu besoin du mot d’ordre de leurs partis respectifs (et c’est tant mieux). C’est la démonstration qu’il est possible de faire l’unité de la droite au-delà des actuels partis et, au besoin, contre eux s’ils préfèrent défendre leurs intérêts organisationnels contre le bien commun. L’occasion de créer une dynamique transpartisane a été torpillée après les manifs « pour tous », certains cherchant à récupérer le mouvement à leur seul profit. Presque providentiellement, elle se représente ; il ne faudrait pas la laisser passer à nouveau.

Car, naturellement, se pose la question de l’évolution du mouvement dans les semaines et les mois à venir. Les organisateurs ont annoncé plusieurs dates d’éventuelle mobilisation si l’Exécutif ne reculait pas (ce qui est, évidemment, vraisemblable, puisqu’il dispose d’une majorité parlementaire et qu’il cherche à coaguler les « libéraux » de tous bords). Il serait heureux qu’ils aient bien en tête qu’il est indispensable de trouver des moyens d’action plus efficaces qu’en 2013, ne serait-ce que par respect des familles pour qui des déplacements réguliers représentent un coût non négligeable et à qui un nouvel échec (bercé de faux espoirs) pourrait avoir sur leur moral un coup fatal.

Par chance, le premier semestre 2020 va être marqué par les élections municipales. Il semble donc cohérent d’envisager une coordination locale des hommes de bonne volonté pour, au minimum, faire battre une liste et, si possible, en présenter une d’union sur la base d’une plateforme commune d’inspiration « classique ». Le local est le niveau idéal pour que les directives parisiennes n’aient pas d’influence et pour que des personnes, soucieuses du bien commun, puissent s’entendre (même si elles n’ont pas eu, jusqu’à présent, le même attachement partisan) et agir ensemble. Le plus proche ne doit plus être considéré comme un concurrent mais comme un allié potentiel.

La réussite du 6 octobre restera lettre morte si les manifestants ne prennent pas l’initiative de prendre, eux-mêmes, le taureau par les cornes. Ils ne doivent pas attendre les directives des organisateurs de « Marchons enfants » mais, d’une part, créer des cellules de reconquête du tissu social partout en France (écoles, œuvres caritatives, association de défense du patrimoine… et des listes aux municipales) et, d’autre part, refuser, envers et contre tous, de rester prisonniers du débat tel qu’il a été posé par l’adversaire. Il faut lui faire perdre l’avantage d’avoir choisi le sujet de débat ; il faut reprendre l’avantage, l’attirer sur son terrain, l’obliger à débattre des questions de fond, quitte à lui agiter sous le nez le chiffon rouge de l’avortement. Ce sera sans doute socialement plus délicat à assumer mais, sur le long terme, c’est la seule stratégie qui peut être gagnante en s’attaquant aux causes et non aux conséquences, en reconquérant petit à petit les esprits.

 Guillaume Bernard