La France, patrie de la liberté, est-elle devenue le pays de la pensée conforme, surveillée par la police, encadrée par la justice, calibrée par l’État ? La question peut prêter à sourire. Exagération... Pourtant, quand le vote d’une loi donne lieu à un millier de gardes à vue d’opposants pacifiques, dont le seul crime est d’avoir manifesté publiquement leur opinion, c’est qu’un désordre politique profond s’est installé dans le pays.

Ce désordre peut être le fruit des circonstances. De la fébrilité d’un gouvernement faible et maladroit. Il peut être aussi l’héritier d’une longue dérive qui, imperceptiblement, révèle un vice intérieur aux racines lointaines.

La pression des modes intellectuelles, plus ou moins manipulées par les médias, eux-mêmes miroirs de l’époque, et par les multiples relais idéologiques et les puissances d’intérêt, est une chose, mais quand la loi se fait l’instrument du conditionnement de la parole et de l’esprit, c’est qu’il se passe quelque chose de nouveau.

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Prenons un exemple. Il est difficile de ne pas voir dans l’opprobre jeté sur l’ancien député Christian Vanneste, en 2005, et quoi qu’on pense de ses propos sur l’homosexualité, le symbole de la foudre du tabou collectif, et le signe d’un archaïsme culturel et politique où le débat, jusque dans sa vigueur, est remplacé par le tribunal de la pensée. Tribu, tribunal : le groupe élimine le différent. Plus tard, c’est le journaliste Eric Zemmour qui fera les frais de cette mécanique de la punition intellectuelle, dans des conditions analogues.

Aujourd’hui, la politique du gouvernement socialiste à l’égard des opposants à la loi Taubira procède de la même logique, mais trahit une évolution dans le traitement de la liberté d’expression. La victime n’est plus un individu, mais un groupe. Certes, la répression ouvertement engagée sera peut-être maîtrisée par des responsables raisonnables ; cette répression sera peut-être jugée douce, le mouvement idéologique qui l’inspire lui ne l’est pas, et c’est bien une question sur l’évolution du régime politique lui-même qui est posée, comme se la pose la présidente de La Manif pour tous, Ludovine de La Rochère, dans la préface du livre de François Billot de Lochner, La Répression pour tous [1]. Sommes-nous, oui ou non, dans une démocratie d’exception ?

Car le sectarisme de la pensée a bien trouvé son bras séculier dans la loi, de telle sorte qu’il est permis de conclure au retour du délit d’opinion en France. L’exemple du jeune Nicolas Bernard-Buss, ce militant anti-"mariage" gay condamné à quatre mois de prison dont deux mois fermes avec mandat de dépôt (peine ramenée à vingt jours, ce qui n’est pas moins scandaleux), est d’une sévérité sans égale, quand des racailles qui rançonnent des trains de voyageurs sont relâchés sans autre forme de… procès.

Le problème n’est pas celui de l’effet d’une éventuelle récidive, c’est bien celui du motif du jugement. Nicolas et ses amis commettent le délit d’opposition publique, sur un sujet dit de société, et en dehors des usages politiciens. Car leur résistance n’est pas politique, mais culturelle. Depuis la loi Gayssot du 13 juillet 1990, Pierre Nora constatait en 2008 que l’État se faisait l’instrument d’une « vérité légale ». Une pratique de « régime totalitaire », disait-il. De fait, au-delà de l’opinion d’ordre scientifique, il n'est plus possible d'exprimer publiquement un grand nombre de positions. En 2004, avec la création de la Halde, remplacée par le Défenseur des droits, une véritable police de la pensée s’est mise en œuvre malgré les tentatives de la Commission nationale consultative des droits de l’homme pour en limiter les effets.

Toute opinion est devenue une agression en puissance, et jugée comme telle si elle ne convient pas aux idées dominantes. N’importe quelle officine autoproclamée dépositaire de la pensée conforme, ou des droits de telle ou telle communauté d’intérêts, peut recourir aux tribunaux pour chasser les délinquants de la pensée, avec la complicité de la loi et des puissances d’établissement…

Avec la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe, une loi voulue comme un texte changeant la civilisation (sic), le choc de l’État tout puissant avec l’opposition de la société civile pose crument la question de la liberté d’expression des consciences dans un régime s’inspirant des principes de la Modernité.

Philippe de Saint-Germain

 

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[1] François Billot de Lochner, La Répression pour tous, Lethielleux-F.-X. de Guibert, juin 2013.