L'un des reproches formulés à la nouvelle loi française sur l'immigration est d'instaurer une "sélection" des immigrants. Elle entreprendrait ainsi un "écrémage", un "détournement" des personnes et de leurs talents si nécessaires à leur pays d'origine.

 

Notons d'abord que cette pratique est un élément fondamental de la politique d'accueil des pays traditionnels d'immigration : États-Unis, Canada, Australie, etc. On y est d'autant plus facilement accueilli que l'on est capable d'apporter des compétences à la société d'accueil et encore mieux si on arrive avec des moyens financiers... L'intégration en sera facilitée et il est normal que l'échec de la (non)politique d'intégration française amène à déterminer des critères d'accueil.

Cette "immigration choisie" n'a pas l'heur de plaire aux dirigeants africains des pays d'où viennent beaucoup des immigrants installés en France : ils crient "au voleur" et sont relayés par de bons esprits qui accusent notre gouvernement de vouloir s'approprier à peu de frais du personnel qualifié.

La situation est tout autre.

Il y a déjà longtemps que fonctionne au départ des pays africains une "émigration choisie". C'est la conséquence normale de l'incompétence de leurs dirigeants qui n'ont pas su ou pas voulu mettre en place des politiques de développement. Bien sûr, les sociétés africaines ont un immense besoin de médecins, infirmières, ingénieurs, professeurs, chercheurs, mais lorsque ces jeunes médecins, professeurs ou scientifiques sortent des écoles et des universités, trouvent-ils un emploi ? Pendant une vingtaine d'années, à la suite des Indépendances, la fonction publique en a beaucoup absorbé, leur carrière s'y déroulant le plus en souvent en fonction de leurs "protecteurs" que de leurs compétences. Aujourd'hui cette porte est fermée sous la pression des organismes internationaux de financement qui exigent rationalisation et productivité des administrations (sans les obtenir).

Les politiques étatistes et bien souvent socialisantes n'ont guère poussé au développement du secteur privé. Les investissements ne sont pas allés vers ces pays où la main-d'œuvre est abondante mais bien peu productive et où les appétits prédateurs des hommes du pouvoir ont détruit des économies florissantes : le pillage de la Gécamines par Mobutu (40 000 emplois détruits et 80% des recettes d'exportations annihilées) ou l'expulsion des fermiers blancs du Zimbabwe (700 000 emplois d'ouvriers agricoles supprimés et la famine pour ce pays qui nourrissait ses voisins) sont des exemples particulièrement éclatants de la destruction des emplois par des régimes corrompus et incompétents.

Dans ces conditions que faire pour ceux qui cherchent du travail ?

Partir et valoriser leurs compétences là où elles seront reconnues. Les cadres supérieurs représentent 4 à 5% de la population des pays africains ; ils représentent dès aujourd'hui 30 à 40% des migrants.

Autres migrants : ceux qui sont venus faire des études en Europe ou en Amérique du Nord : pour eux, pas plus d'emploi dans leur pays d'origine que pour leur compatriotes restés au pays mais bien plus rapidement, s'ils sont compétents, des emplois dans leur pays d'accueil. Notons, au passage, qu'il s'agit pour beaucoup d'entre eux des enfants des classes dirigeantes. De bonnes âmes exigent leur retour au pays qui a tant besoin d'eux : le besoin est réel mais, en général, il n'est pas solvable pour cause de sous-développement.

 

Ces quelques considérations n'épuisent évidemment pas le problème des migrations internationales mais visent simplement à faire sortir de l'hypocrisie l'un de leurs aspects.

 

*Jean Flouriot est consultant, docteur en géographie, spécialiste de l'urbanisation africaine. À paraître dans le prochain numéro de Liberté politique : "Villes d'Afrique, au sud du Sahara" (n° 34, été 2006).

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