Un Occident kidnappé, de Milan Kundera

Source [Conflits] : L’auteur franco-tchèque Milan Kundera est mort à l’âge de 94 ans. Résister et exister par la culture, une tentative d’éveil des consciences promue par Kundera à la veille du Printemps de Prague en 1967, puis dans un plaidoyer écrit en 1983 dans la revue Le Débat.

Johan Rivalland. Article original paru sur Contrepoints

Milan Kundera, Un Occident kidnappé, Le Débat, 2021.

 Trop longtemps le drame de l’Europe centrale a été celui de petites nations mal assurées de leur existence historique et politique. Tandis que, après 1945, l’Occident ne la voyait plus que comme une partie de l’Union soviétique.

C’est dans ce contexte que le grand écrivain Milan Kundera, pourtant connu pour sa relative discrétion, a mené un illustre discours au congrès des écrivains tchécoslovaques en 1967 à la veille du Printemps de Prague, puis écrit un plaidoyer dans la revue Le Débat en 1983, qui a fait parler de lui et sonné l’éveil de beaucoup de consciences. Ce sont ces deux textes qui sont repris dans ce petit volume paru chez Gallimard.

Au moment où la nation ukrainienne s’inscrit en résistance contre l’invasion russe en cette terrible année 2022, il n’est pas inintéressant de revenir sur ces textes, qui montrent l’importance de la résistance par les idées et la culture, ciment qui marque l’identité d’un peuple et son désir de résister coûte que coûte à ceux qui voudraient faire disparaître cette identité et les libertés qui vont avec.

L’importance de la littérature dans l’identité culturelle pour Milan Kundera

Des romans de Kundera, que j’avais à peu près tous lus avec passion vers l’âge de 20 ans, il ne me reste malheureusement pas grand souvenir. J’espère les redécouvrir un jour, même si le temps me manque perpétuellement. En attendant, il m’a paru intéressant de prendre connaissance de ce recueil, particulièrement bienvenu dans le contexte actuel.

Le premier texte qui le compose est le discours de 1967 au congrès des écrivains tchécoslovaques.

Il y évoque la non-évidence de l’existence de la nation tchèque, qui est l’un de ses attributs majeurs. Malgré une résurrection de la langue tchèque, alors presque oubliée, grâce à une poignée d’écrivains au début du XIXe siècle, la question du rattachement à une plus grande nation, l’Allemagne, s’est posée. Mais d’autres grands écrivains ont permis par la suite de consolider cette culture, puis de la renforcer et la faire grandir. Jusqu’à ce que l’Occupation durant la Seconde Guerre mondiale, puis le stalinisme, brisent le fragile édifice.

Il n’a tenu une nouvelle fois qu’à une nouvelle poignée d’écrivains et cinéastes de renouer avec cette identité tchèque. Et c’est ce qui constitue le centre de l’intervention de Kundera à travers son discours ce jour-là : préserver l’identité nationale par la culture, la création, les échanges culturels internationaux.

« Il est crucial que toute la société tchèque prenne pleinement conscience du rôle essentiel qu’occupent sa culture et sa littérature […] L’Antiquité gréco-romaine et la chrétienté, ces deux sources fondamentales de l’esprit européen, qui provoquent la tension de ses propres expansions, ont presque disparu de la conscience d’un jeune intellectuel tchèque ; il s’agit là d’une perte irremplaçable. Or, il existe une solide continuité dans la pensée européenne qui a survécu à toutes les révolutions de l’esprit, pensée ayant bâti son vocabulaire, sa terminologie, ses allégories, ses mythes ainsi que ses causes à défendre sans la maîtrise desquels les intellectuels européens ne peuvent pas s’entendre entre eux. »

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