Le Conseil d'État l'avait reconnu officiellement : l'eugénisme peut être non seulement  le fruit d'une politique délibérément menée par un État  mais aussi  le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents [1] . En 2011, il se trouve des parlementaires français pour soutenir l'élimination systématique des bébés malades, comme les enfants trisomiques.

À l'appui de son analyse, le Conseil d'Etat faisait pour la première fois état de la suppression en France de 96% des enfants à naître diagnostiqués porteurs de la trisomie 21. Des statistiques qui rendent compte de l'existence d' une pratique individuelle d'élimination presque systématique , ajoutait alors le Conseil d'État. Ce chiffre, désormais officiel, a incontestablement marqué les esprits. Comment expliquer une telle proportion qui relève plus d'un vote nord-coréen que d'un choix  libre et éclairé  ?

Un système oppressant incitatif

Le comité pour sauver la médecine prénatale a remarquablement démonté les rouages de la stratégie française de dépistage qui sous un masque de liberté est en réalité un système oppressant qui produit un effet incitatif sur le choix des mères, induisant des décisions allant quasiment toutes dans le sens d'une interruption médicale de grossesse en cas de risque avéré de trisomie 21.

Parmi l'ensemble des recommandations formulées pour desserrer l'étau du dépistage généralisé de la trisomie 21 — lequel est encore passé à la vitesse supérieure avec la promulgation des arrêtés du 23 juin 2009 —, il en est une de bon sens concernant la nature de l'information délivrée aux femmes. Celle-ci ne peut se contenter de réduire l'enfant à sa trisomie et à la procédure d'évitement de la maladie comme c'est malheureusement souvent le cas aujourd'hui. Il est ainsi prioritaire de rééquilibrer l'information délivrée aux femmes en restaurant des éléments de pondération.

Informer pour garantir la liberté de choix

C'est ce qu'a souhaité faire avec beaucoup d'intelligence le député de l'Ain Xavier Breton (UMP) en proposant à ses collègues de la commission spéciale sur la bioéthique l'examen d'un amendement visant,  dans un souci d'information complète et objective, à remettre à la femme enceinte une liste des associations spécialisées dans l'accompagnement des patients atteints de l'affection recherchée et de leurs familles  (amendement AS 31, 25 janvier 2011, séance de 21h30).

L'information ne saurait en effet être seulement  froidement scientifique , elle requiert d'inclure des regards issus des réseaux associatifs directement concernés par cette problématique et qui sauront porter témoignage du vécu quotidien des familles avec des enfants porteurs de trisomie 21. D'ailleurs, cette façon de procéder pourrait offrir aux parents concernés le temps nécessaire à la réflexion et par voie de conséquence à leur liberté de choix, la précipitation n'étant jamais bonne conseillère dans ces circonstances de grande vulnérabilité.

Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'UNAF, avait ainsi plaidé devant la mission d'information parlementaire pour que cet accompagnement de parents confrontés à l'annonce de la trisomie 21 se traduise par  des rencontres avec des associations de parents d'enfants malades, afin de permettre aux familles un véritable libre choix, et non une induction dans un climat d'angoisse, de stress terrible et de souffrance [2] . Une voix qui est loin d'être isolée. Le docteur Alexandra Benachi du service de gynécologie obstétrique du Centre hospitalier universitaire Antoine-Béclère a également appuyé cette démarche en proposant que les couples confrontés à l'annonce d'un diagnostic de trisomie 21 soient mis en contact avec des associations compétentes [3].

 Pourquoi il en reste 4 % ? 

Lors de l'examen en séance de l'amendement de Xavier Breton, la secrétaire d'État de la santé Nora Berra émet tout de suite un avis défavorable, arguant du fait que la remise d'une liste d'associations exercerait une pression sur la femme enceinte, argument maintes fois rebattu. Le député Olivier Dussopt (PS-Ardèche, photo) prend la parole et s'insurge alors avec une véhémence proprement inouïe contre le texte :  Quand j'entends que "malheureusement" 96 % des grossesses pour lesquelles la trisomie 21 est repérée se terminent par une interruption de grossesse, la vraie question que je me pose c'est pourquoi il en reste 4 %.

Réaction immédiate de deux parlementaires de la majorité, Philippe Gosselin (UMP) :  Je regrette que M. Dussopt ait tenu des propos à caractère eugéniste  et Philippe Meunier (UMP) :  Le fait que l'un d'entre nous ait pu dire que les 4 % de fœtus trisomiques qui ne sont pas éliminés sont encore 4 % de trop est bien la preuve de la pression sociale dont parlait Xavier Breton. 

Le rapporteur Jean Leonetti (UMP) lui-même approuve la démarche de son collègue Xavier Breton. Extraits :

 [Le discours peut être déséquilibré], dans la mesure où le médecin parle du handicap, sans nécessairement évoquer ce que peut être la vie de l'enfant handicapé. Le fait de rencontrer une association ne fait pas subir à la femme une pression pour garder l'enfant, mais lui apporte un éclairage supplémentaire. Certaines informations nous laissent penser que, face une anomalie – en particulier en cas de trisomie 21 – l'avortement est souvent la seule issue proposée aux femmes. Il apparaît aussi qu'on ne demande jamais à la femme si elle veut être informée – ce qui est pourtant un préalable indispensable [...].

Il est rare qu'on omette d'indiquer à une personne chez qui un diabète vient d'être diagnostiqué qu'il existe des associations de diabétiques susceptibles de l'aider. Dès lors qu'il s'agit d'une proposition, et non d'une obligation, il n'y a guère de risque de pression.

Je le répète, je suis favorable à cet amendement, sous réserve du sous-amendement précisant que la femme peut s'opposer à la communication de la liste. Il répond à une attente citoyenne : les états-généraux de la bioéthique ont montré que l'ensemble des citoyens étaient favorables à ce double éclairage médical et sociétal. 

Peine perdue, sous la pression des parlementaires de gauche, l'amendement sera rejeté. Avec cependant un dernier mot odieux dont nous gratifie Noël Mamère en fin de discussion :  La mère et la famille sont libres de considérer qu'un enfant trisomique est un cadeau du ciel , mais le médecin n'a pas à remettre de liste d'associations susceptibles d'éclairer sa décision, martèle-t-il une énième fois.

La Halde saisie

L'affaire ne va pas en rester là. L'agence d'information Genethique rapportait dès le 28 janvier que  Le Collectif des Amis d'Eléonore condamnait sévèrement les propos "clairement eugénistes" tenus par un député concernant les naissances d'enfants trisomiques en France alors que la commission spéciale de bioéthique débattait de la question du diagnostic prénatal .

Pour le collectif, le dérapage de ce député montre combien les personnes trisomiques sont stigmatisées en France  alors que notre tradition républicaine est d'accueillir les personnes les plus fragiles de notre société . Il a d'ores et déjà saisi la Halde pour propos contraires à la dignité des personnes trisomiques 21.

Il n'est en outre pas impossible que l'amendement de Xavier Breton soit à nouveau au menu des débats qui doivent débuter le 8 février prochain à l'Assemblée nationale. Lors de la discussion en première lecture, les députés de la majorité pourraient suivre Jean Leonetti s'il persistait à défendre le texte de son collègue.

Par ailleurs, le ministre de la Santé Xavier Bertrand pourrait trancher contre sa secrétaire d'État qui a singulièrement manqué de clairvoyance sur cette question. Le Premier ministre lui-même dans sa lettre de saisine du Conseil d'État sur le réexamen de la loi de bioéthique n'avait-il pas marqué sa préoccupation quant à une possible dérive eugéniste de la médecine prénatale [4] ?

*Pierre-Olivier Arduin est directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

Pour agir

 

 

 

 

[1]. Conseil d'Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, mai 2009, p. 40.

[2]. Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique (MM. Alain Claeys et Jean Leonetti), Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, rapport n. 2235, tome 1, janvier 2010, p. 214.

[3]. Séminaire  AMP, éthique et société  organisé le 17 février 2010 par l'Espace éthique des hôpitaux de Paris. Vidéo téléchargeable sur http://www.espace-ethique.org/fr/video_procreation2010.php.

[4]. François Fillon, Lettre de mission du Conseil d'Etat sur la réalisation d'une étude préalable au réexamen de la loi relative à la bioéthique, n. 206/08/SG, 11 février 2008.