Saint Noël !

C’est le mystère de l’Incarnation que nous fêtons.

Dans l’intimité des bougies d’une crèche, le murmure confidentiel de l’Amour tient vive en nous sa présence. Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, conçu du Saint Esprit est né de la Vierge Marie.

 

L’âme des tourbes, il m’en souvient, se mirait dans mes yeux quand au-delà des errements et des assauts du relativisme « d’atmosphère », le Christ me saisit et me retourna radicalement. C’était il y a des années, à l’âge où les révoltes vous rongent le cœur, où les doutes sournoisement tissent des certitudes et où il suffit de croiser le regard d’une jeune fille pour vous bouleverser la vie. De haute lutte, à grands renforts de coups de plume qui noircissaient le vélin, à grands coups de gueule aussi que les nuits obscures et torturées provoquaient, j’ai refusé d’y croire ; et soudain, me labourant le cœur comme une charrue la terre, l’esprit de Dieu prit aussi maison chez moi et je me retrouvai en Lui.

Chaque jour, je me lave les yeux, l’âme et l’esprit dans l’humilité de la révélation affirmant avec Angélus Silesius « que m’importe que Jésus soit né à Bethléem s’Il ne renaît pas chaque jour dans mon cœur. »

Et chaque soir j’offre à Dieu mon âme cabossée à ressemeler.

 

Et non dixit ubi est Deus qui fecit me qui dedit carmina in nocte

 

Un Sauveur nous est né qui accompagne la solitaire errance de l’homme au creux des dunes fouaillées par l’hiver.

 

Un Sauveur nous est né qui rend dérisoires ces cris et vociférations déversées et vomies dans nos cités.

 

Un Sauveur nous est né qui lave le désespoir rauque et barbare de l’agonie d’un monde.

 

Un Sauveur nous est né qui lance depuis la nuit des temps aux monstres accouchés des songes de la raison l’innocence de l’enfant Dieu qui sourit aux étoiles.

 

Un Sauveur nous est né quand des matures décharnées de rêves moribonds jettent à la côte tourmentée leurs longs déchirements de colère à cheval sur la crête des masses océanes qui mugissent.

 

 

Un Sauveur nous est né lavant toutes ces tristesses qui peuvent envahir tellement l’âme que la voix finirait par se taire.

 

Ce soir, je laisse l’encre des quotidiens qui charrient l’égoïsme, l’horreur des pogroms, la sauvagerie de l’inculture, la bestialité impunie et libérée, la célébration de l’inversion et de toutes les dérives morales, l’indifférence de la multitude qui après s’être affranchie du Dieu vivant, s’agenouille devant les charognes, le sinistre despotisme du mal dont la raison s’épouvante et qui règne en accroupi despote sur le putride fumier de nos cœurs

Ce soir, je laisse les décrets et plaidoiries de ceux qui codifient et néantisent l’homme, travestissent la Vérité, émasculent la pensée, embastillent l’art, fusillent les poètes, décrètent le « rien commun », massacrent les enfants à naître, amputent la vie des anciens et passent devant l’obscène exhibition numérique et médiatique sans révolte, sans murmure, sans étonnement… je me laisse habiter par la lumière du silence et envahir par la sagesse de Dieu.

 

Le poète s’enfièvre ou s’attendrit, le poète nous renvoie les mots de la clarté faite douceur, les lieux où l’enfance irrécusable distille encore le cœur adulte, où il n’est question d’âge et de jeu qu’en face de Celui à qui le mystère de la vie et de la mort appartient.

Poète de l’élégie, poète de la prière, il répand bien des parfums qu’on appellerait volontiers « odeur de Dieu ». L’écriture ! Elle naît dans le silence et le balbutiement, dans l’incapacité de dire, et pourtant elle aspire à récupérer le langage comme une réalité totale. Le poète rend mot tout ce qu’il touche sans exclure le silence. La poésie est un acte de Foi. Le poète écoute ce que dit le temps, même s’il ne dit rien ; et l’être et le désir d’être font un pacte pour un instant. La poésie est un acte d’Amour.

 

Celle de la Nativité est peuplée d’écus d’argent, de monnaies serties, tirées comme des peaux de tambourins qui jettent sur les pierres déchaussées leurs silences ludiques ; cette poésie carillonne avec les voix des anges et ruisselle d’Espérance.

 Pour cette année nouvelle je vous souhaite de péleriner avec le pur, le beau et le vrai dans l’Ecriture, dans toutes les merveilles de la création, dans la poésie, la musique, la peinture, le chant et toutes les formes d’art qui traduisent l’indicible.

 

Il y a sur la paille l’enfant Roi, le nouvel Adam et dans ses yeux toute   la volonté de rassembler ce que le mal a dissocié au cours des âges. Un regard qui écrit l’histoire d’un nouveau monde qui bat sous les haillons de notre actualité.

 

« Il n’est qu’un lieu de transparence- Entre les îles, l’eau vernale apporte dans le sable ancien une lumière qui transmue.

Il n’est qu’un Nom dans la rivière, pâte de manne et de poisson :

Qui boit ici reçoit voyance

Et mange ici devient vivant !

Sur le seuil, les locustes foisonnent, le jour couve un versant d’oliviers et de pins.

Je n’ai plus qu’à m’y fier. »

 

Thierry Aillet

Ancien Délégué épiscopal à l’Enseignement catholique d’Avignon.