Voilà plusieurs mois maintenant que le gouvernement a pris date avec les Français pour ce grand rendez-vous qu'est la réforme des retraites. On nous avait annoncé la mère des réformes . Or ce qui nous est proposé s'apparente davantage à une mini-réforme de plus, conduite dans le même esprit que celle de 2003, qu'à un grand élan réformateur.

Ce sera incontestablement une réforme utile en ce qu'elle permettra un rééquilibrage partiel des comptes pendant quelques années, mais en se polarisant sur les paramètres financiers, elle passe à côté d'une réforme systémique qui était possible et qui reste nécessaire, si l'on veut que notre système de retraite soit véritablement pérennisé.
En somme, si le gouvernement n'a pas manqué de courage, il a cependant péché par défaut d'audace et de vision à long terme. L'inconvénient d'une réforme a minima, c'est que le législateur devra rouvrir le dossier probablement dès la prochaine législature. L'inconvénient d'un choix de court terme, c'est qu'il ne peut aboutir qu'à une atténuation provisoire de déficit très vite remise en cause.
Ainsi, en 2003, la réforme qui a été opérée était censée assurer l'équilibre pour vingt ans. Pourtant, à peine cinq ans plus tard, le système de retraites affichait déjà un déficit de 11 milliards d'euros. Quant à la réforme de 2010, telle qu'elle nous est proposée, elle va certes diminuer pendant quelques années le montant du déficit comblé par l'État, mais dès 2018, celui-ci atteindra de nouveau plus de 16 milliards. La réforme ne modifie donc pas structurellement un système dans lequel le maintien du niveau des retraites continue à reposer sur l'emprunt.
On ne peut espérer mettre fin à cet engrenage, à ce travail de Sisyphe sans engager une réforme systémique de notre système de retraites.
Qu'entendons-nous par réforme systémique ? Essentiellement trois grandes orientations :

  • Une orientation vers l'unification de nos régimes de retraite ;
  • En second lieu, une orientation permettant sur cette base le passage d'un système par annuités à un système par points ;
  • Et enfin une orientation qui place non plus à la marge, mais au coeur de notre système de retraites, le facteur qui conditionne son équilibre dans le long terme et qui est le facteur démographique.

Unifier nos régimes
La division actuelle du système de retraites en 35 régimes obligatoires n'est plus tenable. Les raisons historiques de cet éclatement ont disparu. Il ne survit aujourd'hui qu'en raison de réflexes corporatistes qui ont peu à voir avec l'intérêt général. Ce morcellement de leur système de retraites, les Français sont aujourd'hui parfaitement conscients qu'il entraîne d'innombrables absurdités, injustices et dysfonctionnements. Ce maquis de régimes disparates rend notre système opaque et très difficile à piloter. Il complique toute tentative de réforme, car il rend difficile tout constat précis. Il rend complexe et sujette à caution toute projection. Il rend l'impact des mesures réformatrices très difficile à évaluer.
Le maintien de ce patchwork empoisonne la vie des Français qui relèvent simultanément ou successivement de plusieurs régimes, ce qui est désormais le cas de la grande majorité d'entre eux.
Il faut enfin ajouter que la multiplicité des régimes de retraite rend notre système très gourmand en frais de gestion. Selon plusieurs études économiques, un régime unique, du seul fait des simplifications de gestion, permettrait d'économiser 3 milliards d'euros chaque année.
Cette unification souhaitable est-elle réalisable ?
Oui, si l'on se réfère au précédent réussi de la fusion des 40 régimes ARRCO, un travail considérable, bien préparé par les partenaires sociaux au cours de la décennie 1990 et réalisé en 1999 à la satisfaction générale. La réforme 2010 offrait l'occasion, non pas de réaliser, mais au moins de lancer la préparation de l'unification de nos trois douzaines de régimes actuels. Certes la réforme prévoit d'aligner en 10 ans les taux de cotisation des régimes de retraites du public et du privé, et c'est une excellente disposition, mais l'ambition aurait dû être plus ample et plus forte et viser l'unification de l'ensemble des régimes existants.
Adopter un système par points
Cette unification est un préalable nécessaire avant la seconde étape d'une réforme systémique qui pourrait être celle du passage d'un système d'annuités à un système par points.
Le système par points a été privilégié par le Conseil d'orientation des retraites dans son rapport de janvier 2010. Il présente en effet plusieurs avantages décisifs. Il permet une meilleure prise en compte des tendances démographiques. Il est plus économe et assure une meilleure justice intergénérationnelle, en permettant de mettre un frein au prélèvement sur les actifs. Il est surtout très responsabilisant, en permettant à chacun de choisir en toute connaissance de cause la date de son départ et le montant de la pension qu'il percevra en fonction de la date retenue.
Parce qu'il rend possible une lisibilité des retraites, le régime par points est l'instrument qui permet à chaque futur pensionné d'exercer sa liberté de manière pleinement responsable.
Nos régimes complémentaires fonctionnent déjà avec un système par points et plusieurs pays l'ont, avec des modalités diverses, généralisé, comme l'Allemagne et la Suède, avec des effets extrêmement positifs.
Ces systèmes prévoient l'envoi de relevés annuels donnant à chaque assuré, le nombre de points acquis dans l'année, le cumul de ses points et des projections sur le montant de sa pension en fonction de la date de son départ.
Le gouvernement n'a pas souhaité, à la faveur du projet de loi 2010 sur les retraites, s'engager sur la voie d'une réforme structurelle de cette nature. On peut le regretter, car il faudra remobiliser les énergies pour la faire aboutir. Elle apparaît en effet comme la mieux à même de consolider les fondations de notre système de retraites par répartition et la solidarité intergénérationnelle qui la caractérise.
Elle permettrait en outre de mettre en œuvre le troisième paramètre que doit comporter une réforme systémique : la prise en compte du facteur démographique. Dans le cadre d'un nouveau système unifié et à points, plus juste et perenne, l'attribution des points pourrait en effet se faire pour partie en fonction des cotisations et pour partie au titre des enfants élevés.
Rien n'interdirait non plus de prévoir des bonifications spécifiques, par exemple pour prendre en compte l'engagement dans le monde associatif, tant le bénévolat a besoin aujourd'hui d'être fortement encouragé pour continuer à être un élément constitutif de notre sociabilité.
Le vecteur démographique
C'est la variable démographique qui en dernier ressort conditionne l'avenir de notre système de retraites. Elle doit donc être placée au cœur de toute réforme systémique.
Nous savons tous que les pensions futures ne sont nullement payées par les cotisations. Celles-ci financent uniquement les pensions de l'année en cours. Les pensions futures, ce sont les jeunes générations et elles seules qui peuvent en assurer l'existence.
Or, selon l'INSEE, il n'y aura plus en 2020 qu'1,5 actifs pour un retraité et 1,2 en 2050. Ce problème structurel tient à la natalité insuffisante des trente dernières années. Il tient aussi au gonflement du nombre des retraités partis à 60 ans, à la suite du choix politique irresponsable effectué en 1982, où l'on a commis l'erreur historique d'abaisser l'âge légal au moment où l'espérance de vie s'envolait et où la natalité s'affaissait.
Si, à cette époque, l'âge légal du départ en retraite avait été maintenu à 62 ans, nous ne discuterions pas en ce moment de résorption du déficit, mais de gestion des excédents.
L'espérance de vie après la retraite est aujourd'hui de plus de vingt ans. Quant à la natalité, elle est toujours insuffisante pour assurer le renouvellement des générations.
Pour sortir de l'impasse, deux choix s'imposent :

  • Le premier consiste à faire sauter le verrou des 60 ans, comme le prévoit le projet de loi. A ce titre, je veux saluer le courage du gouvernement qui a tenu bon dans cette voie.
  • Le second choix passe par la reconnaissance de l'effort des familles dans le renouvellement des générations, sans lequel la survie du système sera à terme impossible.

Parmi les injustices du système actuel, il faut mentionner l'insuffisance des avantages familiaux.
Chaque année, la charge, mais qui en fait est un investissement, correspondant à l'éducation de la nouvelle génération, représente environ 450 milliards d'euros et pèse à 60% sur les familles et à 40% sur la collectivité. Or, selon le Conseil d'orientation des retraites, les droits familiaux à pension ne représentent que 8 % des retraites.
Ceux qui contribuent le plus à la pérennité du système sont aujourd'hui paradoxalement ceux qui reçoivent le moins. Plus une femme a d'enfants et plus sa retraite moyenne est basse. Il faut inverser cette logique. L'attribution de points pour chaque enfant serait infiniment plus simple et plus juste que les dispositions actuelles.
Si cette perspective n'est pas immédiate, rien n'empêche pour l'heure d'inscrire dans le projet de loi des mesures concrètes qui vont dans cette direction.

  • Pourquoi ne pas envisager une meilleure prise en compte du congé maternité qui, à l'heure actuelle, ne compte même pas comme période cotisée pour la retraite ? C'est le sens de l'amendement que propose Marc Le Fur et auquel j'apporte mon entier soutien.
  • Pourquoi ne pas appliquer un système de bonus aux pensions de retraite, en fonction du nombre d'enfants élevés ? C'était une promesse de Nicolas Sarkozy dans son programme de 2007 : allouer des droits sociaux et des droits à la retraite à ceux qui se consacrent à l'éducation de leurs enfants. Il est dommage que cet engagement n'ait pas reçu de traduction concrète dans le cadre de ce projet de réforme.
  • Pourquoi enfin, ne pas porter une attention particulière aux jeunes veufs et veuves ayant charge de famille pour assurer au conjoint survivant en cas de reversion, un revenu disponible correspondant aux 2/3 des revenus antérieurs du couple ?

Ces différentes mesures visent en fait le même objectif : encourager les familles qui le souhaitent à accueillir leurs enfants. Sans l'assurance d'une aide convenable au moment de la retraite, comment les familles pourraient-elles sereinement effectuer ce choix décisif pour l'avenir de notre système de retraites ?
Le gouvernement aborde aujourd'hui courageusement l'avenir à court terme de notre système de retraites. Il ne faut pas pour autant oublier le long terme. Il faudra remettre l'ouvrage sur le métier pour engager une véritable réforme systémique, novatrice, s'articulant autour de l'unification et de la lisibilité de nos différents régimes et d'un soutien résolu aux familles. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons assurer durablement la survie de notre régime solidaire de retraite par répartition et redonner aux Français, et en particulier aux jeunes générations, une pleine confiance dans leur système de retraites.
*Dominique Souchet est député de la Vendée. Texte de l'intervention à la tribune de l'Assemblée nationale lors de la discussion générale du projet de loi portant réforme des retraites, le 7 sepetembre 2010.
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