Réflexion à un ami en situation de rupture conjugale

Cher ami,

 

Il est difficile, osé même, d’écrire quelque chose dans la situation si personnelle et délicate d’un couple au bord de la séparation après vingt années de vie commune. Ce premier regard se veut dégagé de tout le conditionnement psycho-affectif qui est le tien, le vôtre, avant d’entrer dans les circonstances détaillées de la situation.

La vie s’étend de l’enfance à la vieillesse, tenant compte de ce qu’on appelle les âges de la vie : enfance, jeunesse, adolescence, jeune homme, âge mûr, mariage, vie de famille, vie professionnelle, vie spirituelle, éventuellement ‘crise de milieu de vie’, charge des enfants et étapes de leur croissance, étapes de la croissance du couple, étapes de la croissance de la personne humaine que nous sommes chacun d’entre nous, soucis divers liés au travail, aux relations sociales et professionnelles, engagements divers, enfin quête de sagesse liée à un retour sur soi, sur sa vie, puis les problèmes de santé, de vieillesse, les nôtres et ceux de notre entourage familial et amical, enfin la rencontre finale avec notre Créateur.

Dans ce premier temps, hors de tout contexte explicatif, nous sommes, tu es seul face à toi-même, à ta vie, à tes engagements conjugal et familial, professionnel aussi bien entendu. Mais ce dernier n’est pas de même nature, puisqu’il ne contient pas une dimension d’engagement, de don dans l’amour et dans la responsabilité affective.

Au premier abord, en charge d’une famille, nous sommes responsables de cette famille, à deux, dans la complémentarité des natures (des sexes) et des responsabilités. La femme n’est pas l’homme et réciproquement. C’est pour cela que cela implique des difficultés, des incompréhensions, sans chercher à vouloir les écarter, car nous sommes différents homme et femme par nature, et de cette différence naît la complexité, mais aussi la richesse dans la complémentarité.

C’est pour cela que, dans un couple, si l’un des deux écarte cette complémentarité en dominant l’autre, en classant l’autre dans une case qui n’est pas bonne, qui n’est pas respectueuse de l’épanouissement de la personne et de l’engagement responsable dans le couple, auprès des enfants, dans leur éducation, et auprès de l’épouse, comme l’épouse envers l’époux pour les personnes mariées, alors tout peut craquer.

Il y a quelques éléments fondateurs de réussite, de stabilité : j’aime l’autre pour lui-même, non pas pour moi. Aimer l’autre parce qu’il me ressemble est un critère égoïste, individualiste. J’aime l’autre pour qu’il soit heureux, et je fais tout pour qu’il s’épanouisse dans la croissance profonde de sa personne, de son rayonnement. Alors je recevrai beaucoup de lui ou d’elle, car cela doit se vivre dans la réciprocité, une réciprocité qui n’est pas du 50/50, car nos parcours sont différents, nos enfances et nos histoires sont différentes. Celui qui a reçu plus sur un certain plan donne plus. La possessivité mène à la destruction de la relation, parce qu’elle n’est pas réelle, mais univoque, enfermée sur elle-même, voire narcissique.

Ensuite, la stabilité, la réussite prend racine dans le don de soi envers les enfants, après l’épouse - et toujours réciproquement de l’un envers l’autre dans la diversité des situations, envers la famille. Le travail compte, prime certes, mais sans qu’il soit cause de fuite, de rejet de la famille. Il y a des gens qui travaillent beaucoup et voient pas assez leur famille, mais qui compensent par la qualité de la relation, de l’engagement, en un mot du don de leur personne. Comment la générale Leclerc - que j’ai eu l’honneur et la chance de rencontrer une fois chez elle - aurait-elle pu aimer vraiment son mari, son homme, en le voyant si peu et en supportant la charge de l’éducation de leurs six enfants. Pourtant, l’un comme l’autre vivait d’une admiration et d’un amour responsable et très présent, même et surtout à distance, cette distance que la vie leur imposait, puis que la mort a enlevée, car Leclerc est mort à 45 ans, en tant que soldat certes, ce qui n’est pas le cas de tous, mais en homme avant tout. Nous ne sommes pas Leclerc, mais la vie est ainsi faite pour tout homme quel qu’il soit, pour toute femme quelle qu’elle soit.

Si ta femme te rend la vie impossible, de telle sorte que la vie commune n’est plus possible, parce qu’elle te réprimande sans cesse, qu’elle monte les enfants contre toi, qu’elle supprime ta charge de père, qu’elle t’impose une charge d’époux injustifiée, qu’elle t’impose sa famille, ses parents, qu’elle te fait des reproches devant vos enfants, qu’elle dénigre ce que tu dis ou demandes aux enfants, qu’elle n’accepte pas les exigences du travail professionnel, etc. Alors je comprends que ta liberté d’homme, ta dignité d’homme n’est pas respectée, voire est gravement diminuée, au risque de te perdre toi-même, de ne plus t’aimer toi-même. Car on ne peut pas aimer Dieu, puis aimer les autres, si on ne s’aime pas soi-même. C’est l’ordo caritatis, l’ordre de charité de saint Thomas. Est-ce le cas pour toi ? Et toi, pour elle ?

Sur un autre plan, ton épouse vit certainement des épreuves, supporte elle-même une histoire qui a connu des épreuves, des manques, des doutes, et que le mariage doit combler pour une part, l’un pour l’autre aussi dans la réciprocité. C’est cela : aimer quelqu’un. C’est lui permettre d’être lui-même, de grandir, de se perfectionner humainement, affectivement, spirituellement aussi. Ton épouse m’a confié qu’elle supportait un problème personnel. Vos charges financières exigeant deux salaires, elle s’est mise au travail dans une entreprise dans un contexte difficile et éprouvant qui lui a entraîné une rupture de contrat : qu’avez-vous vécu et partagé ensemble sur cela ? Les difficultés financières ont dû accroître ce qui se passe aujourd’hui. A-t-elle refusé de trouver un travail pour participer aux charges familiales ?

Un changement de domicile pourrait être compréhensible. Est-ce sérieux maintenant dans le contexte familial actuel ? Plus tard, pourquoi pas, quand les enfants seront grands, mais dans une relation conjugale retrouvée, crise de milieu de vie guérie, si c’est une crise.

Enfin, mon cher ami, cherches-tu à découvrir ce que la Providence de Dieu veut ou permet dans de telles épreuves, celle de la vie commune, à l’occasion de retraites de discernement, conseils spirituels et amicaux, voire consultations psycho-thérapeutiques, agapè-thérapies. L’as-tu fait ou le fais-tu ?

Si tu partais maintenant, tes enfants façonnant actuellement leur vie d’adolescents tournés vers l’âge adulte, avec les composantes de leur vie présente, ne risquerais-tu pas à terme proche ou lointain de te reprocher ou de te voir reproché gravement, en premier lieu par tes enfants, de les avoir abandonnés ? Non pas d’avoir respecté les exigences de ton travail professionnel, personnel et nourricier, mais par tes absences prolongées et fréquentes d’avoir abandonné les tiens, oui, abandonné les tiens, sans leur apporter la considération, le respect et l’amour que tu leur dois en tant que père, époux et homme tout simplement ? Et tu ne peux pas agir et réagir en ‘célibataire’, mais en homme marié responsable. N’ayant pas ‘géré’ convenablement une telle crise, tu risques fort de t’en reprocher, de ne pas t’en remettre pour les années qui te restent à vivre, non pas dès maintenant, au creux de la vague, mais dans quelques mois ou années, et pour le restant de tes jours.

Tes enfants, eux-mêmes dans quelques années, s’ils en ressentent des effets dès à présent, en subiront des conséquences beaucoup plus graves dans leur vie avec des effets négatifs, voire même destructeurs, sur leur psychisme, au risque de les handicaper, sans qu’ils le sachent aujourd’hui, sur leur avenir personnel et/ou familial, car eux-mêmes engendreront et assumeront des responsabilités, te reprochant d’être la cause profonde et justifiée de leurs déboires.

Car outre cela, le monde est difficile, perturbé comme perturbateur, remettant en cause ce qui fait la stabilité humaine de la vie et la vitalité profonde d’une famille, elle-même remise en question par des dérèglements sociétaux et moraux. Tu dois prendre conscience de tous ces paramètres éthiques, causes de mal, pour retrouver le bien que le manque ou le mal a privé consciemment ou inconsciemment pour une part et une autre. Et là je regarde les enfants principalement, avant ta femme, ta famille, tes amis et Dieu lui-même, l’Amour par excellence, don d’Amour à recevoir dans le don de soi, dans la formation personnelle structurante, humaine, donc philosophique, mais aussi théologique, dans l’offrande de soi dans la prière, première médiatrice où chacun retrouve Marie, la Vierge, pour laquelle le saint pape Jean-Paul II a témoigné tant d’amour et offert tant de sacrifices.

Après cette réflexion fondamentale, il faut étudier le contexte particulier, puis en tirer des enseignements possibles pour comprendre une part de ce qui vous arrive, de ce qui ne s’est pas fait ou mal fait, avant et pendant votre vie commune. Sache que les années passant, les enfants grandissent, les petits-enfants arrivent, l’âge avance, d’où la retraite, les problèmes financiers se posant avec acuité, surtout dans un contexte national qui n’est pas brillant, loin de là. Puis à la fin, Dieu nous demandera ou nous regardera dans sa Lumière éternelle, et nous saurons tout le bien que nous n’avons pas fait, les responsabilités auxquelles nous nous serons dérobés et, à l’inverse, si nous avons cherché à avancer, si nous nous sommes remis en question en prenant des risques, et que, ce qui n’a pas été suivi d’effet, Lui le sait et le voit.

C’est dans cet esprit que je me propose de continuer, de commencer réellement à travailler pour ton épanouissement personnel profond et celui des tiens. Bon courage dans l’épreuve, sois fort pour gagner, et reçois toute mon amitié proche de toi.