Redeker: « Durant la guerre de 1914, l'Armée était la France charnelle et réelle »

Source [Le Figaro] Robert Redeker met à l'honneur le sacrifice des soldats de la Première Guerre mondiale, d'autant plus admirable, selon lui, qu'il fut accompli par des hommes restés anonymes.

Généralement, l'on va chercher l'héroïsme dans l'individualité, dans l'exploit guerrier qui singularise un courage et un sens du sacrifice hors du commun. Bonaparte au pont d'Arcole, magnifique et romantique sous la mitraille, passe pour la parfaite vignette de ce type d'héroïsme. On pourrait citer aussi des héros de la Résistance française, lointains avatars de Jeanne d'Arc, comme les philosophes Georges Politzer ou Jean Cavaillès, tombés sous les balles du peloton d'exécution. Mais la guerre de 14-18 n'a pas été une guerre comme les autres. Gramsci l'a comparée à l'usine, identifiant le soldat comme un ouvrier attaché à sa chaîne taylorisée. Ce fut la guerre de la disparition de l'individu. Faut-il dire pour autant qu'elle ne connut point de héros ?

La belle appellation de «soldat inconnu» rend justice à la particularité de cette guerre taylorienne. Que nous ignorions le nom de ce combattant est le suprême symbole du double et généreux sacrifice: du moi et de la vie. Inconnu ne renvoie pas à une ignorance, à un manque, mais à son opposé, à une complétude ; au contraire donc, inconnu désigne l'ensemble, la totalité, le rassemblement de tous les soldats français. Au fond, cet inconnu est parfaitement connu: il désigne à la fois tous les soldats, dans la généralité de l'Armée française, et chacun d'entre eux en particulier.

Pourquoi sont-ils morts? Pas pour la paix, comme Jaurès avant-guerre, ni pour les valeurs humanistes dont le Pouvoir veut alourdir aujourd'hui leur souvenir, les chargeant de nos préoccupations et de nos fantasmes actuels. Mais alors: pourquoi? Ils ont renoncé à leur moi et à leur vie pour que la France continue de vivre. Pour que leur mort nourrisse une vie plus grande - celle de la nation. Ils ne se sont pas couchés dans la glaise pour des valeurs abstraites que leur font, en cet anniversaire de l'armistice, ventriloquer des politiciens peu scrupuleux du respect des morts, mais pour la vie de la nation. Pour que la nation de Philippe Auguste et de Robespierre, de saint Louis et de Napoléon, de Bouvines et de Valmy, persiste dans l'existence.

Comme dans une armée d'ouvriers d'usine, de prolétaires industriels, alors qu'ils étaient pour la plupart paysans, et bien que certains obtinrent des médailles, on ne peut en distinguer décisivement aucun aux dépens des autres. C'est que la tranchée et le front furent des totalités - des organismes monstrueux, des ogres - dont les soldats n'étaient que des cellules. Le héros de cette guerre ce n'est ni Foch, ni Pétain, ni même Clémenceau! C'est l'Armée française dans ses bas grades, les centaines de milliers de soldats de base, ceux qui n'en sont pas revenus et ceux qui ont échappé par chance à la mort, souvent blessés dans leur chair, toujours profondément atteints au moral. Que leur devons-nous ?

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