La recherche française sur les cellules souches embryonnaires et l'embryon humains est-elle à bout de souffle ? S'il est trop tôt pour apporter une réponse définitive à cette question, le dernier rapport d'activités de l'Agence de la biomédecine fait état d'un désintérêt croissant des scientifiques pour ce secteur de la recherche. La révolution biologique des cellules souches induites est passée par là.

La lecture du dernier bilan d'activités rendu public en septembre 2010 par l'Agence de la biomédecine (ABM) est fort instructive [1]. En particulier celle du chapitre consacré à la présentation des protocoles de recherche sur l'embryon et cellules souches embryonnaires autorisés depuis 5 ans.
L'ABM y reconnaît en effet que le nombre de demandes pour une première autorisation de recherche, après avoir atteint un pic en 2006, baisse régulièrement depuis , s'inquiétant que seules trois demandes d'autorisation ont été déposées en 2009 (p. 82). Pour expliquer le phénomène, l'ABM avance l'hypothèse selon laquelle les projets de recherche [impliquant] les cellules somatiques reprogrammées (iPS) ont pu représenter [...] une ‘‘alternative d'efficacité comparable'', selon les termes de la loi, à l'utilisation de cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) [avec] donc autant de demandes en moins (Ibid.).
Contre-performances
Une fois n'est pas coutume, force est de reconnaître que l'explication donnée par l'ABM est on ne peut plus juste. Le tournant de la recherche sur les thérapies cellulaires se situe en effet en 2007, considérée par beaucoup comme une année charnière dans la jeune histoire de la médecine régénératrice. À cette époque, l'enthousiasme des scientifiques pour les cellules souches embryonnaires s'est déjà largement refroidi. Outre les problèmes éthiques qu'elles soulèvent, de nombreuses expérimentations à travers le monde montrent que les CSEh présentent une instabilité chromosomique et une propension à la formation de tumeurs.
Les chercheurs n'ignorent pas non plus que malgré leur position de leaders mondiaux dans les recherches sur l'embryon, des pays comme la Corée du Sud ou le Royaume-Uni n'ont toujours pas enregistré le plus petit début de résultat significatif pour la science et la médecine. Même constat aux Etats-Unis où les scientifiques, grâce à l'apport de fonds privés faramineux, contournent la décision de l'ancien locataire de la Maison blanche d'en interdire le financement fédéral. Sans plus de succès. Les contre-performances des cellules embryonnaires ne sont toutefois qu'une des raisons de ce désenchantement.
Car par-dessus tout, c'est en 2007 que les médias de la planète vont révéler qu'une équipe japonaise dirigée par le professeur Shinya Yamanaka de l'Université de Kyoto a réussi ce que personne n'avait imaginé possible : reprogrammer des cellules adultes de peau de manière à leur faire recouvrir un état de pluripotence (d'où leur dénomination de cellules souches induites ou iPS) [2]. À l'aide d'un cocktail de quatre gènes correctement sélectionnés, Yamanaka parvient à dédifférencier des cellules hautement spécialisées en cellules souches capables à leur tour de générer n'importe quel type cellulaire.
La révolution des iPS
En moins de quatre ans, la technique ne va cesser de se perfectionner, les meilleures équipes internationales n'hésitant pas à renouveler totalement leurs axes de recherches, opérant parfois des revirements spectaculaires. C'est le cas du professeur écossais Ian Wilmut, célèbre pour avoir cloné la brebis Dolly. Lors d'une conférence de presse qui fera le tour du monde, ce dernier annonce que la révolution des iPS a sonné le glas de la recherche sur le clonage embryonnaire, dont il était pourtant l'un des partisans les plus engagés [3]. C'est également le cas du professeur James Thomson aux États-Unis (Université du Wisconsin-Madison), celui-là même qui a isolé et cultivé les premières lignées de cellules souches embryonnaires [4]. Les chercheurs français pouvaient-ils demeurer indifférents devant une telle accumulation de faits objectifs ?
L'ABM a donc parfaitement raison. Plusieurs équipes françaises n'ont pas jugé bon de s'engager dans l'impasse de la recherche sur l'embryon et/ou se sont tournées vers les cellules souches reprogrammées, un des champs les plus prometteurs de la biologie cellulaire actuelle. Avec en prime l'absence de dommages éthiques, ce qui est évidemment beaucoup plus confortable sur le plan intellectuel pour un nombre non négligeable de femmes et d'hommes de science qui n'ont pas forcément envie de faire progresser la recherche au détriment du respect de la vie humaine.
Depuis la publication fondatrice de Yamanaka, pas un mois sans une étude apportant la preuve de la supériorité scientifique des cellules à pluripotence induite. La dernière en date, c'est l'Agence d'information Genethique qui vient de la mettre en ligne en avant première [5]. Des chercheurs du Harvard Stem Cell Institute de Boston ont mis au point une technique de reprogrammation de cellules adultes de peau en utilisant des molécules d'ARN messagers n'affectant pas le génome des cellules receveuses [6]. Rendue ainsi plus sûre avant une éventuelle application clinique, la procédure est par ailleurs deux fois plus rapide que celle des Japonais, et avec un taux d'efficacité multiplié par un facteur 100.
Plusieurs personnalités ont d'ores et déjà salué cette expérience comme une nouvelle percée sans précédent dans le domaine de la médecine régénérative. Derrick Rossi qui a dirigé cette étude a immédiatement encouragé tous ses collègues de l'Université de Harvard à l'expérimenter. Le professeur Yamanaka lui-même a annoncé qu'il allait la tester dans son laboratoire. Conceptuellement, on n'a jamais été aussi près d'une thérapie cellulaire personnalisée. Contrairement aux CSEh déclenchant un rejet immunitaire systématique chez l'organisme receveur, les cellules iPS peuvent en effet être obtenues à partir de cellules prélevées sur le patient lui-même. Elles ont donc l'avantage considérable d'être parfaitement immuno-compatibles. C'était d'ailleurs le rêve des promoteurs du clonage embryonnaire humain de disposer de cellules taillées sur mesure. On comprend mieux pourquoi la technique de transfert nucléaire est complètement tombée en désuétude, quelques mois seulement après la découverte des iPS.
"Conquistadores"
Alors, quel intérêt à s'obstiner à faire de l'embryon ? D'après l'ABM, on note en effet l'existence de 45 protocoles valides en France fin 2009. Cependant, si l'on se donne la peine de faire une lecture détaillée du tableau récapitulatif, on s'aperçoit que l'essentiel de la recherche est concentré sur Paris et l'Île-de-France, en particulier à Évry où se trouve l'Institut I-Stem dirigé par le professeur Marc Peschanski (et financé en partie par le Téléthon). Son nom est cité neuf fois, ce qui signifie que son labo représente à lui seul pas loin de 20% des autorisations délivrées par l'ABM depuis 2006. Comment expliquer pareil monopole dans le paysage de la recherche française ?
Pour répondre à cette question, il faut chercher du côté des motivations non exprimées qui se substituent ou s'ajoutent aux arguments à prétention scientifique des conquistadores de l'embryon humain , pour reprendre l'expression de Jacques Testard [6].
Toute une filière de brevets, de savoirs techno-scientifiques et de carrières tout entières se fondent précisément sur l'utilisation des embryons humains. Dans une situation de ce genre, il serait naïf de penser que tout cela puisse être abandonné pour adopter des techniques différentes, uniquement parce qu'elles sont plus efficaces et acceptables d'un point de vue éthique. Les intérêts son trop nombreux... , telle est l'analyse sans concessions du professeur italien Angelo Vescovi [7]. Et si l'entêtement à faire de la recherche sur l'embryon n'était en fin de compte qu'une histoire d'argent ?
Il n'y a jamais eu autant moins de raisons qu'aujourd'hui de déroger au respect légal de la vie de l'être humain dès le commencement de sa vie (art.16 du Code civil). Il n'a jamais été aussi incohérent de poursuivre des recherches sacrifiant des embryons humains pour un objectif qui pourrait être atteint, plus efficacement, par d'autres méthodes. Mais parce qu'ils ont tout misé sur l'embryon, certains espèrent rentabiliser coûte que coûte leurs travaux et pour parvenir à leurs fins, au mépris de l'éthique bien sûr mais encore du plus élémentaire bon sens, n'hésiteront pas une seconde à mobiliser leurs réseaux pour influencer la rédaction de la future législation en leur faveur.
Prochain article : L'Agence de la biomédecine a-t-elle enfreint la loi ?
[1] Agence de la biomédecine, Rapport annuel 2009, septembre 2010, p. 76-87.
[1] K. Takahashi, S. Yamanaka et al. "Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblasts by defined factors", Cell, 2007, 131:861-872.
[1] "Les recherches sur l'embryon et le clonage sont-elles encore nécessaires après la découverte des cellules iPS?", Interview exclusive du Pr Ian Wilmut par Genethique, mai 2009.
[1] J. Thomson and al., "Induced pluripotent stem cells lines derived from human somatic cells", Science, 2007, 318:1917-1920.
[1] Des cellules de peau en cellules iPS , Genethique, 1er octobre 2010.
[1] D. Rossi, L. Warren and al. "Highly efficient reprogramming to pluripotency and directed differentiation of human cells with synthetic modified mRNA", Cell Stem Cell, 30 September 2010.
[1] J. Testard, Cannibales et marchands à la recherche de l'embryon , Libération, 27 avril 2009.
[1] Dr Angelo Vescovi, Université de Milan, Derrière la recherche sur les cellules souches, une guerre des brevets , Osservatore romano en langue française n. 23, 9 juin 2009, p. 11-12.
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