Source [Atlantico] Si les prédécesseurs du président de la République ont largement pavé la voie, le maintien de Didier Lallement symbolise tout ce qui dysfonctionne dans la gestion politique du maintien de l’ordre en France.
Atlantico.fr : Quel est l’objectif du discours de fermeté sécuritaire d’Emmanuel Macron ? A quel prix politique et démocratique le tient-il ?
Arnaud Benedetti : Emmanuel Macron est assez étranger au régalien. Au demeurant ce sujet est un quasi angle-mort de la campagne qui l’a porté au pouvoir. Il est entré depuis quelques mois dans une séquence de rattrapage. Pressé par les événements, il s’efforce de se forger une posture, une doctrine, une politique. En revanche Emmanuel Macron dispose du flair du chasseur d’opinons. Lui dont la vision de la société s’est construite d’abord au prisme de l’économie est désormais confronté à la question centrale qui fonde l’Etat : l’enjeu de sécurité. Il a saisi que la demande sécuritaire montait, qu’elle s’installait dans ce "chien et loup" des confinements et des déconfinements comme une attente forte sur fond de hausse des délits liés à l’insécurité et de menace terroriste. Donc il nourrit la machine symbolique d’abord. Comment ? En donnant des gages : tout autant à l’opinion qu’aux forces de l’ordre, dont il sait qu’elles lui sont, mémoire des gilets jaunes oblige, indispensables dans un climat social instable. La concession de l’article 24 est la conséquence d’un "bargaining" très poussé avec les syndicats de police. Elle est le produit peut-être aussi d’une surestimation du soutien populaire à la police, car la crise des Gilets jaunes a laissé des traces dans des segments sociaux enclins à les soutenir. Le soutien reste certes majoritaire mais il paraît néanmoins s’infléchir. Elle résulte enfin d’une anticipation électorale dont la nomination de Gérald Darmanin et la com’ sont l’illustration. Le Président bordure à droite car il estime que celle-ci a gagné la bataille culturelle, et son "en même temps" est désormais plus à droite qu’à gauche. Ce faisant il a réussi à réagreger séquentiellement la gauche, comme l’ont montré les mobilisations du week-end dernier, et il crée un coin complexe entre son gouvernement et une partie de sa majorité parlementaire. Lui le défenseur autoproclamé du libéralisme politique s’est ainsi construit une image autoritaire que les mesures sanitaires restrictives de nos libertés par ailleurs ne font que renforcer. La dentelle libérale du régime, subtil équilibre entre l’ordre républicain et exercice constant des libertés publiques, apparaît dés lors abîmée. Les ambiguïtés du Président sont à l’origine de ce début de sentiment collectif.
En laissant en poste le préfet Didier Lallement qui n’avait pas hésité à affirmer que policiers et Gilets jaunes n’étaient pas « dans le même camp » le gouvernement, n’a-t-il pas laissé s’installer autour de cette figure controversée, l’idée de l’existence de clan dont certains citoyens seraient exclus ? Participant ainsi à l’aggravation du fossé entre la population et la police ?
En effet, Emmanuel Macron voulant s’attacher presque à n’importe quel prix les bonnes graces policières dont le mal-être est réel leur a concédé des gains symboliques, encore une fois, en matière de communication d’une part et en matière législative d’autre part, ceci faute de répondre le plus souvent à leurs revendications de moyens. Cette politique du symbole a un coût pour le Président et les policiers : pour le premier elle suscite autour de sa pratique du pouvoir ce soupçon de dérive autoritaire dont j’ai déjà parlé et pour les seconds, loin de renforcer le consentement de la société à leur action, elle le mine sur la durée. Le préfet Lallement par son style et sa sémantique non dénuée d’une certaine arrogance est devenu le point de fixation de toutes les critiques à l’encontre de l’usage par l’Etat des forces de l’ordre sur le terrain. Lallement obéit, certes, à sa hiérarchie, mais il obéit en flirtant en permanence avec son devoir de neutralité. Ce manquement aurait dû déjà être sanctionné, il ne l’est pas, et bien évidemment cela renforce cette idée aussi de la force de l’administration sur le politique. L’administration est le rouage de l’Etat, le politique est l’expression du citoyen. Quand le politique oublie le premier et se range exclusivement au second, la médiation qu’il représente entre la société et la puissance publique est nécessairement abîmée, et à terme c’est l’acceptabilité démocratique de l’Etat qui est en jeu. L’affaire Lallement est le symptôme de ce court-circuitage accéléré. Tout se passe comme si l’Etat n’était plus qu’administratif, que le facteur politique qui le légitime en démocratie ne jouait plus son rôle d’amortisseur, et que le pays ne se retrouvait plus protégé par le politique face à une bureaucratie qui sous toutes ses formes déploie ses contraintes et autres réglementations tatillonnes. Rarement comme sous Emmanuel Macron qui voulait rétablir la maîtrise du politique l’administration n’aura été aussi puissante et parfois en "roue libre", au point qu’à plusieurs reprises le jugé administratif lui-même, qui n’est pas forcément le plus libéral, a été contraint de rectifier certaines initiatives d’un exécutif débordé par son administration.
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