Philippe Murer : « Tsipras n'avait pas de plan B »

Philippe Murer est économiste “eurocritique”. Il est co-auteur avec Jacques Sapir des Scenarii de dissolution de la zone euro, étude publiée en 2013 par la fondation Res Publica, et auteur d’un livre sur La Transition énergétique aux éditions Mille et une nuits. Il estime que le gouvernement grec, en se refusant à mettre la sortie de l’euro dans la balance des négociations, s’est lié les mains et qu’il a ainsi manqué une belle occasion de rompre avec la logique austéritaire.

Liberté politique. — La désillusion est à la hauteur des espérances que les opposants à l’euro avaient placé en Alexis Tsipras. Peut-on parler de capitulation après des semaines de bluff ?

Philippe Murer. — On peut effectivement parler de capitulation. Alexis Tsipras, qui avait pourtant une forte majorité et qui pouvait s’appuyer sur le « non » du peuple grec au référendum, n’a plus aucune carte. Il a décidé que tout serait voté. Le seul atout qui aurait pu lui rester est la restructuration ou le reprofilage de la dette grecque en octobre, mais il n’aura rien à opposer dans ces négociations. Il devra donc accepter les conditions qu’on lui impose.

Les alliés de Syriza, les Grecs indépendants, sont tout aussi décevants. Panos Kammenos, qui est à leur tête, a déclaré qu’il était contre le plan des créanciers mais qu’il resterait au gouvernement. S’il avait choisi de démissionner, le peuple grec aurait eu un repère, une figure politique de la résistance face à cette politique de destruction imposée par l’étranger.

Comment expliquer cet échec ?

Les négociations ont été faites le revolver sur la tempe des Grecs. Le système bancaire est en quasi faillite : les banques grecques doivent être recapitalisées à hauteur de 25 milliards d’euros. Or la BCE a exercé un véritable blocus financier en privant le système bancaire grec de financement. Yanis Varoufakis, pour le contrer, avait proposé de réquisitionner la banque centrale grecque dès le lundi de reprise des négociations entre les pays.

Mais, plus globalement, l’erreur majeure de Tsipras a été de ne pas envisager de plan B, c’est-à-dire la sortie de l’euro. En refusant de considérer cette alternative, il était en position de faiblesse et n’avait donc aucune chance d’obtenir un compromis satisfaisant. Yanis Varoufakis, de son côté, avait pourtant préparé un plan de sortie de la monnaie unique avec des experts internationaux.

Beaucoup ont espéré en Alexis Tsipras dans la mesure où personne ne savait ce qu’il avait dans la tête avant la toute fin des négociations. Mais il a cédé par idéologie. Entre son peuple et l’idéologie européiste, celle d’une Europe imaginaire, il a choisi la seconde.

Que va-t-il se passer dans les prochains mois pour la Grèce ?

La Grèce est déjà dans une situation désastreuse : 50 % des jeunes sont au chômage, 300 000 scientifiques ont quitté le pays… Le nouveau plan dit « d’aide » va l’aggraver encore. Les promesses d’investissement sont des leurres, comme le pacte de croissance qu’avait promis François Hollande il y a quelques années. Quand on propose de sortir les actifs grecs (le patrimoine de la Grèce) pour les mettre au Luxembourg, gérés par des étrangers, on entre dans une logique quasi coloniale. La Grèce est désormais un protectorat.

Alexis Tsipras n’aura aucun atout pour restructurer la dette grecque à son avantage en octobre. Il devra plier aux conditions des autres pays. Le FMI ne peut lui servir d’allié en ce domaine que dans une faible mesure, maintenant que la Grèce a décidé de rester dans l’euro. Il aurait fallu pour Tsipras négocier la restructuration de la dette en même temps qu’étaient négociées les mesures d’austérité.

Tsipras a dit qu’il approuvait le plan des créanciers pour éviter le « désastre », c’est-à-dire la sortie de la Grèce de l’euro. Serait-ce véritablement un « désastre » ?

Une monnaie, c’est une arme politique et on peut en sortir. Les problèmes que rencontre la Grèce sont assez comparables à ceux de l’Argentine dont la monnaie était alignée sur le dollar au début des années 2000. Quand l’Argentine est sortie de ce système, elle a très rapidement retrouvé la croissance.

Le peuple grec craint qu’une sortie de l’euro n’entraîne une sortie de l’Union européenne. Il se retrouverait alors seul face à la Turquie. Ce peuple souffre d’un déficit de confiance en lui-même, auquel s’ajoute un manque de confiance dans l’État grec. La fin de l’euro n’est pourtant pas nécessairement synonyme de fin de l’Europe.

Si la Grèce retrouvait une monnaie nationale, la Russie l’appuierait pour ce faire en fournissant des réserves de change.

Le risque de contagion à l’ensemble de la zone euro en cas de sortie d’un pays est-il justifié ?

Si la Grèce sortait de l’euro, je ne pense pas qu’il y aurait de contagion immédiate. Il n’y aurait contagion que dans la mesure où les marchés financiers se porteraient sur le nouveau maillon faible, l’Italie ou le Portugal, à l’occasion d’une nouvelle crise financière. Dès lors qu’un pays quitte la zone euro, les marchés financiers peuvent envisager que l’euro n’est pas irréversible et spéculer sur la sortie de l’euro d’autres pays fragiles.

Quel est le grand enseignement de la crise grecque ?

Qu’ait été envisagé que la Grèce puisse sortir de l’euro a d’ores et déjà brisé un tabou. L’euro, pour ceux qui en doutaient encore, n’est pas une construction irréversible. Surtout, Alexis Tsipras a fait la preuve malgré lui qu’euro et austérité vont main dans la main. L’euro est le point de blocage, et hors  le retour à une monnaie nationale, il n’y aura pas de salut pour les Grecs.

 

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

 

 

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