Objection de conscience : le modèle italien

Les statistiques rendues publiques par le ministère italien de la Santé sur le taux d’objecteurs de conscience à l’égard de l’IVG n’en finissent pas de faire des vagues en Europe. Dans plusieurs provinces de la péninsule, on enregistre désormais pas moins de 85% des spécialistes de la grossesse utilisant leur clause de conscience.

DANS LE LATIUM et la région de Rome, ce sont même 91% des gynécologues qui refusent de pratiquer des avortements. La moyenne nationale dépasse les 70% alors qu’elle n’était « que » de 58,7% en 2005, chiffre déjà considérable pour un pays européen [1]. Certains prédisent que la loi 194 de 1978 ayant dépénalisé l’IVG pourrait ne plus être appliquée en Italie d’ici 2016 si les taux d’objecteurs se maintenaient à de telles hauteurs.

L’Italie au banc des accusés

La journaliste Jeanne Smits qui suit l’affaire de près nous apprend par ailleurs que la situation a été jugée si « grave » par les lobbies pro-avortement que la branche européenne de la Fédération internationale du Planning familial a immédiatement réagi en déposant un recours contre l’Italie auprès du Conseil de l’Europe [2]. Et que malheureusement le Comité européen pour les droits sociaux l’a jugé recevable.

Si l’Italie se retrouve une nouvelle fois sur le banc des accusés dans l’enceinte de Strasbourg, c’est que ses « experts » ont été sensibles à l’argument du Planning selon lequel le droit à l’avortement n’était plus garanti par l’État italien. Pour l’ONG pro-avortement en effet, l’objection de conscience n’est pas un droit mais une simple concession individuelle accordée au cas par cas. Selon son raisonnement, lorsque la législation d’un pays autorise l’IVG, les autorités se doivent d’en rendre effectif l’accès sur tout son territoire et dans toutes ses structures publiques.

La bataille promet d’être rude. Selon Jeanne Smits, le gouvernement transalpin est prié de se justifier d’ici au 6 décembre tandis que le Planning familial aura jusqu’au 17 janvier pour préparer sa riposte.  

De plus en plus de médecins objecteurs

Comment expliquer que de l’autre côté des Alpes on atteigne une telle proportion de médecins objecteurs ? Là est certainement la question la plus intéressante.

Il nous semble que deux explications méritent d’être avancées. En premier lieu, on peut rappeler que dès l’adoption de la loi 194, l’Église d’Italie n’a cessé de donner des instructions fortes aux professionnels de santé et a initié auprès d’eux une pastorale dynamique qui ne s’est jamais démentie. Jean-Paul II lui-même n’a perdu aucune occasion pour rencontrer les médecins italiens et les encourager à poursuivre leur résistance sans craindre les discriminations. 

Au terme d’une démonstration juridique rigoureuse dans son encyclique Evangelium vitae, le bienheureux pape a par ailleurs fait de l’objection de conscience un « droit humain élémentaire » devant être octroyé sans limitations non seulement aux médecins et personnel paramédical mais également aux directeurs et responsables d’établissements sanitaires (n. 74).

Une formation exceptionnelle

Le second point qui nous semble essentiel à souligner pour comprendre la situation italienne est celui de l’existence de facultés catholiques de médecine dignes de ce nom, dont les deux plus importantes sont la prestigieuse Université catholique du Sacré-Cœur et le Campus Bio Medico administré par l’Opus dei.

Situées tous deux à Rome, ces universités de renom accueillent un nombre considérable d’étudiants qui se destinent à devenir médecins, scientifiques, sages-femmes ou infirmières. Le cursus proposé comprend, outre les enseignements spécifiquement médicaux et scientifiques conformes aux programmes académiques de l’Union européenne, des cours de bioéthique fidèles aux directives du Magistère.

Fait rarissime en Europe, les étudiants ont même la possibilité de bénéficier de formations d’excellence en matière de régulation naturelle des naissances. Une fois leur diplôme en poche, les gynécologues, anesthésistes ou sages-femmes issus de ces facultés font valoir massivement leur clause de conscience pour ne pas participer à des actes contre la vie. Ceci explique certainement le taux d’objecteurs de 91% observé dans la capitale et ses environs. Peut-il y avoir objection de la conscience sans formation de la conscience ?

L’objection de conscience des médecins italiens n’est pas tombée du ciel. En particulier, le soin attentif de l’Église en Italie qui n’a pas ménagé sa peine depuis plusieurs décennies pour accompagner les professionnels de santé, et l’existence d’universités catholiques de médecine de haut niveau délivrant une formation respectueuse de la vie humaine ne sont certainement pas pour rien dans l’explication du phénomène.

Sur ce point, les Italiens ont beaucoup à nous apprendre et il y aurait, à n’en pas douter, des leçons importantes à en tirer pour la diffusion d’une nouvelle culture de vie dans notre propre pays.

 

Pierre-Olivier Arduin est directeur de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

 

[1] « Les gynécologues italiens ne veulent plus avorter », Le Matin, 15 octobre 2012.

[2] Jeanne Smits, « Conseil de l’Europe : le recours du Planning familial contre le taux d’objecteurs à l’IVG en Italie jugé recevable », www.leblogdejeannesmits.blogspot.fr, 12 novembre 2012.