Médiocrité et communautarisme au rendez-vous

Pour l'historien Kevin Bossuet, le rapport d'Aurore Bergé et Béatrice Descamps est un condensé de démagogie et de sottise. 

Ce sont sous les sarcasmes et les quolibets qu’a été accueilli, mercredi dernier, le rapport que les députées Aurore Bergé et Béatrice Descamps ont remis à Jean-Michel Blanquer visant à améliorer les rapports entre parents et enseignants. Il faut dire que cet opuscule particulièrement pompeux et mal écrit a de quoi amuser tant le degré de démagogie et de sottise qui transparait à chaque page, atteint, pour un travail parlementaire, un niveau inquiétant !

Partant du principe que les enseignants seraient « plus qu'auparavant, issus des classes les plus favorisées de la population française », ce rapport les accuse ouvertement de méconnaître les spécificités des « quartiers difficiles » dans lesquels ils travaillent et d’employer, de ce fait, un vocabulaire « involontairement opaque » (c’est-à-dire trop soutenu) tout en faisant des remarques « désobligeantes, voire stigmatisantes » dans les bulletins scolaires. En matière de « sociologie de comptoir », on pouvait difficilement mieux faire !

Le rapport démagogique d'Aurore Bergé sur les enseignants

« Prétextes inclusifs » et « rituels positifs » : des solutions ridicules 

Même s’il est vrai qu’à certains endroits, les enseignants rencontrent des difficultés avec certaines familles, notamment issues de l’immigration, qui maîtrisent souvent mal la langue française et qui ont du mal à intégrer les règles et les codes de l’institution scolaire, il est parfaitement aberrant et insultant de prétendre, que par mépris ou par méconnaissance, ils ne feraient aucun effort pour communiquer avec elles. Il ne faut vraiment pas savoir à quoi ressemblent les hussards noirs de la République d’aujourd’hui pour faire semblant de croire que ces derniers seraient, au mieux des bourgeois ventripotents allant tous les jours apporter le savoir à des « gueux » qu’ils dédaigneraient par-dessus-tout, au pire des gourdiflots complètement coupés du monde et incapables de comprendre et de prendre en compte le contexte social et culturel au sein duquel évoluent leurs élèves. La vérité, c’est que ces professeurs, dont le niveau de vie tend de plus en plus à se rapprocher de celui des familles les plus modestes, tentent le plus souvent, avec passion et conviction, de venir en aide à leurs élèves qui sont parfois en grande difficulté sociale et financière. Prétendre le contraire, c’est injurier le travail quotidien de ces milliers d’enseignants qui remplissent quotidiennement leur mission dans des conditions de plus en plus difficiles.

Autre reproche complètement ubuesque fait aux maîtres : ils n’habiteraient pas là où ils enseignent ! Comme si les qualités humaines et pédagogiques d’un enseignant seraient liées à l’endroit où il a élu domicile. On nage en plein délire ! Il est d’ailleurs assez cocasse d’oser reprocher à des individus de choisir un lieu de résidence trop éloigné de leur établissement de rattachement alors qu’ils sont complètement à la merci d’une administration qui n’hésite pas à les balader de droite à gauche et à les affecter à des centaines de kilomètres de chez eux. Par ailleurs, quand Manuel Valls, député de l’Essonne, vit à Paris, ou quand Benoît Hamon, député de Trappes, vit à Issy-les-Moulineaux, cela ne semble pas gêner les deux parlementaires, mais quand les enseignants de l’académie de Créteil ou de Versailles font l’affront de louer un studio à Paris, ils frôleraient la faute professionnelle. Autant dire que dans l’art du « deux poids et deux mesures »ainsi que du « foutage de gueule généralisé », Madame Bergé et Madame Descamps sont reines !

 C’est toutefois au niveau des solutions proposées par les deux élues que le summum du ridicule semble atteint. En effet, fières de leur truculent constat, elles suggèrent de dispenser aux enseignants une formation en « sociologie des quartiers » tout en les invitant à organiser des « prétextes inclusifs » et des « rituels positifs » avec les parents, comme une « semaine du goût » où « chaque parent pourrait apporter une spécialité culinaire de son pays ». Oui, vous ne rêvez pas, le rapport a parlé, les repas les plus exotiques dans nos écoles vont pouvoir débuter ! Avis aux chefs d’établissement : vous rencontrez des difficultés entre vos enseignants et les parents ? Pas de problème, Aurore Bergé a la solution ! Organisez un superbe repas géant dans la cour du collège, avec une bonne salade ghanéenne en entrée réalisée par la maman de Youssouf, un bon couscous en plat principal concocté par la mère de Mehdi, et en dessert, un bon gâteau à l’eau de coco et à la patate douce cuisiné par toute la famille Bongo ; tout cela accompagné de quelques joueurs de tam-tam et de djembé recrutés pour l’occasion, et le climat scolaire de votre établissement sera comme par magie de nouveau apaisé ! Heureusement que le ridicule ne tue pas, nous risquerions à terme de manquer de députés !

Communautarisme exacerbé et mépris social clairement affiché

Derrière le caractère ubuesque de cette proposition, c’est bien l’idéologie multiculturaliste et communautariste qui est ici à l’œuvre. En effet, que sous-entend ce rapport ? Que ce sont aux enseignants de s’adapter à la culture d’origine des familles et non aux familles de s’adapter à la culture et aux règles du pays d’accueil, et que l’école doit être cette plateforme d’échange et de partage à travers laquelle les différentes cultures communautaires peuvent s’exprimer, se compléter et s’épanouir. A lire ce rapport, la richesse ne viendrait effectivement pas des savoirs et des connaissances qu’apportent les professeurs à ces familles, mais des spécificités culturelles que ces dernières peuvent véhiculer et diffuser au sein de l’institution scolaire, et plus largement au sein de la société française.

 Pire encore, à lire Madame Bergé et Madame Descamps, l’Education Nationale devrait recruter et affecter les enseignants en fonction de considérations liées aux caractéristiques sociales et culturelles des différents territoires. En somme, les enseignants recrutés sur concours, maniant correctement la langue française et maîtrisant un minimum les codes du savoir-vivre et de la bienséance seraient affectés dans les quartiers les plus socialement favorisés, alors que les quartiers touchés par le chômage, le déclassement et « l’ethnicisation massive » se verraient attribuer tous ces contractuels, souvent pas très à l’aise avec la langue française, mais qui ont l’avantage d’avoir grandi « au bled » ou dans « la cité d’à côté », et donc de maîtriser les codes sociaux qui vont avec. En matière de communautarisme exacerbé et de mépris social clairement affiché, les auteurs de ce piteux rapport ont très clairement excellé !

La République n’a pas pour mission d’accompagner les dérives identitaires et communautaires

Or, n’en déplaise à Aurore Bergé, qui a sans doute été contaminé par le mythe de l’identité heureuse d’Alain Juppé qu’elle considérait il y a encore seulement quelques mois comme son mentor, la famille transmet la différence, l'école forge l'unité. C'est cela la République ! Quant aux enseignants, ils n’utilisent pas un « vocabulaire opaque » mais parlent juste français ; ce que devrait savoir faire n’importe quelle personne vivant en France. En outre, même s’il existe parfois un fossé sociologique et culturel entre les enseignants et leurs élèves, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Que voudraient concrètement ces deux députées ? Des enseignants possédant 500 mots de vocabulaire, ne disant ni « bonjour » ni « merci » et ponctuant chacune de leurs phrases avec des « wesh wesh cousin ! », ou bien des professeurs instruits et éduqués capables de casser la « culture de la cité »qui véhicule tout un tas de préjugés sexistes, homophobes et antisémites, et qui, pour le coup, détruit le vivre-ensemble que les deux élues prétendent pourtant défendre ?

A l’heure où la société française a de plus en plus de mal à affirmer sa culture et son identité, c’est plutôt autour d’un bon bœuf bourguignon ou d’un bon pot-au-feu qu’Aurore Bergé et Béatrice Descamps devraient inviter, dans les cantines scolaires, toutes ces familles d’origine étrangère, afin de leur faire découvrir la beauté gustative du patrimoine culinaire d’un pays qui est désormais le leur. L’école de la République n’a en effet ni pour mission d’accompagner les dérives identitaires et communautaires, ni pour rôle d’exacerber les différences là où nous avons plus que jamais besoin d’unité. Qu’Aurore Bergé et Béatrice Descamps le comprennent, et qu’elles fassent confiance aux enseignants qui luttent, tous les jours, contre les effets de toutes ces politiques qui, au nom de la diversité et du droit à la différence, ont transformé les quartiers dans lesquels ils enseignent en laboratoire multiculturel d’une société qui divise désormais plus qu’elle n’intègre !

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