Source [Valeurs actuelles] Une analyse la crise du coronavirus et de ses conséquences, à la lumière de l’Histoire et de ceux qui l’ont faite
« Nous sommes en guerre », c’est par ces mots emprunts de gravité, répétés à de nombreuses reprises et surtout largement inspirés du discours d’investiture de Georges Clémenceau à la Chambre des députés le 20 novembre 1917 1 que le Président de la République Emmanuel Macron a tenté le 16 mars dernier de mobiliser la Nation.
Toutefois, ce n’est pas à la ferme résolution de notre pays uni dans l’effort des derniers mois de la Première guerre mondiale que font penser les semaines qui viennent de s’écouler mais bien plutôt à la catastrophe des sinistres mois de mai et de juin 1940. Cette ressemblance historique troublante s’observe à la lecture de deux témoignages directs, d’abord celui de l’historien Marc Bloch 2, L’étrange défaite, écrit entre les mois de juillet et de septembre 1940, ensuite celui du Général de Gaulle dans les deux premiers chapitres intitulés La Pente et La Chute du premier tome de ses Mémoires de guerre publié en 1954.
Cette comparaison historique pourrait être perçue comme une tentative de briser l’«Union sacrée » derrière laquelle se retranche tant bien que mal l’actuel Gouvernement pour se défausser de ses responsabilités. A cette première critique Marc Bloch apporte lui-même une réponse cinglante en citant Blaise Pascal qui incite à la plus grande prudence à l’égard de celui : « qui s’irrite contre ceux qui accusent des fautes publiques, et non pas contre ceux qui les commettent »… « Jamais les saints ne se sont tus », a-t-il encore écrit ailleurs 3. On pourrait encore hurler à la baliverne car l’Histoire qui est par essence la science du changement ne se répète jamais. Cependant, force est de constater, tout comme Marc Bloch en son temps, que la gravité de la crise actuelle s’explique d’abord par « l’incapacité du commandement » 4 qui était en 2020 comme en 1940 en retard d’une guerre.
Pour commencer le risque de pandémie mondiale causée par un virus émergent du type SARS-CoV-2 est bien identifié depuis de nombreuses années, au moins depuis l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) en 2002-2003 avec deux avertissements supplémentaires au moment du virus H1N1 en 2009 puis du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) en 2012. A titre d’exemple, en 2012, le journaliste scientifique américain David Quammen publiait un livre grand public au titre prémonitoire Spillover. Animal Infections and the Next Human Pandemic (« Retombées. Les infections animales et la prochaine pandémie humaine ») et que dire du livre publié dès 2009 intitulé Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde demain qui évoquait déjà « le déclenchement possible d’une pandémie mondiale » ressemblant à celle qui nous affecte ?
C’est la raison pour laquelle tout comme en 1939, le risque de « guerre » que nous vivons aujourd’hui existait depuis de nombreuses années. Le Gouvernement actuel qui est tout de même au pouvoir depuis 2017 ne peut donc ignorer sa part de responsabilité dans l’impréparation flagrante de l’Etat pour encaisser le choc. Il était encore temps, en 1937, d’appliquer la stratégie de motorisation et de créer l’« instrument de manœuvre préventif et répressif » 5 décrits par Charles de Gaulle dans son livre, Vers l’armée de métier, paru dès le printemps 1934. Il était également encore temps en 2017, 2018 et 2019 de reconstituer les stocks de masques, les stocks de gel hydro-alcooliques et de matériels médicaux, etc. Dans un autre ouvrage publié en 1938, La France et son armée, le général de Gaulle lançait l’avertissement suivant « Car c’est avec des vies humaines que notre peuple (…) devra solder les erreurs et retards (…) » 6. C’est malheureusement ce qui s’est passé, à la fois en 1940 et en 2020.
Concernant cette phase préalable à l’entrée en guerre qui s’est achevée avec la reconnaissance officielle par la République populaire de Chine de l’existence du nouveau virus à Wuhan en décembre 2019 7, la similitude avec la période précédant la déclaration de guerre de notre pays à l’Allemagne le 3 septembre 1939 est résumée dans cette phrase de Marc Bloch : « Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre. En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a en lui de plus grave » 8. Il nous suffit de remplacer « des Allemands » par les deux mots « du coronavirus »…
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