Source [Boulevard Voltaire] Il faut tenir son rang, disait-on autrefois. Et cela ne s’adressait pas seulement aux comtesses de Grantham, façon Downton Abbey : un paysan, un artisan était conscient avec une humble fierté de son rang, et entendait ne pas déchoir. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire La Fille du puisatier.
Si Sibeth Ndiaye a suscité, par ses tenues, son langage et ses sorties intempestives, la réprobation non seulement de Nadine Morano mais de nombreux Français qui n’ont pas pu l’exprimer aussi haut, ce n’est pas sa couleur de peau qui est en question mais son refus de tenir son rang de porte-parole. Comme lorsque Grivaux éructe des grossièretés d’adolescent prépubère sur ses rivaux.
Ce refus égoïste par une élite au pouvoir d’assumer un devoir lié à son état a d’ailleurs été résumé dans le titre lapidaire d’un livre portant sur un tristement fameux quinquennat : Un Président ne devrait pas dire ça…
La cravate en quinconce et le costume en accordéon ont fait honte aux Français, comme sa légèreté, ses petites blagues de gamin déplacées auxquelles il n’a pas voulu renoncer, sa façon d’abaisser sa fonction face à Leonarda, ses manières de gougnafier avec Valérie. Aujourd’hui, il vend ses bouquins dans des supermarchés et fredonne de vieux tubes aux Francofolies.
Quand Emmanuel Macron est arrivé, avec son beau costume, son langage châtié, son port de tête hiératique le soir des élections, les Français y ont cru, ont dit que celui-là « habitait la fonction présidentielle », une traduction moderne de l’adage de nos grands-mères. Puis sont arrivés Benalla, les gandins louches de Saint-Martin avec leur doigt d’honneur et tout l’aréopage bigarré de ministres aux mille bourdes, moins pressés de servir que de se servir, refusant de quitter leur rang d'(ir)responsable de l’UNEF sectaire et désinvolte, comme Christophe Castaner ou Sibeth Ndiaye, pour celui trop sérieux, trop lourd, trop collet monté de membre du gouvernement, et tout espoir s’est effondré. Emmanuel Macron était donc comme les autres. De temps à autre, l’espace d’un hommage aux Invalides, il retrouve la posture grave qui a séduit, comme le danseur de tango remet de la brillantine et fait claquer ses talonnettes, mais le mirage se dissipe vite, le magnétisme n’opère plus. Il est une phrase perfide qui passe de l’un à l’autre, dans notre monde politique, comme une balle poisseuse que l’on se refile : Fillon l’a lancée à Sarkozy, Rugy à Fillon, et aujourd’hui, c’est Rugy qui la prend à son tour en pleine face : « Imagine-t-on le général de Gaulle… » Tout est là. Tenir son rang de Président. Et Mitterrand, qui cacha sa fille illégitime durant des années sans d’autre raison que de ne pas abîmer la fonction, en savait bien tout l’enjeu.
Toute la société pourrait ainsi se décliner. Le professeur mal sapé et mal rasé, qui n’a pas voulu quitter les frusques et les poses potaches de sa jeunesse, espère obtenir silence et respect comme s’il était un professeur en chaire, tout en refusant d’user d’autorité avec des élèves indisciplinés et insolents, que des parents – éternels adulescents – n’ont pas voulu élever. Tous refusent de tenir leur rang. Greta Thunberg ne tient pas son rang de lycéenne, ceux qui à l’assemblée ont fait semblant de boire ses paroles ne tiennent pas celui de député. Quand un gouvernement se pose, en matière de politique migratoire, en ONG plutôt qu’en protecteur des ses administrés parce qu’il se trouve plus beau et plus gentil en saint-bernard faisant de l’humanitaire qu’en chien de garde garant des frontières, il ne tient pas son rang.
« Le loup ne veut pas manger le chien. Le chien ne veut pas mordre Biquette. Biquette ne veut pas sortir du chou. » D’une comptine, on apprend dès l’école maternelle ce qu’est une société bloquée. La France est peuplée de Biquette, et c’est pourquoi elle est dans les choux.
« Il faut à la force, pour tenir son rang, un certain caractère », écrivait le général de Gaulle. On peut l’écrire aussi dans le désordre : « Il faut au caractère, pour tenir son rang, une certaine force. » Qui fait défaut cruellement, dans d’innombrables strates de notre société.
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