[Source: Contrepoints]
Les syndicats français, avec leur radicalisme qui refuse le compromis, pénalisent grandement ceux qu’ils devraient défendre, les travailleurs.
Une goutte de sueur perle sur le front de Nathalie, sur le chemin qui la sépare du pain de mie. Son fils Kévin, 4 ans, est installé dans le chariot qu’elle va devoir pousser à travers le rayon jouets, qui la sépare de son objectif. Trop tard. Pleurs, cris, hurlements : le petit Kévin a aperçu le jouet de ses rêves. Sous la pression du regard des autres clients, Nathalie cède et propose à Kévin une petite voiture, plus abordable pour son budget. Kévin accepte et range son caprice au placard. Du haut de ses 4 ans, il vient d’apprendre un concept fondamental à toute négociation : le compromis.
Les syndicats français, un radicalisme qui refuse le compromis
Les syndicats français démontrent depuis plusieurs semaines qu’ils n’ont pas la clairvoyance de Kévin. Depuis que le projet de loi El Khomri fait polémique, le gouvernement a cédé à plusieurs reprises et modifié son texte. Des cadeaux qui partent en pure perte, nos défenseurs des travailleurs reprenant de plus belle la mobilisation pour en avoir toujours plus, non sans avoir salué la bonté du geste, tentant d’appliquer une dictature du prolétariat que Lénine n’aurait pas renié.
Et pourtant, cette loi offre aux syndicalistes un poids plus fort au sein des entreprises, pouvoir qu’ils refusent en bloc par un argumentaire au lexique si bien choisi que seuls les initiés peuvent en comprendre le caractère abscons.
Plus de pouvoir pour les syndicats et les salariés
Deux contestations majeures subsistent aujourd’hui dans le discours syndicaliste sur la Loi Travail. Ces deux éléments sont, entre autres, martelés avec insistance par une Caroline de Haas toujours moins pertinente.
Le premier est la qualification du licenciement économique, qui se contente de retranscrire officiellement une décennie de jurisprudence devenue constante. En revanche, c’est une fantastique aubaine pour les contestataires, qui résument ce point en « facilitation du licenciement », formule plus à même de révolter le profane que la complexité du second point et principale cible des syndicats : l’inversion de la hiérarchie des normes.
Celle-ci est pourtant un concept simple : la loi est prioritaire sur l’accord de branche, qui est prioritaire sur l’accord d’entreprise. Corollairement, l’accord de branche peut améliorer les droits conférés aux salariés par la loi, et l’accord d’entreprise peut aller encore plus loin dans l’amélioration. La Loi Travail inverse la donne sur plusieurs points, non sans avoir prévu un garde-fou en faveur des syndicats. Pour rester dans le domaine du concret, prenons l’exemple de la majoration des heures supplémentaires, actuellement majorées d’au moins 25% et dont le nouveau minimum légal passerait à 10%, pour le plus grand plaisir du salaud de patron qui en profiterait pour s’enrichir encore plus.
Richard Naqueur dirige une PME et doit se rendre à l’évidence devant son dernier bilan : pour que son entreprise subsiste, il doit faire des économies. Il pense d’abord à licencier, mais il lui reste un fond d’humanité malgré son statut de salaud de patron. Les heures supplémentaires de ses salariés ne sont pas négligeables, il propose donc d’en baisser la rémunération à 10%, dans l’optique de revenir aux 25% habituels dès que « ça va mieux ». Richard doit obtenir au moins 50% de voix positives chez les syndicats majoritaires. Dans le cas contraire, les syndicats minoritaires peuvent réclamer un référendum d’entreprise permettant à l’ensemble des salariés de s’exprimer sur le sujet. Richard n’est donc pas tout-puissant et doit s’en remettre soit aux syndicats, soit aux salariés directement. Le pouvoir de décision revient ainsi aux défenseurs des travailleurs et à ceux qu’ils sont censés défendre. Mieux encore, ils peuvent rebondir sur ce débat et proposer un accord plus favorable. C’est ce qu’on appelle couramment le dialogue social. On est donc en droit de se demander pourquoi des syndicats à qui l’on propose plus de pouvoir et de représentativité se battent bec et ongles contre un tel privilège.
Le paradoxe du syndicalisme à la française
En l’occurrence, les syndicats majoritaires refusent la baisse du pouvoir d’achat proposée et Richard Naqueur n’obtient pas ses 50%. Il commence à réfléchir au licenciement économique, désormais clairement défini par le Code du travail. Il va être obligé de pénaliser une minorité de salariés afin de permettre aux autres de conserver leurs acquis. Coup de théâtre, les syndicats minoritaires demandent un référendum d’entreprise sur le sujet, et sa proposition est validée par des salariés solidaires et de plus en plus éclairés, prêts à faire un léger effort pour qu’aucun emploi ne disparaisse. Richard ne licenciera pas, donnera un second souffle à son entreprise qui lui permettra de relancer son activité, de conquérir de nouveaux marchés, et finalement d’offrir à ses salariés une majoration des heures supplémentaires à 50% pour récompenser leur effort collectif.
Les salariés, déjà peu enclins à s’estimer bien représentés avec un taux de syndicalisation de seulement 8,7% dans le secteur privé, finiront par fustiger ceux qui ont jadis préféré le chômage d’une minorité à un petit effort collectif les incluant. C’est là que le bât blesse, les défenseurs des travailleurs ayant bien conscience du rejet palpable dont ils font preuve dans l’esprit de leurs petits protégés. L’énergie déployée pour obtenir l’obligation d’inviter des syndiqués extérieurs à l’entreprise en cas de sous-représentation montre bien que des syndicats historiques pointés du doigt par ceux-là même qu’ils représentent, c’est un risque que personne ne veut prendre. On renonce donc à une proposition de pouvoir à double tranchant, qui risque de projeter au premier plan une réalité mise en avant par un rapport Perruchot mort-né : l’entre-soi d’un syndicalisme désuet, devenu ultraconservateur et paniqué par la perte d’acquis sociaux préhistoriques.
Une évolution tuée dans l’œuf
Malheureusement, la stratégie fonctionne, partant d’une pétition lancée par une Caroline de Haas qui pourra se satisfaire d’être en partie responsable d’un mouvement d’une rare ampleur par la Bogdanovisation du projet de Loi Travail à grand renfort de reformulations trompeuses, pour ne pas dire manipulatrices. La prise de relais par un William Martinet aux dents longues, ne pouvant laisser passer une telle opportunité de booster son avenir politique au Parti Socialiste, aura fait le reste. On nous fait partout miroiter l’image du salaud de patron qui n’hésitera pas à menacer ses salariés pour faire voter des accords esclavagistes, sous peine de sanctions, en disparaissant dans un nuage de fumée doublé d’un rire machiavélique tout droit sorti d’un mauvais téléfilm d’horreur. Mais si cette situation existe car il y a des cons partout, il est utile de rappeler que les patrons ne se limitent pas au CAC40 et que les TPE/PME sont les premières créatrices d’emploi en France, ces mêmes entreprises qui ne bénéficient plus d’une Loi Travail devenue une véritable créature de Frankenstein contre-productive grâce à l’intervention de syndicats capricieux de n’avoir pas eu leur jouet au supermarché.
Philippe Vilmain
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