[source : Les Echos]
Quelle épopée ! Lorsque, en ce début 1999, une délégation inquiète de syndicalistes de l'ex-Régie Renault se rend à Tokyo pour rencontrer les camarades de chez Nissan, l'inquiétude domine.
Pourquoi « nos profits » iraient-ils renflouer Nissan ? Le français a-t-il la moindre chance de redresser cet empire dont le nom, en japonais, signifie rien de moins que « l'industrie du Japon » ? Presque vingt ans plus tard, il faut saluer la justesse et l'audace d'une stratégie élaborée alors dans un océan de scepticisme. Car le patron de l'époque, Louis Schweitzer, dut aussi convaincre l'Etat de le suivre dans ce que beaucoup considéraient comme une folle aventure. Alors que l'Alliance Renault-Nissan et ses satellites se classent au premier rang des ventes mondiales d'automobiles, sept leçons s'imposent. Un : sans l'intuition exceptionnelle d'un grand capitaine d'industrie, point de grand mouvement stratégique structurant. Deux : comme le disait Napoléon de ses généraux, il faut une part de chance pour réussir. Renault a saisi la sienne alors qu'une très courte fenêtre s'ouvrait : sa situation financière restaurée lui permettait de venir au secours d'un Nissan au bord de la cessation de paiement. Un an plus tôt ou plus tard, le deal n'aurait pas été possible... Trois : sans un Carlos Ghosn prêt à plonger dans le bain japonais, Louis Schweitzer n'y serait jamais allé. Le choix de la bonne personne est crucial et c'est pourquoi les polémiques sur la rémunération n'ont aucun sens. Quatre : l'Etat peut jouer un rôle clef lorsqu'il mobilise sa force de frappe financière. Le Trésor, en l'occurrence, avait apporté sa garantie dans l'opération Nissan. Mais cela doit rester un outil au service d'une stratégie définie et mise en oeuvre par les industriels. Les stratèges ne se trouvent pas dans les cabinets ministériels. A la fin de la décennie 1990, certains rêvaient de fusionner Peugeot et Renault. Où en serait-on s'ils avaient été suivis ? Cinq : la vraie politique industrielle est menée par les industriels eux-mêmes. Ghosn a plus fait pour l'industrie française que la douzaine de ministres de l'Industrie qui se sont succédé depuis qu'il dirige le groupe. Six : si l'Alliance Renault-Nissan est une réussite, c'est parce qu'aucune des parties n'a tenté d'imposer sa culture à l'autre. Parce qu'il est lui-même profondément multiculturel, Carlos Ghosn le sait intimement, mais l'Etat, qui continue de raisonner en champ clos, a plus de mal à comprendre. Sept : bien négociée, la mondialisation est un jeu gagnant. Au moment de son entrée au capital de Nissan, Renault était un petit constructeur européen risquant la marginalisation. Il appartient désormais à un groupe de 10 millions de véhicules et 10 marques. Une puissance de feu qui profite à chacune des parties, Renault et ses salariés en tête.
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