Les métastases du conflit syrien en Europe et la responsabilité de la France

L'Europe, divisée, ne sait quelle politique adopter face à la vague migratoire qui débarque sur ses côtes, fuyant une guerre atroce, aux multiples ramifications. De toutes les puissances européennes, la France est la plus impliquée dans le conflit, mais c'est son activisme, toujours décalé, qui a contribué à grossir les rangs de la grande migration.

LE CORPS d’un petit garçon rejeté par la mer sur une plage turque ; des barques surchargées qui accostent des îles grecques ; des foules misérables se pressant à la frontière macédonienne ; des trains pris d’assaut en gare de Budapest ; en Allemagne, des centres d’hébergements débordés. Telles sont quelques unes des images que les médias nous ont donné à voir cet été.

L’Europe divisée

Toutes posent la même question : que doivent faire les États d’Europe devant cet afflux soudain de migrants ? Les opinions publiques oscillent entre la pitié qui les supplie d’accueillir généreusement des exilés dépourvus de tout et la prudence qui les avertit de l’extrême difficulté d’assimiler une masse énorme d’individus étrangers aux langues, aux mœurs et aux cultures de notre continent.

Les gouvernements européens, pris de court, vont de mesures improvisées en décisions contradictoires. La même semaine, la Hongrie ferme ses frontières et l’Allemagne ouvre les siennes. La Suède affirme sa volonté d’accueil mais le Danemark coupe les voies qui y conduisent. La France propose une répartition autoritaire des nouveaux venus, idée aussitôt rejetée par les Tchèques et les Slovaques. Quant à la Commission de Bruxelles, elle s’arc-boute sur l’accord de Schengen, pilier de l’édifice communautaire. En vain. Il croule sous le poids des migrants.

La secousse inattendue qui plonge l’Union européenne dans la confusion, nous vient de Syrie. Un conflit meurtrier consume la région à la manière d’un cancer. Nos gouvernements le croyaient confiné en Orient. Ils étaient loin d’imaginer qu’une métastase allait surgir chez nous. Ils se trompaient. Voici l’Europe atteinte par la maladie.

Mais que peuvent faire les États où s’entassent les réfugiés — la Grèce, la Hongrie et l’Allemagne notamment ? Ils n’ont aucune prise sur les factions qui s’entretuent. Les puissances qui manipulent ces dernières s’appellent l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Iran et, de plus loin, la Russie et l’Amérique. Elles sont toutes étrangères à l’Europe et se soucient fort peu de ses difficultés.

L’activisme impuissant de la France

Toutes ? Sauf une : la France. Notre pays est un acteur très présent dans la tragédie syrienne. Depuis que les combats ont commencé il y a quatre ans, nos dirigeants successifs, Sarkozy et Juppé puis Hollande et Fabius, ont poursuivi avec une continuité inhabituelle, une politique active. Ils ont la même idée précise quant à la « résolution du problème ». Ils ne se contentent pas de l’exposer du haut des tribunes internationales ni de dénoncer ceux qu’ils considèrent comme les fauteurs de la guerre. Ils font soutenir les « bons Syriens » par notre diplomatie, leur fournissent des moyens pour s’organiser, leur livrent des armes pour se défendre et attaquer. On les sent tentés d’envoyer notre armée pour imposer la paix dont ils ont défini les termes.

Il est logique que les gouvernements désemparés de l’Union européenne se tournent vers Paris pour y chercher un remède à la métastase syrienne. Mais il est douteux qu’un examen attentif de la politique française les convainquent de son bien-fondé. Jusqu’à présent, les plans communs à Sarkozy et Hollande, Juppé et Fabius, ont échoué lamentablement ; aucune de leurs prédictions ne s’est réalisée. Assad, dont la chute était annoncée comme imminente il y a quatre ans, tient solidement Damas. Les islamistes de Daech ne semblent guère impressionnés par les démonstrations de nos Rafale. Les « forces démocratiques » qui ont la faveur de l’Élysée, se dissolvent périodiquement dans les querelles et les défections.

Notre activisme n’a pas empêché la guerre de pourrir ni la masse des exilés de gonfler. Enfin nos informateurs en Orient n’ont pas vu venir la grande vague des départs vers l’Europe. C’est sans doute pourquoi Sarkozy a du mal à convaincre les Allemands quand il leur affirme que les réfugiés syriens « ont vocation » à revenir dans leur pays le jour prochain où nous y aurons, avec d’autres puissances alliées, rétabli la paix.

L’imposture d’une politique

Il est à craindre que nos partenaires européens ne finissent par découvrir une vérité plus dérangeante encore et que nos dirigeants cachent soigneusement : en Syrie, non seulement notre gouvernement n’œuvre pas pour la paix ; mais encore il nourrit l’émigration. Les bandes armées qu’il entretient à grands frais sont trop faibles pour l’emporter mais assez fortes pour susciter un climat de violence et de désordre. Elles font fuir les populations qu’elles prétendent protéger. C’est ainsi que la France charge davantage les épaules allemandes avec des réfugiés syriens. Il y aura bien, un jour, quelqu’un à Berlin qui interpellera Hollande sur l’imposture d’une politique dont les buts affichés sont contredits par les résultats pratiques.

J’ai, dans un texte publié dans ces colonnes il y a six mois, dessiné ce qu’aurait pu être une doctrine française digne de notre vocation et de nos traditions en Orient. Elle aurait placé notre pays dans la position éminente de pacificateur et de réconciliateur. Elle aurait peut-être évité la grande migration qui ébranle aujourd’hui l’Europe. Il aurait seulement fallu que nos dirigeants résistent à l’emballement des passions trompeuses et des alliances douteuses. Hélas ! Ils n’en ont pas eu l’énergie.

 

Michel Pinton est ancien secrétaire général de l’UDF.

 

 

 

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