Source [Conflits] : Ali Laïdi fait partie des quelques rares chercheurs à alerter depuis plusieurs décennies sur la réalité de la guerre économique. Usage du droit à des fins politiques, taxation des entreprises, développement d’une protection des secteurs essentiels, les Européens ont pris conscience de la réalité de cette guerre, mais ils tardent à en prendre la pleine mesure. Alors que la protection est redevenue une nécessité, l’Europe doit cesser d’être naïve.
Le terme de souveraineté est revenu à la mode et on en parle beaucoup, parfois en lui donnant des définitions contradictoires. Quelle est pour vous la définition de la souveraineté et d’un État souverain ?
Pour moi, la souveraineté c’est tout simplement la capacité, le pouvoir qu’on a sur nous-mêmes pour avancer et changer, en fonction de notre propre rythme et ne pas se faire imposer par les autres des changements à leur rythme à eux. C’est être capable, non pas de ne jamais changer, mais d’être une société qui évolue en fonction de ses propres choix et en fonction de ses propres réflexions.
« Protectionnisme » est lui aussi un terme à préciser. Il renvoie souvent à l’idée de barrière douanière, mais dans votre ouvrage vous montrez qu’il y a d’autres éléments qui contribuent au protectionnisme, et que ce n’est pas forcément le fait de se couper du monde. Le protectionnisme peut aussi être une façon d’être plus influent dans le monde.
Tout à fait, ça rejoint la définition de la souveraineté. Je suis souverain à partir du moment où je décide d’évoluer à mon propre rythme, lorsqu’on me pousse à évoluer sous la contrainte alors je ne suis plus souverain. D’ailleurs, cette influence extérieure passe notamment par l’économie, et donc la nécessité aussi de maîtriser les flux et les échanges économiques pour un État, un empire, un groupe, etc. « Protectionnisme », est un mot à utiliser avec beaucoup de pincettes. Je préfère le terme de « protection », parce que dans l’histoire de l’homme c’est d’abord la protection qui s’est appliquée dans les relations commerciales. Il s’agissait de faire en sorte que les relations commerciales n’influent pas sur l’identité des sociétés, ce que je montre à travers des exemples de sociétés précolombiennes (Mayas, Aztèques…), mais aussi primitives comme l’indiquent les travaux de Lévi-Strauss. Dans ces sociétés, le commerce existait, mais il se pratiquait uniquement dans des lieux neutres, de manière à ne pas modifier l’identité des sociétés. Une idée reprise par Platon qui souhaite limiter le commerce avec les sociétés qui n’ont pas atteint le développement d’Athènes et qui pourraient y apporter de mauvaises mœurs. Le terme « protectionnisme » a surtout été utilisé par ses ennemis. Le terme « protection » renvoie lui à l’idée de protéger son identité, sa façon de vivre, ses habitudes quand une société se sent menacée par des flux économiques qui pourraient l’obliger à évoluer vers d’autres valeurs, pas seulement économiques, mais aussi des valeurs politiques. C’est pour ça que je préfère le terme de « protection » à celui de protectionnisme. De plus, la protection que l’on se doit les uns aux autres est également inscrite dans notre contrat social : nous renonçons individuellement à notre droit à la violence en échange de la protection du collectif.
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