Depuis plusieurs semaines, des acteurs de l'assistance médicale à la procréation (AMP) mènent une intense opération de marketing autour d'une nouvelle technique de congélation des ovocytes : la vitrification. Pour pouvoir l'appliquer en France comme d'autres pays, ils demandent un assouplissement de la loi. Mais dans quel but ?

Le professeur René Frydman, père du premier bébé éprouvette français, ne ménage pas sa peine. Après que Le Figaro lui a donné la parole dans un dossier consacré à la vitrification ovocytaire, ce fut au tour du Monde d'offrir une tribune sur le même sujet au chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart [1]. Pourquoi cette offensive médiatique sur la vitrification à quelques semaine de la réécriture de la loi bioéthique par le Parlement ?
Pour résumer un procédé que Mgr Suaudeau avait longuement présenté ici même [2], il faut se souvenir que les biologistes de la reproduction, depuis l'avènement des fécondations in vitro, cherchent à congeler les ovocytes comme ils l'ont fait pour les spermatozoïdes depuis les années soixante-dix et les embryons depuis les années quatre-vingt. L'ovocyte étant une volumineuse cellule composée d'une forte proportion d'eau, la formation de cristaux de glace et les dégâts intracellulaires irréversibles qui s'en suivent ont jusqu'à une période récente grevé les résultats des chercheurs en matière de cryoconservation ovocytaire.
Depuis une dizaine d'années pourtant, la mise au point d'une technique de refroidissement ultra-rapide suscite l'engouement. Induisant un état vitreux, donc solide mais non cristallisé, la vitrification permet de cryopréserver des ovocytes avec une certaine efficacité. Résultat, la première naissance humaine à partir d'un ovocyte préalablement vitrifié a été rapportée en 1999 par l'équipe de Kuleshova [3]. Une étude conduite dans trois centres en Colombie, au Canada et au Mexique fait état de 165 grossesses et 200 naissances issues de fécondations in vitro avec ICSI (Injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde) d'ovocytes vitrifiés. On estime le rendement à 1,8 naissances pour 100 ovocytes décongelés [4].
L'Affsaps et le ministère de la Santé ont pour l'instant rejeté les demandes d'autorisation émanant d'équipes médicales françaises car toute nouvelle technique d'AMP est considérée comme violant l'article 2151-5 du Code de la santé publique proscrivant la conception d'embryons humains à des fins de recherche. Les spécialistes de la médecine de la reproduction contestent cette interprétation de la loi au motif que d'autres États ont déjà validé cette technique.
Il n'est donc pas nécessaire de créer de novo des embryons pour effectuer des recherches, il suffit de s'appuyer sur ce que les autres ont déjà fait. Pourtant, les protocoles employés à travers le monde ne sont toujours pas normalisés, chaque laboratoire ayant sa propre recette. Et surtout, aucun suivi médical des enfants nés dans ces conditions n'a vraiment été mis en place.
Même s'il n'a pas été observé d'augmentation du risque d'anomalie congénitale dans les cohortes dont nous disposons, le docteur Lionel Dessolle estime que nous manquons de données pour garantir aujourd'hui l'innocuité de ces techniques [5] . Toujours est-il que de nombreux praticiens français jugent que l'on a assez perdu de temps et qu'il faut sans tarder autoriser la vitrification. Pour faire pencher la balance de leur côté, ils habillent leurs discours de considérations éthiques qu'il convient d'examiner.
Les enjeux éthiques
Le raisonnement avancé pour inviter les pouvoirs publics à revoir leur position est que cette nouvelle méthode permettrait de diminuer la part de congélation d'embryons sujette à de nombreuses interrogations éthiques (René Frydman, Le Monde, 20 mai 2010). De la part d'un praticien qui alimente les congélateurs en embryons surnuméraires depuis de nombreuses années, le propos ne maque pas de piquant. Pour autant, la question mérite d'être posée. Ne pourrait-on pas utiliser cette technique pour tarir le flux ininterrompu d'embryons surnuméraires congelés (154 822 au 31 décembre 2007, chiffre de l'Agence de la biomédecine) ?
En disposant d'ovocytes vitrifiés, il serait en effet loisible de féconder les embryons à la demande. Une fois le projet parental réalisé, la destruction des gamètes féminins en trop ne poserait pas de dilemme éthique majeur contrairement à celle d'un être humain au stade embryonnaire. Or, nous le savons, les chiffres de surconsommation embryonnaire au cours des procédures d'AMP sont intolérables. L'Alliance pour les droits de la vie a fait le calcul : 278 000 embryons sont conçus annuellement in vitro pour donner 14 500 naissances par FIV. Il faut donc concevoir en moyenne 19 embryons pour espérer conduire à une naissance [6].
Pouvons-nous encourager la vitrification des ovocytes dans une perspective de moindre mal par rapport à l'élimination massive d'embryons humains charriée par l'assistance médicale à la procréation à la française ? Pour tenter de répondre à la question, nous pourrions nous appuyer sur le critère de discernement avancé par Jean Paul II dans le n. 73 d'Evangelium vitae. Est-il licite de favoriser une loi plus restrictive, même mauvaise, lorsqu'une loi permissive est déjà en vigueur ? Se penchant sur le cas spécifique d'une législation dépénalisant l'avortement, Jean Paul II répond ainsi :

Dans le cas supposé ici, il est évident que, lorsqu'il ne serait pas possible d'éviter ou d'abroger complètement une loi permettant l'avortement, un parlementaire, dont l'opposition personnelle absolue à l'avortement serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d'une telle loi et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique. Agissant ainsi, en effet, on n'apporte pas une collaboration illicite à une loi inique ; on accomplit plutôt une tentative légitime, qui est un devoir, d'en limiter les aspects injustes.

En transposant le raisonnement de Jean Paul II à notre exemple, nous pourrions en déduire qu'un parlementaire, se plaçant dans une perspective d'amélioration éthique de la réglementation de l'AMP avec son cortège de destruction d'embryons, puisse en effet appuyer le projet de congeler des ovocytes plutôt que des embryons, tant il est vrai que la gravité morale est bien moindre dans le premier cas.
Un moindre mal... aggravant ?
Malheureusement, cette réponse, aussi séduisante soit-elle sur le papier, ne tient pas à l'épreuve de la réalité. Car avant même de se poser la question de la légitimité morale d'un tel choix, il y a un préalable absolu que les pouvoirs publics doivent s'imposer avant toute autre chose : interdire sans conditions la création d'embryons surnuméraires ainsi que leur cryoconservation. Or le législateur refuse catégoriquement de remettre en cause ce principe [7]. Pas plus que les praticiens de l'AMP qui évoquent seulement une congélation moindre des embryons et nullement une prohibition stricte de cette pratique par la loi. Contrairement aux idées reçues, l'Italie n'a pas attendu d'hypothétiques progrès en matière de vitrification des ovocytes pour interdire en 2004 la production d'embryons surnuméraires. Il s'agit avant tout d'un choix politique et non technique.
Ne soyons pas naïfs. Dans le contexte actuel où personne en France n'a le courage de revenir en arrière, soutenir la vitrification des ovocytes reviendra à constituer deux stocks distincts approvisionnés en parallèle au gré de l'humeur des parents et des médecins : en ovocytes et en embryons.
Sur le plan technique, la vitrification ne concerne d'ailleurs pas que les ovocytes, les scientifiques étant parvenus à vitrifier des zygotes (embryon humain au stade unicellulaire), des morula (stade 8 cellules) ou des blastocystes (embryon âgé de 5 jours). Des équipes japonaises ou belges ont d'ailleurs déjà obtenu des grossesses après implantation d'embryons vitrifiés. Bref, il y a fort à parier que cette technique sera revendiquée pour congeler aussi bien des embryons que des gamètes féminins et qu'elle ne changera strictement rien quant au respect de la dignité de l'être humain conçu in vitro.
Pire, ce procédé ne pourra qu'aggraver les transgressions déjà à l'œuvre. Il y a un an, nous avions mis en garde contre un possible détournement de la vitrification pour pallier la pénurie chronique du don d'ovocytes. Avec la possibilité de constituer un surstock d'ovocytes, nous disions que les femmes engagées dans un parcours classique d'AMP se verraient encourager à donner une ou plusieurs de leurs précieuses cellules.
Car ce qui freine aujourd'hui la filière du don d'ovocytes est la pénibilité de leur recueil, qui plus est non dépourvue de complications médicales. En autorisant la vitrification de gamètes féminins au détour de n'importe quel parcours de FIV, il sera facile de proposer à chaque femme de faire un geste de générosité en faveur d'une autre moins chanceuse qu'elle, la promotion risquant de se transformer bien vite en incitation. La méthode de vitrification pourrait ainsi alimenter la constitution de banques d'ovocytes et participer à élargir le fossé entre maternité biologique et sociale [8] , écrivions-nous.
C'est exactement ce que revendique aujourd'hui le professeur Frydman dans sa tribune, la vitrification étant une aubaine pour relancer l'AMP avec donneuse d'ovocyte : Cette méthode pourrait faciliter l'accessibilité au don d'ovocytes en France du fait de la création de banques d'ovocytes congelés surnuméraires, anonymes, qui seraient plus facilement donnés par les patientes ayant réalisé leur projet parental.
Le chantage du donant-donnant
Madame, pourra-t-on dire aux nouvelles mamans, vous avez bénéficié gracieusement des performances de la biomédecine qui vous ont permis de concevoir l'enfant que vous ne pouviez pas avoir naturellement. À présent que votre désir d'enfant est comblé, voulez-vous vraiment détruire les 8 ovocytes que nous vous avons généreusement gardés au cas où vous en auriez eu encore besoin ? N'est-il pas préférable de les offrir par altruisme à une femme qui en est dépourvue et dont le bonheur dépend peut-être de votre décision ? N'est-ce pas à peu près le chantage affectif plus ou moins explicite qui sera exercé sur les femmes si les centres d'AMP stockent massivement leurs cellules reproductrices ?

Les Anglo-Saxons ont forgé le concept d'équitabilité pour défendre cette thèse du donnant-donnant . Tout individu qui sollicite un système est tenu de contribuer à son fonctionnement en payant éventuellement de sa personne. Concernant l'AMP, on appelle cela le don en miroir ou don par réciprocité. En France, certaines équipes proposent par exemple que chez un couple présentant une infertilité masculine et qui bénéficie d'un don de sperme pour avoir un enfant, la conjointe fertile pourra en retour donner ses ovocytes [9] . Cette démarche en miroir n'est pas imposée mais proposée comme une espèce de compensation morale au bénéfice reçu. Même s'il ne s'agissait pas dans notre cas d'un échange de gamètes , on peut très bien imaginer selon un raisonnement similaire qu'une femme ayant vitrifié ses ovocytes soit encouragée à faire un acte de bienfaisance en les donnant à un ou plusieurs couples en ayant besoin.
Notre jugement sur la portée éthique de la vitrification est donc plus que circonspect. Et on se dit que les auteurs de la récente instruction doctrinale Dignitas personæ ont vu juste dans le paragraphe qu'ils consacrent spécifiquement à cette question :

Dans le but de résoudre les graves problèmes éthiques posés par la cryoconservation d'embryons, on a proposé, dans le cadre des techniques de fécondation in vitro, de congeler les ovocytes. Une fois prélevé un nombre conséquent d'ovocytes en prévision de plusieurs cycles de procréation artificielle, on féconde uniquement ceux qui sont transférés dans l'utérus de la mère ; les autres sont alors congelés pour être éventuellement fécondés et transférés en cas d'insuccès de la première tentative. Sur ce point, il convient de préciser que la cryoconservation des ovocytes en vue de procéder à une procréation artificielle doit être considérée comme moralement inacceptable (Dignitas personae, n. 20, 8 septembre 2008).

[1] Anne Jouan, Une nouvelle technique de vitrification reste interdite en France (avec interview du Pr René Frydman), Le Figaro, 26 mars 2010. René Frydman, La vitrification d'ovocytes devrait conduire à assouplir la loi bioéthique , Le Monde, 20 mai 2010.
[2] Mgr Jacques Suaudeau, Stock d'embryons : la portée éthique de la vitrification, Libertepolitique.com, 29 mai 2009.
[3] Kuleshova L., Gianaroli L., Magli C., Ferreretti A., Trounson A., Birth following vitrification of a small number of human oocytes: case report. Hum Reprod 1999 ; 14:3077-9.
[4] Chian R.C., Huang J.-Y., Tan S.L., Lucena E., Saa A., Rojas A. et al., Obstetric and perinatal outcome in 200 infants conceived from vitrified oocytes. Reprod BioMed Online 2008; 16(5):608-10. Faisons ici une remarque : la congélation lente des ovocytes, contrairement à ce qui est colporté partout, présente des taux de succès en terme de fécondabilité et de développement embryonnaire précoce qui ne sont pas si éloignés de ceux observés avec la vitrification. Le rendement est ainsi de 1,2 naissance pour 100 ovocytes décongelés, voire plus en Italie où la loi interdit la congélation d'embryons surnuméraires depuis 2004.
[5] Dessolle L., de Larouzière V., Ravel C., Berthaut I., Antoine J.-M., Mandelbaum J., Congélation lente et vitrification des ovocytes humains matures et immatures , Gynécologie Obstétrique & Fertilité 37(2009), 712-19. Je remercie le docteur Lionel Dessole de m'avoir envoyé un tiré à part de son article en tant qu'auteur correspondant.
[6] ADV, Naître ou ne pas naître, De l'avortement au bébé à tout prix, Tournée bioéthique 2010, Toulon, 19 mai 2010.
[7] Pierre-Olivier Arduin, Le maintien des embryons en surnombre , Liberté politique n. 48, Editions Privat, mars 2010, p. 90-94.
[8] Pierre-Olivier Arduin, L'explosion du stock d'embryons relance le débat, Libertepolitique.com, 29 mai 2009.
[9] Le Lannou D., Griveau J.-F., Veron E., Jaffre F., Jouve G., Descheemaeker, Gueho A., Morcel K., Pour un don d'ovocytes à la française , Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 38 (2010) 23-29. Je remercie également le professeur Dominique Le Lannou, directeur du Cecos du CHU de Rennes, qui m'a envoyé cet article. Depuis 2006, son équipe a organisé ce don par réciprocité en informant systématiquement les couples en deuxième demande de don de sperme des besoins en don d'ovocytes. Le système inverse vaut également, à savoir : les couples ayant bénéficié d'un don d'ovocytes peuvent aussi réaliser un don de sperme.
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