Le gouvernement en marche vers une nouvelle tempête politique ?

Source [Atlantico] La perception d'un "deux poids deux mesures" sur la capacité répressive du gouvernement envers les gilets jaunes donne l'impression que le gouvernement emploie les grands moyens contre ce mouvement politique qui lui est directement opposé alors qu'il demeure sans armes face à la criminalité ordinaire ou quotidienne.

Atlantico : Cette impression d'un gouvernement fort avec les faibles et faibles avec les forts est-elle fondée ?

Régis de Castelnau : Je crois que le problème ne se pose pas de cette façon. Ce que vous appelez la criminalité ordinaire ou quotidienne, celle qui pourrit la vie des gens dans les cités, dans les transports, et dans la rue qui laissent des quartiers entiers sous la coupe de trafiquants qui ont passé un accord avec les barbus, c’est un phénomène de masse. Auquel l’État français refuse depuis plus 30 ans de traiter. C’est devenu un phénomène endémique. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas faire de parallèle avec le mouvement des gilets jaunes et la répression policière et judiciaire brutale dont il est l’objet.

C’est vrai que si l’on compare les moyens de la violence d’État utilisés contre les gilets jaunes et la passivité des forces de l’ordre à l’occasion du grand rituel de la Saint-Sylvestre avec le millier de voitures incendiées, cela ne peut que provoquer l’indignation.

Mais il faut savoir que dans les deux cas il s’agit de décisions politiques prises par le pouvoir. En ce qui concerne la criminalité ordinaire, le choix est fait depuis longtemps de ne pas donner à la justice les moyens dont elle a besoin pour la traiter. Dans un ouvrage bilan absolument remarquable et indispensable intitulé : « Justice, une faillite française ? » Olivia Dufour fait le point de la situation d’un système à bout de souffle qui est une honte pour la République. En démontrant implacablement que le problème a une seule véritable origine : l’absence de moyens. La répression de la délinquance ordinaire est totalement en déshérence, ce qui a permis la dépénalisation d’un nombre considérable d’infractions. Il faudrait plus de magistrats, plus de greffiers, plus d’éducateurs, plus de prisons ou de centre pour les mineurs. Malheureusement cette clochardisation aboutit à la non-exécution des peines quand ce n’est pas carrément à la démission des autorités de poursuite. Sait-on que près de 2 millions d’infractions par an avec auteurs connus ne font l’objet d’aucune poursuite dans notre pays. Rajoutez au sentiment d’impuissance que vivent les magistrats, la sensibilité au gauchisme culturel d’une partie d’entre eux et vous aurez ce résultat calamiteux. Qui est le fruit, il faut le répéter, d’une décision politique. La feuille de route d’Emmanuel Macron, comme d’ailleurs de ses prédécesseurs, est bien l’appauvrissement de tous les services publics, y compris la justice au nom de l’impératif austéritaire.

Le problème des gilets jaunes est complètement différent. Il s’agit là aussi d’une décision politique, celle d’un pouvoir en panique, qui a basculé dans une certaine radicalité et qui ne voit que dans la répression massive d’un mouvement social, le moyen de s’en sortir. Le bilan de ces quelques semaines est complètement ahurissant. Nous n’avons jamais assisté et même en mai 68 à une telle violence répressive, qu’il s’agisse des comportements des forces de l’ordre dont une partie se croit tout permis ou de la magistrature qu’elle soit du parquet ou du siège qui a appliqué avec célérité les consignes du pouvoir. Plus de 300 personnes incarcérées, des blessés par centaines, des procédures absurdes où se multiplient les excès de zèle parfois déshonorants, dans le silence de cathédrale des organisations syndicales en général plus prolixes.

Gérald Pandelon : N'en déplaise au mouvement des "gilets jaunes", que je soutiens sur l'essentiel (poids écrasant de notre fiscalité, excès de réglementations qui obèrent toute initiative et, in fine, toute liberté, déficit démocratique lié, en partie, aux institutions européennes, notamment celui de la commission et ses "GOPE" (article 121 du TFUE) qui inspirent toute politique économique, absence de référendum, technique tombée en quasi-désuétude depuis 1969 ou strict cantonnement aux sujets "autorisés" par l'article 11 de la Constitution, tout comme faible recours à la représentation proportionnelle, etc.), il n'est pas exact de considérer qu'il y aurait un acharnement pénal à l'encontre de M. DROUET, lequel, tout simplement, et en dépit de la noblesse de son combat, a tendance à ne pas respecter les lois de son pays et, par conséquent, tomber sous le coup de la loi pénale.

Autre point dont il faut immédiatement dissiper le malentendu, je puis vous affirmer que lorsqu'il s'agit de délinquants chevronnés, les peines qui sont infligées sont infiniment plus lourdes que celles dont écopera l'intéressé, lequel aura fait l'objet, pour les derniers événements survenus du côté de l'Opéra, d'une procédure de garde à vue somme toute assez souple, excepté les conditions de son interpellation qui furent effectivement un peu dures, à supposer d'ailleurs que la sanction pénale dont il fera l'objet soit réellement lourde, en l'absence de mention apposée à son casier judiciaire. Il ne faudrait donc pas prendre comme prétexte celui d'un mouvement légitime pour se draper dans une posture victimaire. Et ceux qui le perçoivent comme le symbole expiatoire du monstre froid que constitue effectivement, à bien des égards, l'Etat, souhaitent tout simplement faire de la récupération politique, en sortant, à l'occasion de cet événement, du relatif isolement où les ont placés les dernières élections ; des élections qui, n'en déplaisent à ces derniers, constituent également l'émanation du peuple  souverain...  

Philippe Bilger : J’ai soutenu la cause des Gilets jaunes dans leur principe honorable en tant que réponse à une détresse sociale et économique. Et en même temps, j’ai tout à fait dénoncé la minorité qui s’abandonnait à des violences, à des désordres et qui même pire souhaitait faire un coup de force démocratique en prétendant destituer le président de la République.

En ce qui concerne Eric Drouet, je trouve que le gouvernement, le pouvoir après avoir eu très peur finalement montre ses muscles de manière un petit peu maladroite. Il n’était pas nécessaire de l’interpeller de cette manière alors que le mouvement commençait à décliner. J’ai l’impression que les Gilets jaunes, tout de même, sur le plan de la répression, ont fait l’objet d’un traitement très particulier dont on aurait aimé que l’ensemble des délinquances et des criminalités fassent l’objet.

Je l’analyse comme la certitude du gouvernement qu’il n’a pas affaire à des délinquants d’habitude mais à des braves gens auparavant, à cette France qui ne faisait rien de mal et qui tout à coup par désespoir s’abandonne au pire. Et donc évidemment, le gouvernement « se les paie » plus aisément parce qu’il sait qu’il n’a pas affaire à des transgresseurs habituels et chroniques.           

L’irruption des Gilets jaunes dans l’espace démocratique c’est l’irruption d’une masse d’honnêtes gens. On peut discuter leurs causes et leurs actions mais avant qu’il n’y ait une irruption des Gilets jaunes ces gens-là étaient des citoyens tout à fait honorables, respectueux des lois et des braves gens. 

Le gouvernement, le pouvoir montre ses muscles de manière un peu inconsidérée précisément parce qu’il a affaire à des gens qui n’ont jamais été insérés dans une délinquance chronique. Et ça, c’est très facile, j’aurais préféré qu’il soit aussi ferme, aussi rigoureux, aussi dur avec les délinquants et les criminels ordinaires.

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