La question insoluble du transfert d'embryon post mortem est l'exemple type des dilemmes éthiques suscités par la fécondation in vitro d'embryons en surnombre et leur congélation. Dans un avis mis en ligne le 9 mars sur son site, le Comité d'éthique s'est prononcé pour l'autorisation de ce transfert, donnant raison aux députés qui ont adopté cette mesure en première lecture.

Le transfert in utero d'un embryon cryoconservé après le décès du père dès lors que celui-ci a donné son consentement préalable devrait être autorisé dans la prochaine législation. En votant en première lecture contre l'avis du gouvernement l'autorisation de ce transfert, les députés ont tranché le 15 février dernier un débat récurrent depuis que la France s'est dotée en 1994 de ses premières lois bioéthiques. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) vient de leur offrir un soutien de poids en se prononçant dans le même sens dans un avis rendu public cette semaine [1]. Appelés à leur tour dès le 5 avril à examiner en première lecture le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, les sénateurs devraient selon toute vraisemblance entériner cette évolution.

Sous réserve que l'assistance médicale à la procréation est entamée, le transfert aurait lieu entre le sixième et le dix-huitième mois suivant la mort du géniteur. Dans ces conditions, la filiation paternelle légitime ou naturelle, selon que le couple était marié ou non, sera établie et l'enfant sera appelé à la succession de son père.

Depuis l'adoption des premières lois bioéthiques en 1994 restées inchangées sur ce point, le Code de la santé publique réserve l'assistance médicale à la procréation à un homme et une femme qui forment un couple vivant, interdisant de fait l'insémination de la femme avec les gamètes conservés du défunt ou le transfert d'un embryon congelé après le décès du père (art. L. 2151-2). Ces deux situations soulèvent cependant des interrogations éthiques qu'il convient de bien distinguer.

Procréer par-delà la mort

Toutes les instances appelées à réexaminer les dispositions de la loi de bioéthique ont clairement dit non à l'insémination de femmes ou la fécondation in vitro avec les gamètes congelés de leur mari ou concubin décédés. La mission d'information parlementaire a ainsi émis de sérieuses objections à la procréation par-delà la mort soulignant que la société ne pouvait endosser la responsabilité de permettre la conception délibérée d'un enfant sans père à partir des paillettes de sperme du défunt [2].

Il est heureux que les députés n'aient pas cédé sur deux enjeux symboliques structurants : la différence des sexes et la différence entre la vie et la mort. Le CCNE les conforte en soulignant avec justesse qu' en cas d'insémination ou fécondation in vitro post mortem, l'enfant qui naîtra aura été conçu à un moment où son père était déjà mort depuis plus ou moins longtemps, ce qui symboliquement équivaut à permettre à un mort de procréer . Autrement dit,  la mort ne constitue pas une impossibilité de procréer à laquelle il conviendrait de remédier médicalement . La mort étant une frontière qui s'impose aux techniques de procréation artificielle, la conception d'un enfant post mortem doit continuer à être strictement prohibée par la loi.

Le problème est beaucoup plus complexe à résoudre lorsqu'il s'agit de savoir s'il est licite sur le plan éthique de permettre l'implantation, après le décès du conjoint, d'un embryon congelé issu d'une fécondation in vitro réalisée avant ce décès. Le député Marc le Fur (UMP-Côtes d'Armor), qui n'a eu de cesse dans l'ensemble des débats parlementaires de protéger la dignité de l'embryon humain, a ainsi fait part à ses collègues de son hésitation sur ce point :

 Je dois vous avouer que cela fait bien longtemps que je n'ai pas été aussi partagé au cours d'un débat, aussi conscient de notre responsabilité de législateur [...]. Dès lors, quelle est l'alternative ? Ou bien la destruction, ou bien une vie, compliquée, mais qui est la vie. Face à une telle alternative, mon raisonnement me conduit toujours à choisir le moindre mal pour ce qui, selon moi, est une personne humaine. 

Car contrairement à ce qu'a dit le ministre de la santé Xavier Bertrand qui s'est opposé à l'autorisation de cette pratique, il ne s'agit pas de concevoir intentionnellement un orphelin de père, puisque celui-ci est par définition déjà conçu ! À la différence de l'insémination ou d'une fécondation in vitro avec le sperme du défunt, l'embryon existe déjà. Il était bien là du vivant des deux parents. Or dans le cas du décès de son conjoint, la femme qui aurait souhaité le porter n'a d'autre choix que de le détruire, le donner à la recherche ou consentir à ce qu'il soit accueilli par un autre couple, toute voie qui apparaît, on en conviendra, comme peu satisfaisante sur le plan éthique.

Certains observateurs se disent particulièrement choqués à l'idée que la loi en l'état autorise que cet embryon puisse naître dans une famille  adoptive  plutôt que dans celle qui est à l'origine de sa conception. Si le père décède quelques jours après le transfert, il ne viendrait à l'idée de personne de faire avorter la femme. Pourquoi le lui interdire lorsque la mort se produit quelques jours avant ?

L'intérêt de naître

L'embryon étant un être humain auquel nous souhaitons que soient attribués dès sa conception les droits de la personne – parmi lesquels en premier lieu le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie – son intérêt n'est-il pas de vivre ? À la question de savoir quel peut être l'intérêt d'un embryon congelé dont le père est décédé, la juriste Aude Mirkovic apporte cette réponse :

 Entre vivre ou ne pas vivre, il semble évident à première vue que son intérêt est de naître, et de naître de sa mère [...]. Si on considère que l'intérêt de l'embryon est d'être porté par sa mère pour naître, alors le transfert post mortem ne devrait-il pas être non seulement possible mais encore obligatoire [3]

Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'autorisation de cette pratique conférerait indirectement à l'embryon la qualité de personne ou du moins ce qui y ressemblerait fort. Le ministre de la Santé a ainsi déploré que le transfert d'embryon post mortem aboutisse à doter un embryon en éprouvette de droits spécifiques en matière de succession. Ce qui est pour le moins paradoxal quand on sait que le même embryon pourrait être détruit au bénéfice de la science. Si nous sommes attachés au respect de la vie humaine, ne faut-il pas regarder avec sympathie l'implantation posthume d'un embryon à la demande de sa mère ?

Pour autant, on ne saurait méconnaître les problèmes susceptibles de survenir si cette pratique était autorisée. S'il ne s'agit pas de concevoir sciemment un orphelin comme dans le cas de l'insémination post mortem, il s'agit cependant de faire naître en toute connaissance de cause un enfant privé de père, donc exposé à des facteurs de déséquilibre psychologique liés à la position d'enfant né du deuil. Les questions sur l'intérêt de l'enfant né dans un tel contexte ne manquent pas. S'agit-il pour la veuve de faire revivre le mort à travers cet enfant ? De repousser le travail de deuil en projetant sur lui le souvenir du défunt ? L'enfant est-il voulu pour lui-même ou comme relique de cet amour perdu ?

Du côté de la veuve, les interrogations existent aussi. La femme est-elle vraiment libre de consentir à ce transfert alors qu'elle est encore sous l'émotion de la mort de l'être aimé ? Ne se sentira-t-elle pas contrainte de porter cet enfant au nom de son devoir de fidélité ? Ne subira-t-elle pas des pressions de la part de ses beaux-parents pour leur  donner  un enfant de leur fils disparu ?

Par ailleurs, autoriser une telle procédure pourrait susciter une nouvelle dérive qui consisterait à concevoir délibérément un embryon après que le père a eu connaissance qu'il était affecté d'une pathologie incurable et mortelle à plus ou moins brève échéance. La mission d'information parlementaire a ainsi mis en garde contre le risque d'augmentation de FIV ante mortem face à la maladie grave. Des couples pourraient ainsi se précipiter dans une AMP pour disposer d'embryons à transférer dans l'éventualité de la mort de l'homme.

Enfin, comme l'a souligné avec beaucoup de perspicacité le député Xavier Breton (UMP-Ain), si l'on autorisait la femme à poursuivre le projet parental du couple, au nom de quoi devrait-on refuser à l'homme dont la femme décède de ne pas bénéficier du même droit ? Or, pour donner suite à pareille demande, la seule façon de procéder serait de recourir au service d'une  mère porteuse , et donc d'accepter le principe de la gestation pour autrui.

Le puzzle absurde du droit à l'enfant

Autrement dit, valider la procédure de transfert posthume d'embryon, c'est ajouter une nouvelle pièce au puzzle absurde d'un système, l'assistance médicale à la procréation, qui s'est construit dès l'origine dans le non-respect de la vie humaine et la revendication du  droit à l'enfant .

Le transfert d'embryon post mortem, on l'a bien compris, n'appelle en définitive aucune réponse évidente, c'est même l'exemple type de la question insoluble suscitée par le développement des techniques de fécondations in vitro et singulièrement celui de la congélation des embryons produits en surnombre.

L'origine du dilemme n'est en effet pas tant dans le décès du géniteur que dans la situation qui permet que ce dilemme se produise, à savoir l'existence d'un stock d'embryons cryoconservés. Le hiatus entre la conception d'embryons et leur éventuel transfert, permis par la congélation lente ou maintenant la vitrification des ces mêmes embryons, est à l'origine de tous les maux actuels : convoitise des scientifiques pour en faire un matériau de laboratoire,  don  à un couple demandeur, transfert post mortem,...

Dès 1987, l'Instruction Donum vitae avait anticipé les problèmes en jugeant la congélation des embryons comme une offense au respect dû à des êtres humains qui les prive, même temporairement, de l'accueil et de la gestation maternelle, et les place de fait dans une situation susceptible de manipulations ultérieures (Donum vitae, I, n. 6). Enfermer artificiellement un être humain dans une  prison de froid  est profondément injuste sur le plan éthique, ne serait-ce parce que cet acte le prive de la dimension temporelle inhérente à la vie.

L'impossibilité dans laquelle nous sommes de dégager une solution satisfaisante pour répondre à la question de la légitimité du transfert d'embryon post mortem est en elle-même révélatrice de l'imprudence de nos choix politiques – avoir autorisé la fécondation d'embryons en surnombre – et doit être l'occasion de nous ouvrir enfin les yeux sur la transgression première que représente la congélation d'embryons  en trop .

À ce titre, il est regrettable que l'Assemblée nationale n'ait pas repris la recommandation de la commission spéciale qui prévoyait de limiter à trois le nombre d'ovocytes fécondés au cours d'une fécondation in vitro. La levée de boucliers immédiate des médecins de la reproduction a malheureusement eu raison de cette disposition. Un amendement du rapporteur Jean Leonetti stipulant que le nombre d'embryons conçus  est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l'assistance médicale à la procréation, compte tenu du procédé mis en œuvre  a bien été adopté mais sa portée semble beaucoup moins contraignante que le texte de la commission spéciale.

Le seul moyen que la question du transfert d'embryon post mortem ne se pose plus serait de ne concevoir les embryons qu'au fur et à mesure de leur implantation. On en est encore loin.

 

 

 

[1] Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé,  La demande d'assistance médicale à la procréation après le décès de l'homme faisant partie du couple , Avis n. 113, 10 février 2011.
[2] Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, Rapport parlementaire n. 2235, tome 1, janvier 2010, p. 41.
[3] Aude Mirkovic,  Le transfert d'embryon post mortem : comment sortir de l'impasse ? , Droit de la famille-Revue mensuelle Lexisnexis Jurisclasseur, juin 2009, p. 9-12.