La messe sans le latin et sans le slavon...

Un an après la parution d’un livre d’entretiens avec le P. Dmitri Smirnov, président da la commission pour l’enfance et la famille du Patriarcat de Moscou, duquel le Salon Beige avait publié les meilleures pages, Guillaume d’Alançon répond brièvement aux questions du Salon Beige en prenant prétexte d’une récente actualité : l’usage élargi du vernaculaire dans la liturgie telle qu’elle est pratiquée dans l’orthodoxie russe.

Que pensez-vous de la récente décision du Patriarcat de Moscou de traduire en langue vernaculaire des textes de la liturgie ?

Je vais essayer de vous répondre comme elle a pu se poser à un catholique. La question de la traduction totale ou partielle des livres liturgiques est à considérer avec beaucoup de prudence. D’un côté, on pourra apprécier le souci missionnaire qui consiste à vouloir rendre plus accessibles les textes, de l’autre l’expérience indique que c’est ouvrir une boîte de Pandore et peut conduire à une crise de la foi.

C’est-à-dire ?

Le souci est ici sans doute de susciter un intérêt renouvelé pour la foi et la pratique, c’est bien, mais cette décision peut produire l’effet inverse. En effet, le délaissement progressif d’une langue sacrée, traditionnelle, ayant porté la foi de millions de croyants depuis tant de siècles, fait courir le risque de faire perdre le sens de la Tradition, de ce qui est saint et sacré, établi depuis les origines. La tentation de l’improvisation sera plus grande parce que la langue est familière au quotidien… Il ne s’agit donc pas de faire preuve de fixisme mais d’entrer dans le mystère de la permanence de Dieu, qui, demeurant au-delà de l’espace et du temps, est véritablement « Celui qui est ».

N’est-ce pas une bonne idée que de vouloir mieux faire participer les fidèles ?

S’il s’agit de mieux entrer en communion avec Dieu, oui, bien sûr. Il convient toutefois de faire attention à ce concept de participation qui peut cacher un vrai détournement de l’authentique Esprit de la liturgie, cet Esprit qui fait de nous des fils, c’est-à-dire des adorateurs du Père dans la vérité, par l’union au Christ qui s’offre à son Père. Nous le voyons, la compréhension ne consiste pas à s’approprier des informations, des messages ou encore à prendre un rôle comme un acteur de théâtre, mais il s’agit d’ouvrir son cœur, dans la droite ligne de la doctrine monastique sur la prière, et de laisser Dieu nous faire miséricorde. Participer à la liturgie, c’est rejoindre le Christ au fond de notre cœur et accueillir son Salut, sa Lumière. Le Pape Benoît XVI a de belles pages sur ce sujet dans son ouvrage « L’Esprit de la liturgie ».

Vous semblez remettre en cause la place de la parole et des mots. Le Christ n’est-Il pas la Parole éternelle du Père ?

Dans la Bible on peut lire ceci : « Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler » (Eccl. 3, 7) Cette alternance doit se retrouver dans la Liturgie, qui est plénitude, le sommet de la vie et de la mission de l’Eglise. Et qu’est-ce qui exprime le mieux cette plénitude sinon ce dialogue entre la parole et le silence. D’ailleurs, n’est-ce pas cela le Mystère de la Foi ? Une parole qui se continue dans le silence, un silence qui déborde de plénitude et qui n’est pas un balcon donnant sur le vide. La force d’une langue sacrée est de nous faire entrer dans le Mystère par analogie. Il n’est pas nécessaire de tout comprendre, de tout dire, de tout entendre. Les amoureux aiment se parler mais aussi se taire ensemble… Il est des choses qui entrent dans l’oreille mais ne rejoignent pas le cœur.

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