L'hôpital public est un établissement de soins qui accueille des patients d'origine sociale, ethnique et religieuse diverse. Il offre un cadre idéologique neutre, réglementé par le respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, et, en matière religieuse, par la laïcité.

Il reconnaît toutefois implicitement la dimension spirituelle de l'existence humaine puisqu'il entend répondre aux besoins spirituels exprimés par les patients ou leurs familles en mettant à leur disposition des aumôniers appartenant aux trois religions faisant l'objet d'un agrément : catholicisme, protestantisme et judaïsme.

La présence de ministres du culte se justifie afin de rendre effective la liberté religieuse reconnue aux patients (loi du 9 décembre 1995), préparée par la jurisprudence du Conseil d'État : " Dans les établissements hospitaliers, les autorités préposées à la gestion de ces établissements sont tenues, non seulement de ne pas mettre d'obstacle à l'exercice de leur culte par les malades ou les vieillards pensionnaires des dits établissements, mais encore de prendre les mesures nécessaires indispensables pour permettre leur culte " (arrêt du 28 janvier 1955). Elle est notifiée aux patients dans la Charte du malade hospitalisé, au n° 7.

Cette ouverture de base est confirmée par différentes circulaires ministérielles dont la teneur révèle d'ailleurs une certaine évolution de ton et de perspective. Que l'on compare par exemple celle du 19 janvier 1976 (" Les aumôniers sont chargés d'assurer, suivant les dispositions du règlement intérieur des établissements, le service du culte auquel ils appartiennent et d'assister les malades qui en font la demande par eux-mêmes ou par l'intermédiaire de leur famille, ou qui, à l'entrée, ont déclaré appartenir à un culte de leur choix "), à celle du 6 mai 1995 (" Le patient hospitalisé n'est pas seulement un malade, il est, avant tout, une personne avec des droits et des devoirs. L'établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies. Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d'un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d'action et d'expression) ").

Parallèlement à la médecine qui, tout en ne cessant d'affiner ses spécialités redécouvre le caractère holistique de la personne malade, l'Administration a tendance à considérer de plus en plus le patient hospitalisé comme un usager, voire un client ou un partenaire du système de santé. L'augmentation des affaires judiciaires dans ce domaine confirme la tendance à l'émancipation des patients. En outre, toujours plus d'associations extérieures interviennent dans la vie de l'hôpital. Ceci a une influence sur le regard qui est porté sur la pratique religieuse à l'hôpital et sur les aumôneries qui sont à son service.

Le modèle catholique

Nous pouvons constater une évolution. La présence de ministres du culte à l'hôpital (comme dans les armées, les prisons ou les internats) tient à la confrontation de deux faits : un milieu clos – et la distinction entre clercs et laïcs dans la religion de la majorité des Français, c'est-à-dire dans le catholicisme. En effet, la pratique religieuse catholique tourne autour des sacrements, et ceux-ci requièrent la présence de prêtres. Il était dès lors nécessaire, pour garantir une liberté effective de culte, de permettre à ceux-ci d'être présents dans ces lieux d'où les fidèles ne pouvaient sortir. Les protestants et les juifs, qui ne connaissent pas cette distinction avec la même rigueur et dont le culte ne nécessite pas d'actes posés par des ministres particuliers, ont été équiparés aux catholiques. D'où la présence d'aumôniers protestants et juifs dans ces institutions.

Comme on peut le constater par la teneur des textes cités, on a élargi la notion de service du culte à celle d'assistance (qui peut encore requérir la présence de ministres du culte), puis à celle, encore plus large, de préceptes (qui eux ne requièrent plus nécessairement leur présence). C'est une manière de prendre en compte les religions qui jusqu'alors étaient exclues de la liste reconnue : islam, bouddhisme, autres croyances encore. Cela révèle aussi la manière dont la principale religion (le catholicisme) a fait évoluer son type de présence : il ne s'agit plus seulement de dispenser les sacrements mais d'établir une relation avec le patient qui peut aller jusqu'à une relation d'aide. Cette évolution tient aussi au fait de la moindre sacramentalisation de la population catholique. L'Administration a reconnu cette évolution en acceptant sous le titre de ministre du culte toute personne proposée par l'autorité religieuse compétente (circulaire du 28 juillet 1989) et en s'habituant à voir substitué à la notion d'aumônier celle d'aumônerie.

En pratique, l'aumônerie d'hôpital est essentiellement un phénomène catholique. Il n'y a en effet que les chrétiens à organiser la visite des malades. Le morcellement des protestants et des orthodoxes fait que les patients contactent le ministre de leur communauté ou recourent au personnel de l'aumônerie catholique. Juifs, musulmans et bouddhistes sont plutôt présents dans les chambres funéraires car leurs rites concernent plus les morts que les vivants (toilette funèbre en particulier). La visite des malades relève chez eux de l'entourage familial.

Liberté religieuse

Comme on a pu le constater, les textes permettent l'exercice de la liberté religieuse. Cet exercice connaît parfois des obstacles du fait de l'hostilité possible de certains personnels, administratifs ou soignants, et des maladresses possibles aussi de certains membres des aumôneries. Dans l'hôpital dont je suis aumônier, la plupart des services admettent que l'aumônerie catholique ne se limite pas à répondre aux demandes expressément formulées mais aille à la rencontre de chaque malade, à condition bien sûr de respecter ses convictions (et son humeur du moment...). Dans l'ensemble, les professionnels de santé observent que l'intervention de l'aumônerie a plutôt un effet positif sur le malade et peuvent y voir une sorte de " partenaire " dans le processus global des soins. L'aumônerie peut d'ailleurs être associée à certaines instances : il m'est arrivé d'intervenir à l'institut de formation des soins infirmiers sur la religion à l'hôpital, de seconder les coordinateurs des prélèvements en vue de greffe dans leur dialogue avec les familles, etc.

En conclusion, je dirai que le cadre de la laïcité oblige à une certaine retenue dans ce qui pourrait apparaître comme un champ d'apostolat commode (puisque l'on n'a pas à faire venir les gens : ils sont là). Mais je crois que cette retenue est de toute façon de mise lorsque l'on est confronté à des personnes qui n'ont souvent pas expressément demandé notre présence et qui de toute façon traversent une situation de crise. Il y a, face à la souffrance, de quelque nature qu'elle soit, un effroi religieux à respecter. Le maître de la rencontre, c'est celui qui souffre. C'est là que l'on prend conscience de cette grande valeur chrétienne qu'est la liberté, condition d'accueil d'une parole qui pour nous est la Parole faite chair.

Le père Éric Iborra est aumônier catholique de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).

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