On peut regretter que la Note Ratzinger n'ait pas été présentée aux fidèles dans tous les diocèses français. Ce document devrait jouer un rôle décisif : mais il n'a pas eu, chez nous, la réception qu'il méritait.

Par la presse, un certain nombre de catholiques (ceux de la bourgeoisie informée) ont pu savoir que Rome appelait à une résistance politique... Comment ont-ils réagi ? Faute d'explications et de débats au sein des paroisses, ces catholiques ont été laissés à leur réflexe individuel. Dans de nombreux cas, ce fut un réflexe d'esquive. L'appel "politique" de Rome a laissé froids ces paroissiens sérieux. Ils l'ont trouvé incongru.

Etait-ce rébellion de leur part ? Non : simplement, livrés à eux-mêmes, ils ont obéi aux normes de leur époque et de leur milieu. La sociologie du catholicisme français est de plus en plus marquée par sa composante bourgeoise. Or les élites contemporaines (croyantes ou non) ont pris l'habitude, depuis dix ans, de dédaigner le politique : à leurs yeux, il est simplement le portier de l'économique. Demande-t-on à un portier d'avoir des convictions ? On ne lui demande que d'ouvrir la porte. Donc le politique n'est pas le lieu des vrais enjeux, et l'on ne doit pas essayer de l'améliorer : on doit le réduire de plus en plus. C'est ce que pense la jeune bourgeoisie "bobo" (libérale-libertaire). C'est aussi ce que pensent, sans trop se l'avouer, beaucoup de membres d'une bourgeoisie plus traditionnelle. Ceux-ci peuvent rester attachés à ce qu'ils nomment les "valeurs", mais dans leur esprit ces "valeurs" sont du domaine privé : elles font partie d'un art de vivre et de rituels familiaux. La religion aussi. Il serait donc indécent d'introduire celle-ci sur la scène publique - et impensable de l'opposer aux autorités.

Le problème est que la Note Ratzinger appelle les catholiques à oser s'opposer.

Elle leur demande de rompre avec le consensus relativiste, qui permet le pire et de résister à la société de consommation (cette "société de broyage et de concassage de l'homme naturel">, écrivait Pierre Boutang dans Le Purgatoire).

Il s'agit de protéger l'humanité au nom du Christ. Ce qui revient à admettre que la foi catholique est une force universelle (donc tout autre chose qu'une "valeur" de caste) et qu'elle a son mot à dire en politique. Quant au politique, il doit servir le bien commun - qui ne consiste pas forcément à servir le marché, comme Jean-Paul il ne cesse de le dire depuis Centesimus annus.

Dans la mesure où elle implique ces notions, la Note Ratzinger nous appelle à un renversement copernicien. Elle nous demande de rompre avec des années de minicroyance et de pensée unique... Exigence évangélique, donc à la portée de tout chrétien - s'il est de bonne volonté, et si sa communauté (sa paroisse ?) l'aide à comprendre qu'une page se tourne. Quelque chose est "incongru" dans cette affaire, mais ce n'est pas l'appel de Rome c'est l'attitude de croyants qui persisteraient, en 2003, à suivre l'idéologie ultralibérale en vogue dans les années 1990.

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