Suite aux rumeurs concernant une prochaine restriction du droit, reconnu par le Motu Proprio Summorum Pontificum, à célébrer la messe selon le missel de 1962, à la récente décision de Mgr Minnerath, archevêque de Dijon, de chasser de son diocèse la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), Le Salon beige a souhaité interroger l’abbé Benoît Paul-Joseph, supérieur du district de France de la FSSP. Nous avons notamment voulu revenir sur la synthèse de la Conférence des évêques de France sur l’application du Motu proprio Summorum pontificum, synthèse particulièrement critique à l’égard de la FSSP.
Il y a maintenant quelques mois, une synthèse de le Conférence des évêques de France, concernant les résultats d’une consultation demandée par la Congrégation pour la doctrine de la Foi sur l’application du motu proprio Summorum Pontificum, listait notamment un certain nombre de points positifs et négatifs, ces derniers étant les plus nombreux. Le premier de ces points concerne l’unité de l’Eglise, qui serait blessée par l’usage de la forme extraordinaire. Que répondez-vous à ceux qui jugent que vous formez une Eglise parallèle ?
Dans son Motu Proprio Summorum Pontificum le pape Benoît XVI parlait de « deux expressions de l’unique Rit Romain » : l’une ordinaire (Missel de Paul VI) et l’autre extraordinaire (Missel dit de Saint-Pie V). Il y a donc bien une distinction entre ces formes liturgiques, bien qu’elles se rattachent à un même rit. Mais c’est justement le principe de l’unité, laquelle comprend nécessairement une pluralité (sinon il s’agit d’unicité) : dans l’Eglise comme ailleurs, l’unité ne revient pas une uniformité mais à une réunion harmonieuse des parties, avec leurs différences propres. Si « marcher vers l’unité » signifie chercher à effacer petit à petit tout ce qui nous distingue, alors on fait fausse route et on détruit même la richesse et l’harmonie de l’unité.
Ensuite, de façon concrète, les apostolats qui nous sont confiés fonctionnent toujours plus ou moins, dans les faits, comme une paroisse ou une chapellenie : une mission reçue de l’évêque du lieu, un pasteur dédié, une communauté de fidèles, des activités paroissiales propres à la communauté, la préparation aux sacrements, leur célébration, des initiatives apostoliques portées par les fidèles de la communauté etc. Cela a pour conséquence que, immanquablement, l’apostolat fonctionne avec une relative autonomie : non pas dans le but de constituer une Eglise parallèle, ou « une paroisse dans la paroisse », mais parce que c’est un mouvement naturel.
D’un côté les fidèles de la forme extraordinaire sont accusés de former un groupe à part, isolé, replié… et de l’autre, rare sont les évêques de France qui ont créé dans leur diocèse une paroisse personnelle pour cette forme (comme proposé dans le motu proprio). Contrairement à d’autres pays, la FSSP n’a même aucune paroisse personnelle en France, et dans certaines églises, vos prêtres disposent de créneaux limités, engendrant parfois une frustration certaine chez les fidèles. N’y a-t-il pas là une contradiction : pour que vous soyez mieux intégrés, ne faudrait-il pas vous confier des paroisses à part entière ?
Ce qui est sûr, c’est que plusieurs de nos apostolats se trouvent désormais dans une situation compliquée dans le sens où le cadre canonique ne correspond pas à la situation de fait. Je m’explique : dans plusieurs villes, la paroisse territoriale à laquelle notre apostolat est rattaché et dont il dépend, est soit de taille comparable (nombre de fidèles, activités paroissiales, ressources financières etc.) soit de taille inférieure. Dans ce dernier cas, cela crée un déséquilibre et des frictions car on veut faire rentrer de force une réalité dans un cadre impropre, car trop étroit. Immanquablement, cela génère des difficultés quasiment insolubles au plan de l’organisation, de la communication et des relations humaines. Une telle situation – a fortiori quand l’église est partagée entre deux communautés – multiplie les risques de rancœur et de ressentiment car la communauté « hébergée » a toujours le sentiment qu’elle est tolérée ou accueillie, mais en tout cas qu’elle n’est pas chez elle, alors qu’elle est plus nombreuse et plus dynamique que celle qui l’héberge. Dans un tel cas, je pense que la paroisse personnelle est la meilleure solution : la plus naturelle et la plus à même de permettre un fonctionnement apaisé (à titre de comparaison, aux Etats-Unis, la FSSP dispose de 39 paroisses personnelles).
En réalité, il s’agit bien souvent d’une forme d’anachronisme dans le sens où le statut canonique de l’apostolat (surtout dans les grandes villes), n’a pas suivi son développement. Le prêtre et les fidèles concernés donnent donc l’impression de déborder du cadre, mais parce que celui-ci n’est pas adapté ! En raison de la croissance de beaucoup de nos apostolats cette question est devenue incontournable.
L’un des points d’achoppement concerne votre refus de la concélébration. Est-ce vraiment contraire à la lettre et à l’esprit du motu proprio Summorum Pontificum ?
La question de la concélébration est délicate, et particulièrement dans notre institut, en raison de notre histoire interne et d’une crise que nous avons traversée. En préambule, permettez-moi de rappeler que si la majorité des prêtres de la FSSP ne concélèbre pas, cela n’est pas dû à une interdiction officieuse de leurs supérieurs, ni à une impossibilité liée à leurs constitutions (ce qui serait impossible), mais à leur choix personnel, ainsi que l’Eglise le permet.
Ensuite, il importe également de rappeler, qu’en raison de leur appartenance à la Fraternité Saint-Pierre, Société Apostolique de Droit Pontifical, dont l’histoire et le nom même trouvent leur origine dans la fidélité au Siège de Pierre, les prêtres de notre institut sont dans la pleine communion ecclésiale. Aucun doute ne peut être émis à ce sujet.
Le Motu Proprio ne parle pas directement de la concélébration, mais rappelle la dignité du missel de Paul VI, demandant aux prêtres de ne pas l’exclure par principe. Dans notre cas, nos constitutions, définitivement approuvées par le Saint-Siège en 2003, reconnaissent que la célébration dans la forme extraordinaire est constitutive de notre charisme. Cela signifie qu’un prêtre de la FSSP ne peut pas recevoir une mission qui inclurait la célébration de la liturgie en forme ordinaire.
Quant à la concélébration (en forme ordinaire) si elle est l’un des signes propres à exprimer la communion avec l’évêque, elle n’est pas le seul, ni le plus élevé (elle ne se pratique d’ailleurs que depuis une époque assez récente) et ne présente aucun caractère contraignant.
Aussi, les prêtres de la FSSP, en raison du choix liturgique qu’ils ont fait, lequel repose sur des raisons théologiques objectives, ne souhaitent pas concélébrer la messe en forme ordinaire comme cela est prévu par le droit canonique et liturgique. Je peux comprendre que cela soit difficile à accepter pour certains évêques, mais il me semble injuste de suspecter ou de pénaliser des personnes qui usent d’un droit, ou de leur faire un procès d’intention sur les motifs qui présideraient à leur choix. Jamais les prêtres de la FSSP n’ont remis en doute la validité de la messe célébrée selon le missel de Paul VI, en revanche ils en ont toujours souligné les insuffisances et les ambigüités, dans un esprit filial. Pour cela, puisqu’ils en ont la permission, ils préfèrent, par cohérence, ne pas la concélébrer.
A ce propos, je préciserai que la question de la concélébration avait été soumise à la Commission Pontificale Ecclesia Dei en 2010 et que celle-ci avait rappelé qu’il s’agit toujours d’une possibilité, jamais d’une obligation.
Cette synthèse indique que les lieux dédiés à la forme extraordinaire comptent en moyenne entre 20 et 70 fidèles. Est-ce conforme à la réalité que vous connaissez ? De même les baptêmes sont-ils réellement “ponctuels et exceptionnels” ?
Je ne peux comprendre comment de tels chiffres ont pu être donnés et beaucoup de personnes s’en sont étonnés. De notre côté nous tenons des statistiques relativement précises depuis presque dix ans. Nous constatons que sur notre soixantaine de lieux de messes, la moyenne est d’environ 200 fidèles. A part une vingtaine de lieux où la moyenne est inférieure à 100 fidèles, dans les autres apostolats, nous sommes très largement au-delà des 70 fidèles annoncés. Depuis dix ans nous constatons une augmentation régulière du nombre de nos fidèles de 8% par an ; cette augmentation est constante, en valeur absolue comme en taux de croissance. En outre, entre 2015 et 2021 nous avons reçu une mission dans dix nouveaux diocèses.
Et il suffit d’assister à une messe célébrée selon la forme extraordinaire pour constater que ce sont surtout les jeunes générations qui nous rejoignent. Cela prouve la dimension missionnaire de cette forme liturgique, laquelle n’est pas réservée à des initiés mais continue d’attirer des âmes à Jésus-Christ. C’est quand-même l’essentiel.
Par ailleurs, la jeunesse de nos assemblées et les nombreuses familles ont pour conséquence que les demandes de baptêmes sont non seulement régulières mais importantes. Pour s’en convaincre, il est intéressant de consulter les registres de la paroisse sur lesquels sont reportés les baptêmes : rapportés au nombre de prêtres ou de fidèles sur la totalité du territoire paroissial, les baptêmes administrés avec la forme extraordinaire sont loin d’être exceptionnels !
Enfin, mes nombreux déplacements dans les villes où nous sommes implantés m’ont montré que le nombre de baptêmes et de confirmations d’adultes ne cesse de croître. En 10 ans il y a eu une progression impressionnante : je ne vois plus de cérémonies de confirmations sans adultes et rares sont les lieux où il n’y a pas de catéchumènes.
Certains évêques s’interrogent sur la formation théologique et la pauvreté des prédications. La formation dispensée dans le séminaire de la FSSP fait-elle l’objet d’un contrôle ?
Cette remarque est pour le moins surprenante : il est fréquent que des personnes nous disent avoir rejoint nos apostolats en raison de la qualité des homélies qu’elles jugent claires, construites et instructives, à la différence de celles de nombreuses paroisses en forme ordinaire. Après, il est évident que la qualité d’une homélie dépend en grande partie des dispositions du prêtres et de son art oratoire, mais je pense que les prêtres de la FSSP les moins à l’aise dans ce genre d’exercice en resteront à un exposé catéchétique, peut-être un peu sec ou élémentaire, mais fidèle à la foi catholique et donc jamais inutile ou décalé.
Quant à la formation dans notre séminaire, elle se conforme évidemment aux dispositions du Saint-Siège précisées dans le Droit Canonique. Les sept années d’études des séminaristes suivent un programme complet appelé « Ratio Studiorum ». Celle-ci a été présentée au Saint-Siège en 2012, via la Commission Ecclesia Dei, qui l’a soumise, pour validation, à la Congrégation pour l’Éducation catholique (congrégation romaine en charge des séminaires). Des échanges ont eu lieu et certaines précisions ont été demandées. C’est finalement en 2015 que ce document très complet (qui donne des normes générales, le nombre d’heure pour chaque matière et un descriptif du contenu de chaque cours) a reçu l’approbation du Saint-Siège. Le séminaire dispose ensuite d’un catalogue des cours spécifiant le contenu précis des cours, donnant les éléments essentiels de bibliographie, le nombre d’heures et les types d’examens.
A propos de séminaire, nous avions suivi votre intérêt pour le Domaine de Pontigny, finalement vendu à la Fondation Schneider. Où en êtes-vous de l’installation d’un séminaire en France ? Est-ce que des évêques vous aident dans cette recherche ?
En raison du développement de la FSSP en France, il a semblé opportun, lors de notre dernier chapitre général en juillet 2018, de prévoir la fondation d’une maison de formation en France : nos séminaristes francophones étant actuellement en formation dans notre séminaire bilingue de Wigratzbad (Bavière).
Par sa dimension symbolique, sa situation géographique, sa taille et sa magnifique abbatiale, l’abbaye de Pontigny correspondait bien à notre cahier des charges. Aujourd’hui, nous voulons toujours fonder un séminaire en France, mais en cherchant un lieu qui réponde adéquatement à nos besoins (situation géographique, église, superficie). Plusieurs évêques m’ont manifesté leur bienveillance ou même leur soutien dans la poursuite de ce projet, m’indiquant parfois certains lieux qui leur semblaient adaptés.
A l’occasion de la crise sanitaire, les fidèles ont été longuement privés des sacrements et, bien souvent, la communion sur la langue a été suspendue. Est-ce que le rite doit passer avant la charité (de ne pas contaminer son voisin), pour reprendre une autre critique de la synthèse ? Faut-il vraiment opposer la santé du corps à celle de l’âme ?
Est-ce que le rite doit passer avant la charité : Les slogans sont toujours réducteurs et caricaturent la réalité, celui-ci n’échappe pas à la règle ! Dans l’emballement de la crise sanitaire et avec la pression mise par le Gouvernement, je pense qu’il y a eu une sur-réaction de la part de certains évêques, avec une forme de complexe face aux pouvoirs civils qui a mené plusieurs pasteurs à jouer les bons élèves, c’est-à-dire à maximaliser les mesures sanitaires. Je pense que nous sommes parfois tombés dans le déraisonnable, au sens propre. Au printemps 2020, la majorité des diocèses de France a donné des consignes, indiquant que la communion ne devait plus être donnée directement sur la langue.
Au-delà de la question de la validité d’une telle interdiction, celle-ci n’était étayée par aucune étude scientifique ou médicale : elle tenait pour évident que la distribution de la communion sur la langue comportait un risque de transmission du virus grave et avéré. Mais dans d’autres pays, des conférences épiscopales ont réuni un comité scientifique pour traiter cette question, et ont estimé que la distribution de la communion sur la langue ne comportait pas de risques excessifs, en tout cas pouvait être encadrée au niveau sanitaire.
En France, cela a fait beaucoup de mal chez de nombreux fidèles, qui ne voulaient pas recevoir la Sainte-Eucharistie dans leur main et n’ont pas eu d’autre choix que de ne plus communier ou de trouver une église où la communion était donnée sur la langue. Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’il s’agisse d’une coquetterie, ni d’une rigidité rituelle, encore moins d’une forme de pharisaïsme : cela a trait à la foi en la présence réelle du Seigneur et ne peut être considéré avec dédain, a fortiori en un temps où l’on prétend respecter toujours davantage les différentes façons de « vivre sa foi ».
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