Source [Boulevard Voltaire] Léa Salamé et Nicolas Demorand, journalistes à France Inter, ont interrogé, le 27 août, l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006, pour la sortie de son dernier roman, Les cigognes sont immortelles, grande fresque du colonialisme et de la décolonisation.
Cet écrivain, professeur de littérature francophone à l’Université de Californie à Los Angeles, est revenu sur son refus de participer au projet pour la promotion de la langue française et du plurilinguisme, lancé par Emmanuel Macron, en mars 2018, reprochant à la France sa politique africaine.
Il a déclaré que la francophonie, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, est une manière détournée pour la France de maintenir sa politique internationale, en fermant les yeux sur les dictatures africaines. Quand l’un des journalistes suggère que « la langue française, c’est la langue de la dictature », il ne dément pas cette formule pour le moins discutable. Pourquoi diable les attaques contre le passé de la France ont-elles un succès récurrent ? Certains prendraient-ils un malin plaisir à le salir ?
On peut comprendre qu’Alain Mabanckou, qui est persona non grata au Congo, son pays natal, pour avoir critiqué la politique menée par le président Denis Sassou-Nguesso, en veuille à ces régimes plus ou moins dictatoriaux qui se sont établis dans plusieurs ex-colonies françaises. On peut comprendre, aussi, qu’il ait été déçu par Emmanuel Macron, soupçonné de vouloir, au nom de la francophonie, conquérir un nouveau marché (bien que, candidat, il ait déclaré, en marge d’un déplacement en Algérie, que la colonisation, « c’est un crime. C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie […] », se situant d’emblée dans le camp de la repentance).
Mais on peut regretter que, plutôt que de se contenter d’entendre le romancier dénoncer la responsabilité de la France, les journalistes n’aient pas eu le réflexe de lui demander ce que seraient, à son avis, devenus l’Afrique et notamment le Congo s’ils n’avaient été colonisés et si la langue française n’y était largement répandue. Certes, il ne faut pas donner de la colonisation une vision trop idéalisée, mais de là à rendre la France et sa langue responsables de tous les maux, « régimes autocratiques », « élections truquées », « manque de liberté d’expression »…, « tout cela orchestré par des monarques qui s’expriment et assujettissent leurs populations en français » !
Il est possible que la décolonisation ne se soit pas produite dans les meilleures conditions, mais quel eût été le destin de l’Afrique si elle n’avait été colonisée par la France, qui s’est comportée, à l’égard de ses populations, bien plus humainement que d’autres pays européens ? Quel eût été le destin d’Alain Mabanckou lui-même s’il n’avait été instruit en France et imprégné de son patrimoine culturel ? Reprocher à la langue française d’être une langue d’oppression, c’est reprendre la théorie contestable de Claude Lévi-Strauss selon laquelle « la fonction primaire de la communication écrite [serait] de faciliter l’asservissement », ce qui n’est pas d’une grande originalité.
On peut légitimement préférer, à cette position partisane et quelque peu revancharde, celle de Léopold Sédar Senghor, un autre homme de lettres, qui n’a jamais renié ce que la France avait apporté à son pays et à lui-même. À l’occasion de l’inauguration d’une faculté, le premier président de la République du Sénégal exprima « la gratitude du Gouvernement et du peuple sénégalais. Singulièrement pour l’héritage culturel qu’elle a laissé dans ce pays et qui nous aura marqués d’un sceau indélébile. »
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