Pékin fêtait hier, 1re octobre 2009, les soixante ans de Zhonghua Renmin Gongheguo – l' État populaire de l'harmonie commune de la Chine , cette dernière étant saisie comme : Zhonghua – l' Éclat constant ! Le nom officiel de la Chine populaire, la justification de ces soixante ans ?

La presse occidentale n'en parle pas, négligeant plus innocemment et par inculture que par souci de dénigrer l'Empire , ce que les Chinois entendent sous ces mots et face à cette manifestation. Soixante ans ? Un cycle, un siècle, au sens du latin saeculum, une génération humaine [1]. Quand Deng Xiaoping disait dans les années quatre-vingt : Il nous faudra soixante ans pour atteindre à un développement de puissance moyenne , il disait une pleine génération , et ses compatriotes comprenaient : Nos enfants et petits-enfants mesureront le prix de nos efforts.
Cette fête sexagésimale revient à montrer au monde que c'est la Chine de toujours qui fête son siècle d'indépendance retrouvée, laquelle lui a permis – pays vieux et jeune à la fois , comme le disait, en février dernier, We Jiabao, à Cambridge – de renouer avec sa longue histoire – quatre à cinq millénaires, voire Dix-Mille Ans, soit un temps infini dans un cosmos (yuzhou) de conception cyclique – tout en marchant vers l'avenir, un avenir rouge – hung –, non pas socialiste , mais heureux , populaire , sujet à la réussite ! Le rouge, en Chine si sensible psychiquement à la puissance des symboles, est couleur de joie et de bonheur... de réussite donc, au prix, bien sûr, du travail si inhérent à la nature des Chinois.
La Chine qui fête ces soixante ans a renoué non seulement avec son histoire, mais avec la réalité planétaire dont son empereur et ses sages avaient prétendu se retirer, à la fin du XVe siècle, pour cultiver sans effort inutile et tout naturellement [2] son éclat et sa grandeur – et ce, quelques dizaines d'années après que le navigateur Zhenghe eut fait, au cours d'une demi-douzaine de voyages, des Philippines aux côtes occidentales de l'Afrique, une solennelle ostension de la Chine et de sa grandeur, menant des dizaines de navires tous plus grands et magnifiques les uns que les autres !
Une personnalité fortement typée
En Occident, la révolution chinoise de ces soixante dernières années semble n'avoir été perçue que de façon abstraite, au travers d' absolus , marxistes d'abord, droits-de-l'hommistes ensuite, et pour n'y rien comprendre. On n'y a jamais considéré le peuple chinois, milliardaire en hommes, et ses usages et valeurs millénaires.
Or la Chine est une réalité humaine à la personnalité formidablement typée ! On ne saurait s'intéresser à son sort et au nôtre, en cela qu'elle est devenue un interlocuteur incontournable, sans avoir une idée, sommaire au moins, de son identité.
Le peuple chinois aurait à subir les ordres d'un gouvernement totalitaire ? Faux, il répond, à son gré, aux exigences d'un gouvernement autoritaire et paternaliste. Sa liberté ? Il y a 2 500 ans qu'il en connaît les limites politiciennes : Quand le gouvernement a des principes, parlez droit et agissez droit ; quand il est sans principe, agissez droit, mais parlez prudemment " (Lunyu, XIV,3). C'est à l'aune de cette formule qu'il convient de juger la conversion , hier, de la majeure partie des Chinois à la pensée mao-zedong , sa conversion aujourd'hui à l'économie socialiste de marché ! Une citation shakespearienne pourrait répondre à ce que le Chinois de base pense du discours officiel de Pékin : Words, words, words !

Comment la Chine conçoit-elle cette fête ? J'étais encore là-bas, il y a quatre jours. À Pékin, préparation formidable, dont celle d'armements de facture nationale qui concourent à la fierté, donc à la cohésion nationale : un dragon propre à terrifier fantômes et démons en quête d'un mauvais coup ! Dans toutes les villes petites et moyennes du pays, des fleurs jaune et rouge dans tous les massifs, à tous les carrefours...
Exception de première grandeur, Shanghai ! On y prépare l'Expo universelle de 2010, la réalité et ses contraintes semblent l'y emporter sur le symbole et l'intérêt sur la solidarité des cœurs [3] ! Images et festivités ne sauraient vous détourner de l'essentiel : voyez Confucius, Lunyu, XII, 7 :

Zi Gong interrogea Confucius sur l'art de gouverner. Le Maître répondit : "Celui qui gouverne doit avoir soin que les vivres ne manquent pas, que les forces militaires soient suffisantes, que le peuple lui donne sa confiance."
Zi Gong dit encore : "S'il était absolument nécessaire de négliger une de ces trois choses, laquelle conviendrait-il de négliger ?
– Les forces militaires", répondit Confucius.
"Et s'il était absolument nécessaire d'en négliger encore une seconde, dit Zi Gong, quelle serait-elle ?
– Les vivres, répondit Confucius, car de tout temps les hommes ont été sujets à la mort, mais si le peuple n'a pas confiance en ceux qui le gouvernent, c'en est fait de lui .

Les armes sont là, les vivres se multiplient. La confiance ? Autre réponse confucéenne, en Lunyu, VIII, 14 : Qui n'occupe pas de place au gouvernement n'en discute pas la politique ! La Chine, jeune et vieille à la fois , a bien renoué avec son histoire, et demeure elle-même ; elle peut fêter l'événement !

*Xavier Walter est sinologue, a publié notamment une Petite histoire de la Chine (Eyrolles, 2007) et Confucius attendait-il Jésus-Christ ? (F.-X. de Guibert, 2008).

[1] Ce cycle sexagésimal chinois offre des dates combinant les cinq éléments terrestres : feu, eau, bois, terre, métaux, et les douze signes célestes des mois astrologiques : rat, buffle, tigre, lièvre, etc. Il n'y a durant ce cycle qu'un mois rat/feu, buffle/eau, tigre/bois, lièvre/terre... etc.
[2] An an, répétition de l'idéogramme an = paix, l'équivalent de notre tranquille tranquille familier...
[3] Je n'en ai pas moins fait à Shanghai une conférence sur confucéisme et christianisme qui a rassemblé plus de deux cents personnes à l'attention soutenue et aux questions intelligentes...

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