foetus

« Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse (…). Aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse ». Pour l’Observatoire sur l’Intolérance et la Discrimination contre les Chrétiens en Europe, la réalité de l’objection de conscience dans le milieu hospitalier français est toute autre. Explications.

Dans un court document qui rassemble plusieurs témoignages de soignants et d’étudiants issus de filières de santé, l’Observatoire sur l’Intolérance et la Discrimination contre les Chrétiens en Europe se dit inquiet à propos de l’exercice de la clause de conscience en France, plus particulièrement dans le champ de la gynécologie-obstétrique [1].

Paul, étudiant en médecine, tire la sonnette d’alarme : « Pour moi et mes amis catholiques, en tant qu’étudiants en médecine, la question de nos consciences nous freine énormément. Même si certains ont des affinités pour la gynécologie, ils préfèrent se tourner vers une autre spécialité, car dans celle-ci, on avance en terrain miné… ». Amandine renchérit : « Le chemin pour être gynécologue lorsqu’on est chrétien est un vrai parcours du combattant ».

Comme s’il pressentait la multiplication à venir des attentats à l’encontre la vie prénatale et la menace qui allait peser sur les consciences des soignants, le bienheureux Jean-Paul II demandait au tout début de son pontificat en 1980 aux gynécologues et aux sages-femmes catholiques de continuer à « cultiver en eux la claire conscience de la très haute valeur de la vie humaine », leur rappelant qu’il leur revenait particulièrement de « veiller avec sollicitude sur le merveilleux et mystérieux processus de la procréation qui s’accomplit dans le sein maternel, en vue d’en favoriser l’heureuse issue par la venue au monde du nouveau-né [2]». Devant l’ampleur qu’a prise en nos temps « cette guerre des puissants contre les faibles [3]», ces professionnels de la vie à naître sont appelés, aujourd’hui plus que jamais, à devenir « un signe de contradiction dans le monde de la culture de mort [4]», selon le mot juste du docteur José Maria Simon Castellvi, président de la Fédération internationale des médecins catholiques. 

Objection de conscience

En effet, les obstétriciens et sages-femmes catholiques se trouvent quotidiennement face au devoir de refuser d’accomplir ou de coopérer à des actes, qui pour être légaux, n’en sont pas moins « en contradiction totale et insurmontable avec le droit inviolable à la vie » (Evangelium vitae, n. 72)  parce qu’ils conduisent à l’avortement de l’enfant à naître quel qu’en soit le moyen (IVG chirurgicale ou médicamenteuse, stérilet ou pilule du lendemain, prescription du diagnostic prénatal dans un but eugénique,…), portent atteinte à la dignité de la procréation humaine (contraception sous toutes ses formes, stérilisation définitive, insémination artificielle avec ou sans donneur étranger,…) ou encore blessent tout à la fois la vie humaine et l’identité de l’acte conjugal (fécondation in vitro qui dissocie la sexualité de la procréation et conduit à la destruction de nombreux embryons,…). En mettant en lumière les normes éthiques objectives conformes à la dignité humaine, l’Eglise ne cesse de rappeler que l’ensemble de ces pratiques sont non seulement des actions intrinsèquement mauvaises (intresece malum) qui ne peuvent jamais être justifiées moralement mais que les lois elles-mêmes qui les dépénalisent «  ne créent aucune obligation pour la conscience, et entraînent au contraire une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience » (Evangelium vitae, n. 73).

Sans même parler de l’avortement d’ailleurs, la vocation des professionnels de la naissance n’a-t-elle pas été gravement dévoyée, se réduisant souvent à rendre artificiellement impossible la procréation (ordonnances de contraceptifs et moyens abortifs précoces qui représentent parfois plus des 2/3 de l’activité de gynécologues de ville) ou à se substituer aux relations conjugales et à la conception de la vie humaine (ensemble des techniques de procréation artificielle qui constituent aujourd’hui le nec plus ultra de la médecine gynécologique universitaire) ? Quant aux sages-femmes, leurs prérogatives se sont inexorablement alignées sur celles de leurs collègues médecins, menaçant une profession dont la mission est depuis l’aube des temps d’accompagner la grossesse et d’accueillir la vie. Elles sont désormais habilitées à prescrire l’intégralité de la gamme des contraceptifs hormonaux existants, à poser des implants et insérer des stérilets.

Un exercice compromis

La loi garantit bien à ces professionnels de santé une clause de conscience en matière d’avortement (articles L. 2212-8 et L. 2213-2 du Code de la santé publique) ou de stérilisation (article L. 2123-1 CSP). Pour autant, l’exercice de l’objection de conscience est largement compromis dans les faits. En premier lieu, la loi du 4 juillet 2001 a obligé le professionnel à « communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser l’intervention », c’est-à-dire le contraint à délivrer des informations dont le but est de faciliter pour la femme le recours à l’avortement alors même qu’il juge l’acte contraire à son bien et qu’il souhaiterait l’en prémunir. D’autre part, la même loi a abrogé la clause de conscience en faveur d’un médecin-chef de service d’un hôpital public, celui-ci étant tenu d’assumer l’organisation de l’IVG même s’il ne l’exécute pas personnellement. Enfin, de manière plus insidieuse, on ne compte plus les pressions exercées sur les objecteurs au sein des équipes des maternités de même que se multiplient les cas de discrimination à l’embauche visant à écarter les candidats réfractaires à l’avortement. Un ami gynécologue nous a confirmé que les candidatures de professionnels objecteurs étaient systématiquement refusées dans l’hôpital départemental où il exerce en raison du manque de personnel pour pratiquer l’IVG. En souhaitant doter chaque établissement hospitalier public d’un centre d’IVG, le président Hollande rendra encore plus problématique le respect de la clause de conscience[5].

Et même en admettant que l’étudiant ou le professionnel ne soit pas inquiété sur ce point, on ne voit pas comment il pourrait se soustraire dans un grand hôpital à la mise en oeuvre des protocoles de fécondation in vitro et à la prescription de contraceptifs. Sur ce dernier aspect, un rapport parlementaire récent cite un exemple qui interroge : le professeur Nisand, chef de service du pôle mère-enfants du CHU de Strasbourg, demande à toute son équipe de participer à tour de rôle aux activités d’IVG et impose à ceux qui feraient valoir leur clause de conscience d’effectuer le double du travail en matière de contraception, sous peine de ne pas obtenir la validation de leurs études d’internat[6].

Pistes d’action 

Devant cette « conspiration contre la vie » (Evangelium vitae, n. 12), on ne peut plus éluder une question restée trop longtemps taboue : est-il encore possible pour un catholique d’exercer en France la profession de gynécologue obstétricien ou de sage-femme, et d’entreprendre les études qui y conduisent, sans violer sa propre conscience ?

Dans un discours peu connu de 2001 adressé une nouvelle fois aux obstétriciens et sages-femmes, Jean-Paul II a évoqué la tentation qui les guette de faire des compromis avec la culture de mort ou à l’inverse celle d’ « abandonner ces professions » pour ne pas tomber sous le coup d’une idéologie qui viole leurs convictions profondes[7]. Le grand Pape les exhorte à ne pas céder et à défendre une autre approche, celle de la défense du « droit fondamental à la formation et à une pratique professionnelle selon sa conscience ». Pour y parvenir, il propose des pistes d’action concrètes auxquelles il nous semble urgent de réfléchir.

Il demande avant tout aux « universités et hôpitaux catholiques » de « fournir un réseau d’enseignement qualifié et reconnu au niveau international afin d’aider les professionnels victimes de pressions inacceptables à se spécialiser en obstétrique et gynécologie ». Mais où trouver ces lieux de formation ? Jean confie à l’Observatoire sur l’Intolérance et la Discrimination contre les Chrétiens en Europe qu’ « aujourd’hui, être diplômé sans pratiquer d’interruption de grossesse est quasi infaisable si on ne s’expatrie pas ». Dans notre dernier livre dont l’objet est la médecine prénatale, nous soulevons cette question de l’expatriation[8] : « Le point de rupture étant quasiment atteint aujourd’hui dans notre pays, il nous apparaît essentiel d’encourager les étudiants français catholiques à se rendre à l’étranger, notamment en Italie, pour suivre une formation respectueuse de leurs convictions tant que n’existeront pas chez nous des écoles catholiques de sages-femmes et des parcours de formation des internes en gynécologie reconnus sur le plan universitaire »[9].

Les cursus proposés de l’autre côté des Alpes comprennent, outre les enseignements spécifiquement médicaux et scientifiques conformes aux programmes académiques de l’Union européenne, des cours de bioéthique fidèles aux directives du magistère catholique. Les étudiants ont également la possibilité de bénéficier de formations d’excellence en matière de régulation naturelle des naissances ou de techniques de procréation assistée respectueuses du lien entre sexualité et transmission de la vie (naprotechnologies). De retour en France, ces professionnels ainsi formés pourront s’associer en cabinet privé ou rejoindre, voire fonder des maternités catholiques et des lieux d’enseignement susceptibles de faire rayonner l’Evangile de la Vie.

L’objectif à plus long terme doit être en effet de donner corps à des « communautés » médicales, scientifiques,… qui rendent évidente et persuasive pour nos contemporains une culture du respect absolu de la vie humaine. Autrement dit, l’objection de conscience ne peut se contenter d’être individuelle, elle doit s’institutionnaliser pour devenir collective. Dans ce discours décidément capital, Jean-Paul II demande aux Eglises locales de tout faire pour « assurer la promotion de cet idéal ». Ce n’est qu’au prix de cet engagement résolu et passionné que les gynécologues et sages-femmes catholiques seront « les héros d’une nouvelle culture de vie [10]».

 

[1] Observatoire sur l’Intolérance et la Discrimination contre les Chrétiens en Europe, « L’objection de conscience en péril », mai 2012. Pour tout renseignement, contactez Béatrice Stevenson, + 43 1 2749898.

[2] Jean-Paul II, Discours aux participants au congrès d’obstétrique concernant la défense de la vie et de la famille, 26 janvier 1980. Cf. Conseil pontifical de la santé, Charte des personnels de la santé, 1995, n. 36.

[3] Jean-Paul II, Lettre encyclique Evangelium vitae, 25 mars 1995, n. 12.

[4] Selon le propre mot du docteur José Maria Simon Castellvi, président de la Fédération internationale des médecins catholiques, Zenit, 5 avril 2011.

[5] Marine Lamoureux, « François Holland entend faciliter l’accès à l’avortement », La Croix, 9 mars 2012.

[6] Bérengère Poletti (UMP), Rapport d’information sur la contraception des mineures, Assemblée nationale, 2011, p. 35.

[7] Jean-Paul II, Discours aux participants au congrès international des obstétriciens et des gynécologues catholiques, 18 juin 2001.

[8] Pierre-Olivier Arduin, Le diagnostic prénatal. Un éclairage éthique pour parents et soignants, Préface de Mgr Suaudeau, Editions de l’Emmanuel, mai 2012.

[9] A condition de maîtriser la langue de Dante, il leur est d’ores et déjà possible d’intégrer à Rome moyennant des examens la prestigieuse Université catholique du Sacré Cœur ou le Campus bio-medico créé par l’Opus dei. Renseignements www.unicattolica.it et www.unicampus.it. Lire le très important discours de Benoît XVI donné à l’Université catholique du Sacré Cœur le 3 mai 2012.

[10] L’expression est encore celle du professeur Castellvi qui demande à l’ensemble des professionnels de la vie à naître de relever avec audace les nouveaux défis posés par la culture de mort, Zenit, 5 avril 2011.