La chute d'Hervé Gaymard serait insignifiante si elle n'était pas emblématique du fonctionnement de notre vie politique. Le dossier est vide ou à peu près. Comme le reconnaît Jacques Attali dans l'Express, "bien des ministres, sous-ministres ou autres, ont pu en toute impunité, bénéficier de privilèges au moins équivalents, sinon supérieurs".

Résumons l'affaire. L'État réaménage et se loue à lui-même un appartement, dans le quartier des ministères, pour l'un de ses principaux ministres. La résidence est somptueuse. Mais s'il fallait faire grief à toutes les excellences, ministres, préfets, élus, généraux ou fonctionnaires de toutes sortes qui occupent des demeures de standing identique ou supérieur dans les nombreux palais ou logements de fonction que compte la République, beaucoup d'hommes publics devraient déménager...

Le seul tort d'Hervé Gaymard est de ne pas avoir compris, assez tôt, que les médias ont des raisons que la raison ne connaît pas.

L'immobilier chez les Français est l'un des signes les plus manifestes de la réussite. Depuis que Louis XIV a avoué, à la fin de sa vie, avoir trop aimé les bâtiments, le château – et le grand appartement – demeure l'emblème de la réussite et du statut social. Le reste se nourrit des frustrations de tous ceux qui rêvent aux apparences de la richesse. L'envie devenant la passion la plus secrète et la moins avouée des Français, toute faveur est perçue comme un abominable privilège. Un ministre de la Culture peut bien distribuer à ces invités d'un soir 150 statuettes grecques prélevées sur les réserves du Musée du Louvre, personne n'y trouve à redire. Mais que le maître des Finances de l'État, père de huit enfants, s'installe dans un appartement fastueux, au cœur de Paris, haro sur le ministre !

Cette indignation à géométrie variable comme celle qui vient de frapper Hervé Gaymard, tout maladroit qu'il fût, ne cesse de perturber notre vie politique. Cet acharnement chronique sur le bouc émissaire est tout bonnement le signe d'une société archaïque (René Girard). Il risque, à terme, de détourner les hommes de valeurs de l'action politique. Le salaire des ministres est largement inférieur à celui des grands patrons du privé. Attribuer des revenus substantiels à ceux qui exercent, au prix de sacrifices personnels importants, des fonctions de responsabilités publiques très lourdes n'a rien de scandaleux, bien au contraire.

Encore faudrait-il définir une règle du jeu qui soit claire. De ce point de vue, la France est en retard sur de nombreuses démocraties. La grande réforme de l'État que l'on nous promet passe aussi par une réflexion sur le coût de fonctionnement de notre haute administration.

Raccourcir les procédures de décisions, diminuer le nombre des ministres et des ministères, attribuer aux serviteurs de l'État des rémunérations transparentes et en rapport avec celles pratiquées dans le privé à responsabilité équivalente, sous le contrôle du Parlement, éviterait cette politique de prébendes qui déstabilise les ministres. Et qui donne l'impression que notre République est celle des copains et des coquins.

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