Source [Boulevard Voltaire] Combien de fois, lors d’interventions et de conférences, me suis-je fait interpeller au sujet du laxisme de la Justice ! Et, répondant le plus sincèrement du monde, j’avais plutôt tendance à souligner qu’en matière pénale, le procès de faiblesse fait aux magistrats était injuste, tant on pouvait trouver des preuves du contraire, pas seulement dans les prisons et les cours d’assises.
Mais une étude bisannuelle du Conseil de l’Europe est venue éclairer ma lanterne, en me faisant comprendre les causes structurelles de la perception par la société d’une mansuétude judiciaire.
Le rapport ne révèle pas seulement l’existence de « procureurs surchargés », le manque criant de moyens, ce qui est brutalement résumé ainsi par Le Monde : « La justice française, dernière de la classe en Europe ».
Il ne s’agit pas d’oublier, pour le meilleur et le pire, des données qui doivent s’insérer dans cette problématique inclinant au pessimisme.
Dans le projet de loi de finances 2019, il y aura pour la Justice une hausse des crédits de 4,5 % et 1.300 postes créés, ce qui n’est pas rien. Même si l’essentiel sera absorbé par le secteur pénitentiaire.
Il conviendra de garder à l’esprit, aussi, la propension du pouvoir actuel à ostensiblement privilégier des personnalités plus sûres sur un plan politique qu’indépendantes de caractère et de comportement. Ce ne sera pas sans incidence sur le « deux poids deux mesures » qui, assez souvent, perturbe le profane.
Il serait absurde de sous-estimer les répercussions terrifiantes, dans l’opinion, du mur des cons – je m’honore d’en être – que la sottise et l’idéologie ont édifié et qui a gravement et durablement mis à mal un univers déjà fortement contesté. C’est seulement au mois de décembre prochain que la présidente d’alors du Syndicat de la magistrature sera jugée, avec des éléments récents encore plus accablants à sa charge.
Et on s’étonne encore plus que le parquet de Paris ait cru bon de relever appel en 2015 de l’ordonnance de renvoi de Françoise Martres devant le tribunal correctionnel, contestant ainsi la décision du juge et son impeccable analyse juridique.
Pour en revenir à l’essentiel et que l’étude citée plus haut met en lumière, les procureurs – débordés ou orientés ? – classent trop d’affaires sans suite puisque les deux tiers dont ils ont été saisis n’ont aucune suite procédurale.
La France est aussi le pays où « le parquet prononce le plus grand nombre d’alternatives aux poursuites (sanctions décidées par le procureur ou négociées contre l’abandon des poursuites)… »
Sans méconnaître la multiplicité des tâches incombant au ministère public (il n’y a que l’administratif qui ne le concerne pas), qui entraînent probablement le choix d’options moins dictées par la pertinence que par la contrainte, par le droit pénal que par les chiffres, reste que la coexistence d’un taux considérable de classements et d’une répression infiniment soft n’a pu que créer une atmosphère instillant dans la tête des citoyens qu’on poursuit trop peu, qu’il y a trop de délits – ceux qui pourrissent une quotidienneté, une tranquillité publique – laissés sur le bord de la route judiciaire et que, pour les autres, la justice n’est pas assez sévère. Et pas seulement pour les violences faites aux femmes !
Cette étude offre le grand mérite d’objectiver un ressentiment citoyen qui n’a pas été engendré par rien.
Pour reprendre la référence pénitentiaire, il est limpide que la magistrature n’emprisonne pas trop mais qu’au contraire, la surpopulation pénale tellement déplorée n’a, en elle-même, rien de scandaleux. Elle devrait imposer seulement, aussi vite que le rythme administratif et opératoire le permettra, la construction de nouvelles prisons.
On pourrait songer, pour remédier à ce tableau pénal guère reluisant, à s’inspirer des « pays du nord et de l’est de l’Europe […] ayant massivement investi pour proposer aux justiciables des procédures plus pratiques et davantage d’information » (Le Figaro). Mais cela ne suffirait pas.
Parce que le ver de l’ignorance et des poncifs – de droite et de gauche, tristement mêlés – est dans le fruit judiciaire. Et que rien de cohérent ni d’efficace ne s’accomplira si une philosophie pénale alliant humanisme et rigueur n’est pas adoptée. Avec des crédits pour qu’elle puisse valablement s’incarner.
Sans omettre que le lien entre police et justice est tellement dégradé, à cause principalement de la seconde, que remonter la pente relèverait aujourd’hui de l’inconcevable.
Lors de mes prochaines interventions, dans les cénacles parisiens ou dans la France profonde, je n’oublierai pas, dorénavant, de rendre hommage à ces citoyens qui avaient donc raison…
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