Source [Valeurs actuelles] Jean-Marie Le Pen vient de livrer le premier tome de ses Mémoires. Portrait d’un monstre politique, témoin combatif mais impuissant du rapetissement français.
L’adage veut que les Bretons aient la tête dure. C’est vrai au moins chez les Le Pen, et depuis bien longtemps. Au début du siècle dernier, les grands-parents de Jean-Marie, Pierre et Marie, ne se supportaient plus. En Bretagne à ce moment-là, on ne divorce pas : leur « séparation de proximité » durera vingt ans. Deux décennies, simplement séparés d’un mur, sans s’adresser une seule fois la parole. Le jour de la mort de Pierre, on supplie l’épouse de consentir à lui faire ses adieux : « Elle salua juste le corps de son mari une fois bien sûre qu’il était mort. Et encore ! Elle n’entra pas dans la pièce, ne prononça pas une parole, fidèle à son voeu d’éternel silence et de vengeance. Elle se contenta d’un signe de croix de loin, précipité, avare. Le minimum conjugal de l’adieu. »
Jean-Marie Le Pen a beau être fait du même bois, il reste interloqué en racontant l’histoire. Le “Menhir” vient de livrer, ce 1er mars, le premier tome de ses Mémoires, dans lesquels il rapporte toute sa vie d’avant. Quand le Front national n’existait pas. Le récit d’un homme qui, comme ses grands-parents, n’éprouve jamais le moindre regret en regardant en arrière. Attablé dans un restaurant de Rueil-Malmaison où il a ses habitudes, le tribun confirme : « Ce n’est pas mon genre, les regrets. Et ce n’est pas le genre de la famille de manière générale. »
Au crépuscule de sa vie, il est satisfait. Médiatiquement, il fut le diable, ce qu’il désapprouve : « Étant l’un des Français (de plus en plus rares d’ailleurs) qui se rase, je dois me regarder chaque matin dans le miroir. Ma foi, je pense avoir mené une vie assez droite. Je ne suis pas Pic de La Mirandole, je ne suis pas un saint, mais je ne suis pas le démon non plus ! Non… Je suis fier de moi. » Dans ces Mémoires se dessine le portrait d’un homme que l’on ne connaît pas. À bien des égards, la première vie anonyme du « petit Breton poussé dans la grande France » annonçait la seconde, publique et politique, de Jean-Marie Le Pen.
À La Trinité-sur-Mer, son village natal, il est très tôt confronté au tragique de l’histoire. « Je suis né entre deux guerres énormes, 14 et 39, j’ai participé à deux guerres plus petites mais non négligeables, l’Indochine et l’Algérie, écrit-il. J’appartiens donc à une génération que la guerre a enfantée, mûrie si l’on veut, traumatisée, formée. » Le récit qu’il donne de ses jeunes années éclaire sa détermination future, parfois si polémique.
Pour beaucoup, Jean-Marie Le Pen reste l’homme du « détail ». En 1987, au micro de RTL, il déclare : « Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir, je n’ai pas spécialement étudié la question mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. » Le journaliste intervient : « Vous considérez que c’est un point de détail ? » Lui précise : « Non, c’est la question qui a été posée, savoir comment ces gens ont été tués ou non. C’est un point de détail. »
Il n’en fallait pas tant. Le Pen, négationniste. Le système tient son repoussoir. Pourquoi récidiver sur cette période, l’Indochine ou l’Algérie ? Il n’est pas historien. Chaque fois qu’il a choqué avec insistance, c’est qu’il racontait sa propre histoire. Le parcours de ce monstre politique contient en permanence deux niveaux de lecture : l’échelle de sa vie et celle de la France. À l’évocation de l’interview qui fâche, il résume cette idée d’un ton agacé : « Le mort le plus important de la guerre, pour moi, c’était mon père. » Dans la vie du petit Breton de 13 ans, tout était détail face à la mine allemande qui ôta la vie à son père en faisant sauter son bateau. Parti pêcher, il mourut noyé après un calvaire de dix heures. Cette conviction d’enfant, l’orphelin l’applique plus tard à l’échelle nationale. Homme public, il ne change pas d’avis : « Interdire le mot “détail” revient à dire qu’il n’y avait que ça. Rien d’autre. Hiroshima, Nagasaki, Tokyo, Dresde, Hambourg, les bombardements, les pertes françaises seraient donc les vrais détails. » La sortie a eu beau parasiter toute sa carrière politique, il l’assume encore aujourd’hui. « On m’a posé la question, j’ai répondu. Là où j’ai eu tort, c’est de ne pas dire : “Je regrette profondément la façon dont ma déclaration a été utilisée contre moi, à l’inverse de ce qu’elle voulait dire.” »
Il enroule sa serviette autour de sa cravate ; le verre de médoc qu’il sirote en conversant lui semble menaçant. « Je fais très attention à sauver mes cravates, sous-titre-t-il pour dissiper l’étonnement. Au point que j’en avais une collection de plus d’une centaine. Elles ont brûlé dans l’incendie de ma maison. »C’était chez Jany, à Rueil. Dans les flammes, Le Pen vit disparaître des objets chargés d’émotions. Son violon — « dont je ne jouais plus, Dieu merci pour vous tous » —, le clavecin de sa femme et un fossile d’escargot géant de 50 millions d’années ramené du Maroc. Là encore, il refuse de se lamenter sur des souvenirs regrettés. Fidèle à sa « philosophie de vie ».
Pour l’en faire dévier, il faut exhumer l’un de ses commentaires sur la guerre, asséné selon lui avec légèreté. Son seul acte de contrition : « Certaines vedettes n’aiment pas leur image au cinéma, je ne suis pas sûr d’approuver complètement tout ce que j’ai dit ou fait dans le passé. » On est en 1984 et les filles Le Pen ont placardé cette phrase de leur père sur le mur de leur chambre : « La guerre est un soleil noir qui fait mûrir les hommes. » « Sans doute, ajoute-t-il aujourd’hui, mais il en brûle beaucoup dans cette opération, et si la guerre luit pour tout le monde, ce n’est pas, hélas, par souci de justice. »
Parce que la guerre ne rend pas justice, le garçon de La Trinité décide, à la mort de son père, de se venger lui-même : il tuera un Allemand. Il renonce finalement, un soir où l’occasion se présente, serrant son “6.35” dans sa poche, à abattre dans le dos le soldat de la Wehrmacht. Plus tard, il s’en réjouit : il n’avait pas mesuré les conséquences qu’aurait eues cet assassinat, notamment les représailles subies par les civils français. Cet épisode contient les raisons de sa future opposition au communisme et à ses lieutenants, qui ne partagèrent pas ses vues : « Le maquisard pris les armes à la main peut être fusillé en vertu de la convention de Genève, encore risque-t-il honnêtement sa vie », écrit-il. Il en va différemment de ses futurs adversaires politiques, glorifiés pour leurs combats contre l’occupant : « Ce n’est pas le cas de l’homme qui tue dans le dos ou à la bombe pour provoquer des représailles avant de disparaître dans la ville qui est à la fois son refuge, sa cible et son champ de bataille. Celui-là est pire qu’un assassin, il mérite objectivement le nom de terroriste quelle que soit la sainteté de la cause qu’il invoque. » Pour Le Pen, cette guerre des partisans est l’une des trois pires inventions de la Seconde Guerre mondiale, avec les camps de concentration et les bombardements de terreur des villes. Il ne cessera jamais de se justifier : « Tout a été dit sur les camps, mais pas sur les deux autres horreurs. »
À lui, la guerre prit presque autant qu’elle donna. Fauchant son père, elle lui présenta le grand amour de sa vie. La France. Le 23 décembre 1942, le jeune Trinitain est déclaré pupille de la nation. Un « merveilleux cadeau de Noël ». Plus tard, le nom de Jean Le Pen est inscrit sur le monument aux morts : « J’étais fier de mon père, plus fier encore peut-être de devenir pupille de la nation », écrit-il. « Je décidai d’être digne de ce bonheur et de cet honneur. » Le fut-il ? Au soir de sa vie, il confesse une « ombre de tristesse » qui, dès la première page de son testament public, résonne comme un douloureux sentiment d’échec : « À mesure que je grandissais puis que je prenais une certaine importance, mon pays rapetissait, jusqu’à changer du tout au tout, comme jamais il ne l’avait fait en deux mille ans d’histoire. Cet étrange phénomène fut le ressort de ma vie politique et le chagrin de ma vie tout court. »
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