Houellebec toujours en tête des ventes avec un dernier roman volontiers provocateur

Source [Le Nouveau Cénacle] Sérotonine, le nouveau roman de Michel Houellebecq paru aux éditions Flammarion, caracole en tête des ventes et la critique est dans son ensemble unanime pour saluer un texte profondément désespéré, volontiers provocateur et délicieusement nihiliste.

Florent-Claude Labrouste, ingénieur agronome, est dépressif, suicidaire et impuissant à cause des cachets qu’il ingurgite pour soigner son mal-être psychologique. Le narrateur houellebecquien dans toute sa splendeur, donc. Entre deux considérations sur la fin du monde et une confidence désabusée sur les relations amoureuses, Florent-Claude nous emmène tout d’abord en Espagne où nous découvrons ses fantasmes puis sa compagne Yuzu, qu’il décide de quitter une fois le couple revenu à Paris, dans le quartier Beaugrenelle qu’il déteste tant. La suite est toujours dans la veine houellebecquienne : un hôtel Mercure « fumeur », puis un bungalow dans cette campagne française qui avait fait irruption dans  La Carte et le territoire. Il retrouve Aymeric, agriculteur désargenté et lui aussi au bord du suicide, issu d’une famille d’aristocrates qui entre en guerre contre les décisions néfastes prises à Bruxelles.

« Une civilisation meurt juste par lassitude, par dégoût d’elle-même. »

L’amour, pris entre les deux feux de l’hédonisme et de la fatalité tragique, est toujours au centre du roman : « J’avais besoin d’amour et d’amour sous une forme très précise, j’avais besoin d’amour en général mais en particulier j’avais besoin d’une chatte ». Et d’ajouter : « Une civilisation meurt juste par lassitude, par dégoût d’elle-même, que pouvait me proposer la social-démocratie évidemment rien, juste une perpétuation du manque, un appel à l’oubli ».

Tout Houellebecq résumé en un paragraphe, à savoir la lente agonie d’une civilisation brisée par le libre-échange, au sein de laquelle beaucoup d’êtres sont laissés sur le bas-côté de la mondialisation jouisseuse et heureuse. Cette multitude de peines-à-jouir sont la quintessence de l’univers de Houellebecq, et Labrouste en est la figure archétypale, voire caricaturale.

Sérotonine, du bon Houellebecq. Mais après ?

Le roman alterne entre le troublant : « La vérité est qu’un seul être vous manque et tout est mort, le monde est mort, et l’on est soi-même mort, ou bien transformé en figure de céramique », le drôle : « Si nous avions été dans une comédie romantique, j’aurais, après quelques secondes d’une hésitation dramatique (importance à ce stade du jeu d’acteur, je pense que Kev Adams aurait pu le faire », le plat : « (…) qui étais-je pour avoir cru que je pouvais changer quelque chose au mouvement du monde ? », et le franchement plat : « Etais-je capable d’être heureux dans la solitude ? (…) C’est le genre de questions, je crois, qu’il vaut mieux éviter de se poser ».

« Le name dropping du prolétariat, celui des routes nationales, des émissions de télévision compassées et des produits de la grande distribution pour créer un effet de réel qui provoque le malaise et suscite le dégoût du monde contemporain. »

Comme Bret Easton Ellis, le name dropping est l’arme la plus utilisée par Houellebecq pour créer son univers. Il ne s’agit pas, comme dans American psycho, d’énumérer les marques jusqu’à la nausée pour dénoncer le pouvoir de l’argent, mais l’inverse : le name dropping du prolétariat, celui des routes nationales, des émissions de télévision compassées et des produits de la grande distribution pour créer un effet de réel qui provoque le malaise et suscite le dégoût du monde contemporain, enlaidi par l’industrialisation et déshumanisé par la violence du capitalisme. Sérotonine nous plonge dans les périphéries et de ce point de vue, c’est une réussite. La grogne paysanne et le ressentiment des laissés-pour-compte de l’Europe post-Maastricht sont parfaitement rendus. Le cynisme du narrateur confère la même note désabusée que nous adorons depuis Extension du domaine de la lutte. Est-ce pour autant suffisant ?

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