C'est l'une des questions brûlantes auxquelles devra bientôt répondre le Parlement lors du réexamen de la loi relative à la bioéthique. En matière d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, la tendance générale observée dans les autres pays est une levée de l'anonymat au nom du droit de l'enfant à connaître ses origines génétiques. La France va-t-elle franchir le pas ? L'Église s'est-elle prononcée sur cette question ? Nous proposons cet été de faire le tour d'un sujet plus complexe qu'il n'y paraît.

Pour contourner l'obstacle de la stérilité humaine, des médecins et des scientifiques mirent au point des techniques de substitution aux relations conjugales qui ont transformé progressivement notre regard sur la procréation humaine et le début de la vie. Ainsi apparurent diverses formes d'inséminations et de fécondations artificielles, essentiellement dans le dernier quart du XXe siècle pour la fécondation in vitro.

Par procréation artificielle ou fécondation artificielle, rappelle l'Instruction Donum vitae, on entend les diverses procédures techniques destinées à obtenir une conception humaine d'une manière autre que par l'union sexuelle de l'homme et de la femme [...] : fécondation d'un ovule en éprouvette (fécondation in vitro) et insémination artificielle moyennant transfert, dans les organes génitaux de la femme, du sperme précédemment recueilli (DV, II).

Dans la très grande majorité des situations, l'activité d'assistance médicale à la procréation est réalisée avec les cellules sexuelles des deux membres du couple. Elle est dite homologue ou intraconjugale. Dans certains cas, les gamètes de l'un des deux époux étant inexistants, les biologistes sont sortis du cadre du couple marié en faisant appel à des donneurs de spermatozoïdes et d'ovocytes étrangers. Lorsqu'elles utilisent un gamète extérieur au couple, les procédures d'AMP sont alors qualifiées d'hétérologues ou extraconjugales.
Le Magistère de l'Église opéra un discernement délicat à propos de ces nouvelles pratiques de procréation artificielle et publia en 1987 le fruit de ses réflexions pluridisciplinaires dans l'Instruction Donum vitae [1]. L'Instruction Dignitas personae [2] parue fin 2008 actualise et confirme la réflexion éthique de l'Église catholique sur l'assistance médicale à la procréation.
Disons déjà que trois axes fondamentaux structurent le discernement moral du Magistère : 1/ la reconnaissance inconditionnelle de la dignité de la personne à tout être humain depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle (DP, n. 1) ; 2/ la dignité inviolable du mariage et de la famille qui constituent le contexte authentique où la vie humaine trouve son origine (DP, n. 6) ; 3/ la sauvegarde de la spécificité des actes personnels qui transmettent la vie (DP, n. 10).
Ces trois orientations nous seront d'une aide capitale pour étayer notre jugement éthique au fil de notre étude.
Aspects juridiques français
En France, la possibilité que les techniques d'assistance médicale à la procréation comportent le recours à des personnes étrangères au couple pour un don de gamètes a été consacrée par les lois du 29 juillet 1994, dites lois de bioéthique [3], et par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique [4].
Lorsque la fécondation intraconjugale ne peut aboutir, la législation issue des textes de 1994 a autorisé à titre subsidiaire la procréation assistée avec l'intervention d'un tiers donneur. La loi de 2004 a cependant assoupli le recours à cette pratique qui peut être choisie en première intention par le couple lorsque, dûment informé, il renonce à une procédure intraconjugale. Il faut également mentionner que l'AMP avec donneur est indiquée aussi pour éviter la transmission à l'enfant à naître (ou à l'autre membre du couple dans le cas de l'infection VIH/Sida par exemple) d'une maladie d'une particulière gravité. Il s'agit dans ce cas d'une alternative en quelque sorte à la technique du diagnostic préimplantatoire.
C'est la pratique des centres d'études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) qui servit de fondement aux règles élaborées par le législateur en 1994, en particulier celles de l'anonymat et de la gratuité du don de gamètes. Instituées en 1973 pour remédier aux pratiques parfois sauvages qui sévissaient en matière d'insémination artificielle avec donneur, leurs fondateurs calquèrent les pratiques du don de sperme sur celles du don de sang. Les médecins firent ainsi appel à des donneurs anonymes, bénévoles et volontaires.
En 1994, la loi établit donc fermement le principe de l'anonymat dans le don de gamètes, au même titre que pour n'importe quel élément ou produit du corps humain, principe qui sera inscrit dans le Code civil à l'article 16-8 (repris à l'article L. 1211-5 du code de la santé publique) : Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur .

Les sanctions correspondantes rappelées dans l'article 511-10 du Code pénal sont d'ailleurs assez sévères : Le fait de divulguer une information permettant à la fois d'identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende .
Une procédure qui engage deux couples
Ces quelques éléments rappelés nous amènent à faire deux remarques importantes pour notre sujet.
D'abord, plutôt que de parler de don entre un donneur et un receveur comme il est coutume de le faire, on devrait plus précisément parler d'un don de couple à couple. En effet, le consentement du couple demandeur doit être établi devant un juge ou un notaire, la loi interdisant strictement la contestation de paternité par le mari de la mère ou la contestation de la maternité par la femme du mari une fois que celui-ci ou celle-ci a consenti au don de sperme ou d'ovocyte [5].

Quant au donneur, la version de 2004 prolongeant celle de 1994 exige qu'il ait déjà procréé et que s'il est en couple, il obtienne le consentement de son partenaire recueilli par l'équipe médicale à l'issue d'entretiens spécifiques (L. 1244-2 du code de la santé publique)[6]. Par son choix, le donneur ou la donneuse engage donc son entourage familial, au premier chef sa femme ou son mari ainsi que ses enfants.
Un état civil parallèle
Par ailleurs, si l'anonymat est absolu entre les couples receveur et donneur, il n'est que relatif par rapport à l'institution médicale. Premièrement, l'identité du donneur de sperme ou de la donneuse d'ovocyte est connue par l'équipe médicale qui va même utiliser certaines caractéristiques morphologiques pour l'apparier avec le futur parent.
Pour l'équipe d'AMP, tout est parfaitement identifié et ce n'est que dans un second temps que le dossier sera anonymisé, rendant sans nom celui qui est en réalité parfaitement nommé, faisant de lui un distributeur transparent de produit génétique selon l'expression du CCNE dans son avis n. 90 [7]. De plus, du fait des obligations de sécurité sanitaire, l'institution conserve le dossier archivé sous forme codée, n'importe quel médecin pouvant accéder pour des raisons thérapeutiques à des informations non identifiantes sur les antécédents médicaux, personnels et familiaux du donneur (article L. 1244-6 du Code de la santé publique).
Si le donneur est un tiers anonyme et ignorant de la destinée de son don, le corps médical est lui-même un tiers instruit. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst) fait mention dans son rapport de l' état civil parallèle géré et détenu par les Cecos [8].
Le professeur Pierre Jouannet, ancien responsable du service de biologie de la reproduction et du Cecos de l'hôpital Cochin, reconnaît que cette situation où une administration publique détient des informations personnelles intimes qu'elles refusent de divulguer est provocante pour les enfants qui demandent à connaître leur donneur.
En effet, la loi interdit rigoureusement la communication d'un dossier détenu par les Cecos à la personne qui le leur réclamerait, alors même que la législation du 4 mars 2002 relative aux droits des patients a créé un droit d'accès de chacun à son dossier médical. De quoi susciter l'indignation des premiers concernés, ceux qui sont nés avec le concours d'un homme ou d'une femme dont l'identité leur sera à jamais inconnue, scellée dans un fichier auquel les pouvoirs publics leur interdisent tout accès.

 

DROIT COMPARE : L'EXEMPLE DES PAYS EUROPEENS
En Italie, la loi du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée proscrit totalement le don de gamètes.
L'Allemagne, l'Autriche, la Suisse et la Norvège interdisent le don d'ovocytes (et le don d'embryons).
Concernant la question de l'anonymat, les législations européennes sont très diverses même si l'on note une tendance à la levée de l'anonymat des dons de gamètes.
Comme la France, les textes danois et espagnols ont retenu le principe de l'anonymat. Au Danemark, le principal règlement pris en application de la loi de 2006 sur la fécondation artificielle érige l'anonymat du don de gamètes en principe. La principale limite de cette loi est que les sages-femmes qui pratiquent des inséminations artificielles avec sperme de donneur, souvent au bénéfice de femmes homosexuelles, ne sont pas tenues au respect de l'anonymat contrairement aux médecins. En Espagne, la loi du 26 mai 2006 sur les techniques de reproduction médicalement assistée pose également le principe de l'anonymat des dons, confirmant la précédente législation de 1988. Les enfants ainsi conçus ont toutefois le droit d'obtenir à la majorité des renseignements non identifiants sur les donneurs (taille, couleur des cheveux, profession, ethnie,...).
La Suède fut le premier pays au monde à changer sa loi en 1984 pour accorder aux enfants nés d'un don de sperme le droit de connaître l'identité de leur donneur. Le même droit a été ensuite étendu aux enfants nés grâce à un don d'ovocyte après que celui-ci eût été légalisé le 1er janvier 2003.
L'Autriche a voté la levée de l'anonymat de don de spermatozoïde en 1992 et la Norvège en décembre 2003.
Le Royaume-Uni a également abandonné le principe de l'anonymat pour les dons postérieurs au 1er avril 2005. Les nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse postale du donneur sont communiqués lorsque l'enfant le demande à partir de 18 ans. Les donneurs enregistrés avant le 1er avril 2005 pourront opter pour ce nouveau régime qui est donc rétroactif. C'est la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority), l'équivalent outre-Manche de notre Agence de la biomédecine, qui a mission de tenir ce nouveau fichier et de proposer une assistance à la fois au donneur et à l'enfant si nécessaire. Les premières demandes sont attendues le 1er avril 2023.
L'Islande a instauré en 1996 un système à double guichet autorisant le don anonyme et le don identifiant, en fonction des souhaits du donneur. En adoptant la loi du 25 avril 2002, les Pays-Bas ont abandonné ce système qui entraîne des discriminations entre les enfants qui ont accès à leurs origines et les autres. Entrée en vigueur le 1er juin 2004, le nouveau règlement prévoit qu'un enfant né d'une procréation médicalement assistée avec donneur accède dès l'âge de 12 ans à des données non identifiantes et à partir de 16 ans à l'identité précise du donneur. La Finlande qui était également régie par le principe du double guichet a définitivement levé l'anonymat pour tous les donneurs par la loi du 15 octobre 2006.
En revanche, la Belgique a opté pour le double guichet par sa loi du 15 mars 2007. On notera que le couple demandeur peut choisir directement la donneuse en ce qui concerne le don d'ovocyte.
La Constitution fédérale helvétique reconnaît depuis 1992 le droit de chacun à connaître ses origines génétiques. Son article consacré à la procréation médicalement assistée prévoit que toute personne a accès aux données relatives à son ascendance . Lorsqu'il atteint l'âge de la majorité, l'enfant peut demander à connaître l'identité du donneur en s'adressant à l'Office fédéral de l'état civil qui doit la conserver pendant 80 ans. Cette loi est applicable depuis le 1er janvier 2001 [*]. Notons que les Suédois discutent également de la possibilité d'introduire dans le code de la famille un article sur la connaissance de ses origines génétiques. Le premier alinéa en ferait un droit et le second rendrait les parents, grâce à l'intervention de services sociaux, responsables de l'information des enfants le plus précocement possible avec constitution d'un fichier des donneurs facilement accessible.
Dans tous les Etats cités qui ont levé l'anonymat, il n'y a aucune conséquence sur la filiation. La filiation paternelle (ou maternelle lorsque le don d'ovocyte est autorisé) est établie conformément aux règles de droit commun. Le mari ou la femme qui a donné son accord à une procréation médicalement assistée avec donneur ne peut intenter une action en désaveu de paternité ou maternité de même que l'enfant conçu selon cette technique ne peut contester son lien de filiation. Ces dispositions explicites écartent théoriquement tout risque juridique en matière de filiation.
Ce n'est pas le cas de l'Allemagne où le donneur peut être déclaré père de l'enfant né de son don. En effet, le droit à la connaissance de son ascendance génétique est non seulement reconnu par la Cour constitutionnelle fédérale depuis 1989 mais peut donner lieu à une contestation de la paternité du mari de sa mère par l'enfant ainsi conçu. Lequel pourra ensuite faire établir judiciairement celle du donneur. Aussi l'Ordre fédéral des médecins recommande-t-il aux professionnels d'avertir à la fois les donneurs et les bénéficiaires du don de sperme de cette éventualité et les exhorte à conserver les renseignements identifiants du donneur pendant 30 ans. Une situation qui montre que l'enfant qui sonne à la porte d'un donneur pour lui annoncer qu'il est son fils ou sa fille n'est pas du tout irréaliste dans certains pays.
Sources : Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, Rapport n. 2235, tome 1, janvier 2010, p.105-106 et L'anonymat du don de gamètes, Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée n. 186, septembre 2008.
[*] C'est donc en 2019 que l'Office fédéral de l'état civil enregistrera les premières demandes de la part d'enfants conçus avec un don de spermatozoïde.
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[1] Cardinal Joseph Ratzinger, Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Donum Vitae sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation, Réponses à quelques questions d'actualité, 22 février 1987.
[2] Cardinal William Levada, Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Dignitas personae sur certaines questions de bioéthique, 8 septembre 2008. Le 12 décembre 2008, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié l'Instruction Dignitas personae sur certaines questions de bioéthique, un document exceptionnel par la pénétration de la pensée sur les enjeux éthiques contemporains en matière de biomédecine. Approuvé par Benoît XVI qui en a suivi attentivement la rédaction, il est daté du 8 septembre 2008. Structurée en 3 parties et 37 articles, elle actualise l'Instruction Donum vitae sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation signée le 22 février 1987 par celui qui n'était encore que le cardinal Joseph Ratzinger. Les deux textes doctrinaux constituent un diptyque inséparable pour réfléchir aux défis bioéthiques du XXIe siècle.
[3] Lois n. 94-653 du 29 juillet 1994 et n. 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Seule cette dernière sera révisée en 2004. Les principales dispositions juridiques concernant l'AMP se trouvent aux articles L. 2141-1 s du Code de la santé publique.
[4] Loi n. 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
[5] Cf. articles 311-19 et 311-20 du Code civil.
[6] À partir d'un seul donneur de gamètes, il peut être procédé à la conception de 10 enfants dans la loi de 2004 tandis que la version de 1994 en limitait le nombre à 5.
[7] Comité consultatif national d'éthique, Accès aux origines, anonymat et secret de filiation, Avis n. 90, novembre 2005.
[8] Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, La loi bioéthique de demain, Tome 1, décembre 2008, p. 139.

 

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